- 3000 avant J-C.
Le vent balayait le sable du désert autour des pieds des jeunes femmes. Chacune, pied-nue, sur une plateforme en terre cuite en plein milieu du désert, se faisait face. Une foule les entourait, trépignant d'impatience à l'idée que la grande guerrière Shankept [chan•kèpte] se batte contre Méhyt, simple fille marchande, qui l'avait bousculée par inadvertance au marché. Pourtant, Shankept était connue pour sa personnalité imprévisible et violente. Elle provoqua alors Méhyt en duel, dans l'espoir de la faire mordre la poussière. La réputation de la guerrière la précédait, expliquant l'épaisse foule autour des deux jeunes femmes. Il y avait tellement de monde que cela donnait l'impression que l'Égypte entière s'était déplacée pour l'événement.
Méhyt souffla, nerveuse. Si elle perdait, la guerrière n'hésiterait pas à donner sa famille aux crocodiles sacrés pour affront contre le pharaon. Malgré l'honneur d'être dévoré par ces reptiles sacrés, l'idée de mourir ne lui plaisait guère, ni l'idée que ses parents y passent non plus.
Shankept sortit de sa ceinture deux dagues couleur or, parsemés de dessins représentant des charmes de protection sur la garde de chacune d'entre elles. La guerrière sourit arrogamment en voyant que la paysanne en face d'elle avait les mains vides. Une victoire facile!
Méhyt fixait dans les yeux Shankept, ne laissant pas paraître ni sa nervosité ni sa colère. La foule faisait pression pour faire avancer les choses, pour commencer le combat, et elle n'attendra pas plus longtemps.
À la plus grande surprise de tous, Méhyt fonça vers Shankept à toute vitesse, suivant un tracé étrange, zigzaguant sur les dalles, comme si elle n'osait pas attaquer.
La guerrière secoua la tête avant de plonger sur la paysanne, toutes dagues dehors.
Méhyt ayant prédit le mouvement, elle l'évita sans problème et sauta sur le crâne de son adversaire pour mieux se propulser contre un mur d'une maison en boue, paille, sable et bois à sa gauche. Elle se percha sur une branche en bois dépassant du toit, fixant Shankept, visage au sol, se relever avec peine.
La foule criait à en perdre l'haleine et les amis de Méhyt s'égosillaient pour encourager leur amie face à ce spectacle. Brusquement, une vague de soldats passèrent au travers de la foule et le silence s'abattit au travers du marché du Nil, le marché le plus connu et fréquenté de toute l'Égypte.
Les gardes se frayèrent un chemin jusqu'à Shankept et fixèrent des yeux Méhyt, toujours perchée sur sa branche. Le seul bruit interrompant le silence lourd au travers de la place publique fut le doux bruit du vent faisant virevolter le sable autour de la population égyptienne.
Les gardes remirent sur ses pieds Shankept et avancèrent vers Méhyt, leurs sabres pointés vers elle.
« Descendez de votre perchoir! », ordonna l'un d'eux.
Méhyt les regarda faire, silencieuse. Ses longs cheveux noirs virevoltaient autour d'elle, nuisant à son regard perçant. La jeune paysanne sourit finalement, détendant les soldats en face d'elle qui étaient jusqu'à lors tendus, à l'affût de n'importe quel geste agressif.
Toutefois, au lieu de descendre rejoindre les soldats, elle grimpa en un seul bond sur le toit de la maison, fit un léger salut moqueur aux gardes et fila sur les toits des maisons pour s'enfuir le plus rapidement possible. Les soldats, ébahis par cette insubordination, restèrent béats, à attendre je ne sais quel ordre de leur dirigeant. Finalement, ce fut un cri de colère qui répondit à leurs attentes:
« Mes dagues! Elle a volé mes dagues! », s'effaroucha Shankept, ses yeux bruns chocolat lançant des éclairs.
Les soldats s'élancèrent dans la direction où était partie Méhyt, essayant de retrouver sa trace. Pendant ce temps, dans l'ombre, le général de la Capitale de l'armée égyptienne riait doucement en secouant de la tête.
Il ne l'a connaissait pas, mais il ne souhaitait qu'une chose: mieux la connaître.
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Méhyt était complètement à bout de souffle, perdue dans un coin reclus du Caire, cachée de tous. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait volé, s'était battue et avait pris la fuite en une seule journée. La jeune égyptienne était maintenant chez elle, à l'abris des regards curieux. Elle sortit les deux dagues qu'elle venait de voler, parsemées d'or. Avec cet argent, elle pourrait certainement se payer de quoi manger pendant des mois presque sans travailler! Ah, la famille du pharaon... des bourgeois qui ne savaient même pas ce que le mot « travailler » pouvait bien signifier! Combien de fois Méhyt avait-elle voulu s'épargner les ordres des soldats, les journées ardues sans être productives et la pauvreté dans laquelle elle vivait? La jeune femme pouvait maintenant vivre quelques mois sans se poser la question si elle survivrait la semaine d'après.
Ses yeux ambrés parcoururent son humble demeure, honteuse. Sa maison ne possédait que deux étages: le rez-de-chaussée et le premier étage. Au rez-de-chaussée se trouvait la cuisine, la salle à manger et le salon dans un espace minuscule où tout semblait coincé: une table en bois, deux chaises en bois ainsi que des armoires creusées dans la terre cuite lui servant de mur. Sinon, son divan se constituait d'un socle de bois sur lequel on avait mis énormément de paille qui avait aplati avec le temps et recouvert d'un drap, rendant le tout presque confortable. Le premier étage, servait de garde manger et de chambre à coucher, composé d'une simple armoire pour ses vêtements, d'une table de chevet avec une lampe à l'huile, d'un lit simple en paille et de tablettes creusées à même la pierre pour garder ses aliments, il n'y avait pratiquement rien. Oui, il y avait des fenêtres ou plutôt des trous dans les murs avec des rideaux au rez-de-chaussée et sa porte en bois pour l'entrée était un luxe que quelques rares avaient, mais elle trouvait que tout était si petit, si minuscule... Elle ne possédait même pas de salle de bain! Elle se lavait dans le Nil comme tous les autres et faisait ses besoins dans un trou caché derrière un buisson à quelques pas de chez elle.
Les nobles avaient des toilettes, ils prenaient des bains, avaient des piscines immenses, ne manquaient jamais de nourriture, portaient de l'or à chaque jour... Le rêve, quoi!
Des coups secs sur sa porte sortirent Méhyt de sa rêverie. Elle s'empressa de cacher les dagues dans un tiroir à porter de main et ouvrit la porte tout aussi soudainement.
Devant elle, le général de l'armée du Caire la regardait fixement, un sourcil haussé et un sourire narquois en sa direction. La marchande prit peur et tenta de refermer la porte, mais le soldat entra dans la demeure de la jeune femme aux yeux ambrés, ignorant ses vaines protestations.
« Bonjour, mademoiselle ...?
- Méhyt, fille de Amunapthrap », répondit la paysanne du tac-au-tac.
Le général de contenta d'hausser un sourcil et sourit en secouant la tête.
« Je m'appelle Ahmès, fils de Amonept et je viens en paix. »
La jeune égyptienne plissa des yeux, mais le fit entrer sans rien dire. Elle prit place sur une des deux chaises, faisant signe au général de prendre la deuxième.
Il se contenta de la regarder, silencieux.
Méhyt sentit alors la colère monter. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire à s'inviter chez elle pour finalement ne rien dire?
« Si vous ne souhaitez pas me parler de quoi que se soit, veuillez quitter ma maison, je vous prie »
Ahmès hocha de la tête et se retourna vers la porte avant de quitter les lieux, toujours aussi pensif.
« Il est fou ce général... Ce Ahmès! Je le déteste déjà! », gronda la jeune femme
De son côté, Ahmès...
« Stupide, stupide, stupide... Comment as-tu pu être aussi stupide? Sérieusement, Ahmès, se pointer chez elle juste pour la voir? Tu parles d'un con! »
Les deux égyptiens, ce soir-là, malgré leurs points de vue sur cette étrangère visite, languirent la présence de l'autre. L'une, parce qu'elle se sentait seule dans sa minuscule maison et l'autre, parce qu'il était déjà attiré par cette étrangère aux airs effarouchés.
Écrite le 16 janvier 2019
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