Chapitre 7 - Bon Jovi

- "Tout... tout ?

- Oui, tout. Je veux savoir d'où tu viens, si tu préfères le jus d'orange au jus de pomme, ou encore ta couleur préférée.

- Ça c'est facile, c'est le vert.

- Bonne réponse, j'en attendais pas moins de toi. Tu habites ici depuis longtemps ?

- Trois ans maintenant. J'habitais en banlieue avec ma mère mais j'avais envie de... voler de mes propres ailes. Dès que j'ai fini l'école, je me suis trouvé un studio et un boulot sur Paris.

- Trois ans déjà, tu dois connaitre tout Paris du coup ?

- Pas tellement. J'avoue que... je... sors pas beaucoup.

- Comment ça se fait ?

- Ma timidité, encore une fois...

- Tu as pourtant l'air de me parler normalement, non ?

- C'est pas pareil avec toi.

- Pas pareil ?"

Oui, Jean. J'ai envie de t'avouer qu'avec toi, je me sens différente. Je me sens bien. Je te connais à peine, mais j'ai le sentiment qu'avec toi, je pourrais ouvrir mon cœur sans jugement, sans moquerie et à mon rythme. Mais les mots ne franchissent pas ma bouche, je n'arrive pas à les exprimer. Une trop longue vie de solitude a des conséquences dramatiques sur la capacité d'une personne à avoir une simple conversation, et c'est encore pire quand la personne en face a des beaux yeux comme Jean.

Celui-ci doit sûrement se rendre compte de mon malaise actuel et je bénis le fait qu'il change de sujet pour me soulager.

- "Tu aimes Paris ?

- Je me rends compte depuis une heure que je ne connais pas du tout cette ville finalement. Comment fais-tu pour y être aussi à l'aise en trois jours ?

- J'ai pris l'habitude de me balader partout où je vais depuis que je suis tout petit. Je connais Bordeaux comme ma poche par exemple.

- C'est de là que tu viens ?"

Je sens son beau regard s'obscurcir. C'était très bref, mais assez long pour que je m'interroge.

- "Oui.

- Pourquoi es-tu monté ici ?

- Je fuis mon père."

Je subis l'équivalent d'une gifle mentale. Je ne peux retenir la surprise que je ressens à ce moment-là et l'observe. Il a l'air ailleurs, fixant quelque chose que seul lui peut voir et qui le perturbe beaucoup. Mais rapidement, il relève les yeux vers moi et retrouve son expression enjouée de d'habitude.

- "Mais rien de grave, on va pas gâcher la soirée pour ça, hein Emma ? J'ai envie de t'en parler mais... une autre fois, si tu le veux bien.

- B... bien sûr, je te force en rien, je voulais pas te faire de la peine.

- T'inquiète pas, va ! Et au fait, orange ou pomme finalement ?

- Pomme !

- Mais c'est un sans-faute dis donc !

Il se met à rire comme j'aime, avec force. Quelques personnes se tournent vers lui, ainsi que plusieurs filles qui n'ont pas l'air d'être insensibles à son charme. Elles doivent se demander ce qu'il fait avec quelqu'un comme moi. Je me le demande également. Profite Emma, profite !

Notre attention se redirige à nouveau sur le groupe devant nous. C'est avec délice que je me rends compte que Jean a également une grande passion pour la musique et qu'il a les mêmes gouts que moi. Lui aussi peut s'extasier devant l'agilité d'un guitariste solo, apprécier la rythmique d'un batteur et ressentir la basse qui vibre dans son corps. Il n'y a pas forcément besoin de mots, un instrument peut parfois exprimer plus que la voix. Je prends plaisir à dresser la liste de mes groupes préférés et à l'opposé à la sienne, la conversation bat son plein.

- "J'ai une guitare chez moi, dit-il.

- Ah oui ? Tu sais en jouer ?

- Je me débrouille !"

Jean, s'il te plait, vas-tu arrêter d'être parfait ? As-tu au moins des défauts ?

- "Je pourrais peut-être te la montrer, un de ces jours.

- Ça me plairait.

- Et tu chanterais ?

- Ça, ça reste encore à déterminer.

Il me fait un clin d'œil complice. J'avoue que ça me fait beaucoup d'effet. Comment pourrais-je refuser quelque chose à un visage aussi mignon ?

Le groupe nous annonce qu'il va jouer sa dernière pour la soirée mais qu'exceptionnellement, ils joueront le choix du public. Et là, que vois-je ? Jean s'est levé d'un coup en levant la main. Le chanteur l'interroge du regard.

- "Une demande particulière ?

- Est-ce que j'oserais vous demander Livin' on a Prayer de Bon Jovi ?"

Le batteur se met à gesticuler sur sa chaise avec des "oh ouais allez, on fait ça !", et le guitariste semble tout aussi enthousiaste. Le chanteur attrape sa basse et s'approche du micro.

- "Ça marche, mais va falloir chanter avec nous ! Tous debout "

Jean rayonne, il me tend sa main que j'attrape pour me redresser. La basse commence avec le rythme mythique de cette chanson culte que j'adore. Il se met à chanter à tue-tête, et il est tellement dans son plaisir qu'il m'emporte avec lui. Je commence à chanter quelques mots tout bas, à peine audible, puis de plus en plus franchement. L'euphorie du moment m'emporte et on en arrive même à faire semblant de chanter le refrain dans un micro imaginaire que Jean porterait. Les trois artistes donnent tout, leur version est magnifique et elle se conclut par un tonnerre d'applaudissement du public.

Ça fait longtemps que je ne m'étais pas autant amusé !

Jean attrape mon sac par terre et me le tend.

- "Ça te dérange si on rentre ? Il se fait tard et je suis de service demain.

- Pas du tout, il est quelle heure ?

- 22 heures et des brouettes.

- Déjà ?

- C'est vrai que la soirée est passée très vite. Mais il y en aura d'autres, hein ?

- J'espère bien !"

Le chemin du retour se fait à un rythme moins soutenu qu'à l'aller, et ce n'est pas pour me déplaire. Je peux profiter de ces quelques minutes de plus avec mon charmant voisin qui, malgré qu'on se soit vu un peu plus qu'avant, reste un mystère pour moi. Et cette histoire avec son père, qu'est-ce que ça veut dire ? Va-t-il me le dire un jour ? Je n'ai surtout pas envie de le brusquer mais... ça m'intrigue tellement !

Nous arrivons finalement à notre étage, devant nos portes respectives. Le moment est un peu gênant, je ne sais pas comment agir.

- "J'ai vraiment passé une super soirée, Emma.

- Moi aussi, Jean. J'espère qu'il y en aura d'autres ! Peut-être vais-je enfin connaitre Paris après 3 ans à vivre ici ?

- Je n'y manquerai pas. Allez, je te fais la bise."

Cette même façon de passer sa main sur mon dos qui me fait frissonner. Ça y'est, je suis accro à sa présence, son toucher, sa voix. Je ferme les yeux en sentant ses lèvres sur mes joues, je sens une dernière fois son parfum qui m'enivre. J'ai envie de rester dans ses bras, là ou je me sens complète.

- "Dors bien, Emma !

- Toi aussi, Jean. Un bisou à Charlie !

- Il l'aura, promis !"

Je rentre chez moi. Encore dans la magie du moment, je suis en ébullition. C'était génial, merveilleux, je n'en reviens toujours pas. Qu'il est parfait ! Je me sens obligé de faire un geste. Quelque chose pour lui montrer ma reconnaissance. Plus tard dans la soirée, je m'empare d'une feuille de papier où j'écris ces quelques mots : "Merci pour cette fabuleuse soirée ! Signée, votre voisine". Je le glisse ensuite délicatement sous sa porte d'entrée.

Le lendemain matin, je retrouve le même mot devant ma porte, avec écrit au dos : "Fabuleux est le mot, et c'est moi qui te remercie. Signé, votre voisin."

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