Chapitre 5 - Appréhensions

Du plomb dans l'estomac. J'ai le sentiment d'avoir une brique à la place du ventre. J'angoisse, je stresse, j'ai les pétoches. Le simple fait d'envisager la soirée de ce soir me fait avoir des sueurs froides d'inquiétude tellement j'appréhende. J'ai l'impression d'être de retour à l'école quand je devais parler devant toute la classe, la voix tremblante et les mains moites tenant désespérément un brouillon comme un naufragé tiendrait sa bouée de sauvetage. Je détestais ce sentiment d'être observé sous toutes les coutures, et c'est toujours le cas. Je pourrais me consoler en me disant que cette fois, je ne ferai face qu'à une seule personne. Mais c'est encore pire ! Un exposé a comme avantage d'être un monologue, cette fois c'est un tête-à-tête !

Je repense à hier soir. J'aimerais vous dire que j'ai accepté l'offre sans hésiter et en sautant de joie. Mais non.

- "Euh...

- Je ne viens pas du tout d'ici, et comme je viens d'emménager je ne te proposerai pas de venir le boire chez moi. Y'a des cartons partout et je n'ai aucun meubles pour tout t'avouer. Il y a un café juste en face de l'appartement, on pourrait s'y voir demain soir ? Ça serait pratique, non ?

- J'imagine que... oui.

- Parfait, on se dit à demain 20 heures alors. Allez Charlie, tu dis au revoir à Emma ?"

Il attrape une patte avant de Charlie qu'il agite pour me dire au revoir. Ça n'a pas l'air de le déranger plus que ça puisqu'il baille à s'en décrocher la mâchoire. Je ne peux pas retenir un rire devant cette scène tellement adorable, et je remarque que les yeux de Jean pétillent. Il y a un je ne sais quoi de profondément humain et sincère dans son attitude. Il a l'air gentil, et je suis sûr que ce n'est pas qu'en apparence. 

- "A demain, Jean. Et Charlie !"

Ma dernière vision de ces deux compères est celle de Charlie se trémoussant subitement pour retourner sur la terre ferme. Ce chat a l'air de déborder d'énergie. J'éclate de rire toute seule, dans mon petit studio. Ils sont vraiment mignons tous les deux.

Sauf que maintenant, j'angoisse. J'ai du mal à bosser aujourd'hui, je n'arrive pas du tout à me concentrer. Les chiffres défilent sous mes yeux, et les rapports que je suis censé rédiger ne se rédigent pas tout seul, malheureusement. Toute mon attention est focalisée sur une seule chose : Jean. De quoi va-t-on parler ? Il va surement s'ennuyer avec moi, je n'ai pas grands choses à raconter. Ma vie n'est pas des plus intéressantes, il va vite comprendre que ma compagnie n'est pas la meilleure et se lassera. Pourquoi moi ? Est-ce que je lui plais, est-ce qu'il veut juste être amical ? Un café cordial entre voisins ?

Je réfléchis beaucoup trop. Je suis en train de me bouffer la vie avec tout ça. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas être comme la fille lambda qui peut interagir avec un homme sans faire de crise cardiaque pour autant ? Cette timidité me tue, ce manque de confiance en moi me gâche ma jeunesse. Mais au fond de moi, malgré toutes ses angoisses, je sais que je suis terriblement impatiente d'être à ce soir. J'ai hâte de tout savoir sur lui, son histoire, ses gouts, sa vie, de me perdre dans ses yeux et d'écouter sa voix grave et chaleureuse. J'ai envie de sentir que pour une fois quelqu'un s'intéresse à moi, même si c'est seulement le temps d'une soirée, même si c'est juste un bête café mais qui pour moi représente beaucoup.

J'ai envie de le croire sincère.

Je sors du boulot. J'ai pris un peu de retard dans mon travail, j'ai du quitté un peu plus tard. Du coup, je ne vais même pas pouvoir rentrer rapidement chez moi pour me recoiffer et avoir l'air un minimum présentable. Ma grande crinière bouclée part dans tous les sens, surtout sous ce vent d'octobre, je dois sûrement faire vielle sorcière. Je sors du métro à la sortie habituelle et me dirige vers le café en face de chez moi. Mes jambes tremblent, je peine à marcher, j'ai peur de tomber. Reprends-toi Emma, tout va bien se passer.

Et là, je le vois. Il est à la porte du café, le regard au loin, il semble me chercher. Pendant ces quelques secondes ou nos regards ne se sont pas encore croisés, j'ai le temps de le regarder. Il a toujours son grand manteau noir qui lui tombe sous les genoux, et les mêmes chaussures. Cette fois, il a une grande écharpe autour du cou et je devine une chemise bleue claire en dessous. La grande différence est qu'il a l'air beaucoup plus fatigué qu'hier soir. Ses cheveux sont encore plus en bataille que d'habitude, ce que je ne savais pas possible.

Puis il se tourne vers moi. Ses petits yeux s'illuminent en me voyant et il me sourit, sourire que je ne peux m'empêcher de lui rendre. Le temps s'arrête pendant quelques secondes, mon cœur s'accélère. Je m'approche doucement de lui, ne sachant que faire et quoi dire. Il passe sa main derrière mon dos avec une tendresse infinie et s'approche de moi pour me faire la bise.

- "Bonjour Emma, comment vas-tu ?"

C'est à cet instant, pendant ces quelques secondes où je suis contre lui, que j'ai compris. C'est comme si je l'avais toujours connu. Il y a quelque chose de magnétique, de naturel, de vrai dans notre échange. Sa main dans mon dos a un effet électrique, tout mon corps est sous tension. Une onde de chaleur se propage de ma tête jusqu'à mes orteils. Je me sens si bien. Comme si toutes ces années d'attente s'accomplissaient dans ce semblant de proximité. Je ne veux jamais quitter tes bras, Jean.

- "Je vais bien, merci".

Il s'écarte de moi et me gratifie de ce sourire en coin qui me fait tant craquer.

- "Après toi ?"

Il m'ouvre la porte et j'entre dans ce café avec la conviction que les prochaines minutes allaient probablement bouleverser ma vie.


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