Chapitre 3 - Le cadeau

Autant vous dire que mon cerveau est en mode éruption volcanique. Quoi que je fasse, mon esprit est accaparé par le visage de ce nouveau voisin sorti de nul part. J'essaye de continuer la lecture de mon livre mais je me rends compte que les lignes défilent devant mes yeux sans que je les comprenne. Même mon vinyle préféré de The Police n'arrive pas à me calmer. Qu'est-ce qui m'arrive ? Est-ce que je suis vraiment tombé amoureuse du premier chevalier en armure qui se trouve sur mon chemin ? Je ne peux pas être tombé amoureuse, je l'ai vu 30 secondes à tout casser. Mais alors pourquoi est-ce que je revis sans arrêt la scène en boucle, imaginant tout ce que j'aurais pu dire et faire au lieu de balbutier comme d'habitude ? Il faut que je me reprenne, de toutes évidences, ce n'est certainement pas quelqu'un comme moi qui peut l'intéresser. Il peut avoir qui il veut, alors pourquoi moi ? Je n'ai rien de spécial. Et surtout, je ne reconnais rien de lui ! Même pas son âge, rien ! C'est un peu la malédiction des timides comme moi : dès qu'on reçoit un peu d'attention de quelqu'un, tout est démultiplié. Ça va sûrement passer, c'est ce que j'essaye de me convaincre.

Mais au fond de moi, je sais que je me mens à moi-même. Ça va mal finir.

Le lendemain, j'ai  beaucoup de mal à me lever de mon lit. Le vent souffle fort dehors contre ma fenêtre, et le soleil tarde de plus en plus à se lever. C'est un peu bizarre de devoir partir travailler la nuit, et de revenir le soir dans cette même nuit noire. Comme si j'étais dans une bulle d'obscurité. Comme si le temps s'arrêtait pendant quelques mois. Mon bureau n'étant pas dans une partie très éclairée, j'ai l'impression de vivre mes journées dans la pénombre. Mais il y a également quelque chose de doux, de tendre dans cette période de début d'automne. Le froid commence à se ressentir et les derniers téméraires ont abdiqués quand à la nécessité de porter une veste, un manteau, une écharpe. Le changement d'heure fait que les voyageurs grappillent de précieuses minutes de sommeil en se blottissant dans leurs cocons de chaleurs, en fermant les yeux quelques instants, bercés par les ronrons du métro. Il y a quelque chose de très intime dans ces brefs moments de faiblesse. Les gens ont aussi tendance à évoluer moins vite dans les couloirs, comme si le froid avait ankylosé leurs membres, ou que le temps lui-même avait décidé de prendre une pause. Mais que voulez-vous, il faut quand même que je m'arrache à la chaleur de mon lit.

J'attrape un café et m'installe devant la télé. Je resserre mes mains autour de la tasse, maugréant sur le fait que les radiateurs sont vraiment peu efficaces dans ce studio. Mon regard se tourne naturellement vers la porte d'entrée. Et Jean, est-ce qu'il a froid chez lui ? Qu'est-ce qu'il fait comme boulot ? A-t-il au moins un boulot ? Quel âge a-t-il ? Une pensée me vient soudain à l'esprit : il ne vit sûrement pas seul. Quelle naïve j'ai été, mais bien sûr qu'il vit avec quelqu'un, c'est évident, je ne suis qu'une nouvelle voisine pour lui. Cet appartement a accueilli une famille de 5 personnes avant lui, impossible qu'il y vive seul. Je ressens une certaine déception, mais je préfère ça que d'espérer trop longtemps.

Je prends mes clés, mon écharpe et mon sac. Au moment où j'attrape la poignée, j'ai une boule à l'estomac. Vais-je le revoir derrière cette porte ? Mais non voyons, reprends-toi Emma. J'ouvre, il n'y a personne sur le palier. J'attends l'ascenseur et me dirige vers le boulot.

Mon responsable est particulièrement désagréable aujourd'hui. Tout l'étage l'entend vociférer au téléphone à dieu sait qui, et je suis bien heureuse que ce ne soit pas moi. Je l'entend soudain sortir de son bureau et hurler à une collègue de venir le rejoindre.

- "Ou... oui Mr Lubert, j'arrive tout de suite !"

Je la vois pâlir et elle s'empresse d'y aller en sautillant maladroitement avec des feuilles dans les bras dont certaines tombent par terre, mais elle a trop peur de les ramasser sous peine de le faire attendre. Comment peut-on être inhumain au point d'en terroriser les autres ? Et surtout, qu'est-ce qui a pu se bien passer dans sa vie pour qu'il soit comme ça ? A force, je commence à le voir comme quelqu'un qui souffre, comme une victime de la vie. Peut-être ai-je complètement tord sur son compte, mais ça aide à le supporter un peu.

Encore une journée de travail accomplie. Le chien de la gardienne m'accueille en grande fanfare, je lui donne tout son soûl en caresses tout en attendant l'ascenseur. En arrivant devant chez moi, je me fige. Adossée contre ma porte se trouve une béquille, typiquement le genre qu'on trouve à l'hôpital. En équilibre précaire, une petite enveloppe avec écrit "A ma chère voisine" que je m'empresse d'ouvrir :

"Emma,

En prévision de notre prochaine rencontre explosive, je me permets de t'offrir cette béquille au cas ou tu te retrouves à nouveau par-terre. Ou moi, qui sait ? Mieux vaux prévenir que guérir, non ?

Jean, ton nouveau voisin."

Un grand sourire s'étire sur mon visage. Je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois que j'ai souris. Je sens mes joues chauffer et me fais la réflexion que je passe énormément par le rouge en ce moment. Je m'empresse d'entrer chez moi en embarquant le plus original des cadeaux avec moi.

Je m'adosse contre la porte d'entrée et relis la lettre. Je regarde la béquille. C'est tellement... surprenant que j'en rigole. Ça aussi, ça fait bien longtemps que ça ne m'était pas arrivée. Mais qu'est-ce que ça fait du bien ! Je rayonne, mon sourire ne me quitte pas de la soirée. Cette fois, mon vinyle préférée résonne merveilleusement à mes oreilles et il va se passer quelque chose que je n'ai pas fait depuis des années : je chante !

Mais qui es-tu, mon mystérieux Jean ? Et comment as-tu fais pour me faire sortir de ma carapace le temps d'une soirée ? 


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