Chapitre 1 - Emma

Le réveil sonne. J'ouvre doucement les yeux tout en maudissant les lundi matin. J'arrête cette mélodie infernale et me redresse dans mon lit. Le timide soleil d'octobre illumine faiblement mon appartement à travers les rideaux, et le froid de la saison nouvelle commence doucement à s'installer dans mon petit studio. Je frissonne. Les jours se suivent et ressemblent dans ma monotone de vie.

Moi, c'est Emma.
Je ne suis pas jolie, mais pas vilaine pour autant. Je ne suis pas une mannequin blonde aux yeux bleues, je suis plutôt cette fille que vous croisez dans la rue sans vous retourner pour autant. Une fille tout à fait banale, passe partout et qui se fond dans le décor. Si vous essayez de me parler, je vais bafouiller quelques mots jusqu'à ce que vous trouviez un prétexte pour vous sortir de ce malaise. Ne vous détrompez pas, l'envie y est pourtant, mais ma timidité est sans bornes. Aussi loin que remonte mes souvenirs, j'ai toujours été cette fille réservée sans identité. Mais si, vous savez, "la pote de bidule", ou encore "celle qui parle pas, j'me souviens plus de son nom".

Au fait, j'ai 23 ans. Je me regarde dans le miroir. Plutôt grande, fine, deux yeux noisettes gonflés par la fatigue et cachés sous une grande touffe de cheveux bouclés bruns. Finalement, la seule chose que j'aime chez moi, c'est mon prénom. Les traces de l'oreiller sont encore présentes sur ma joue gauche et mes cheveux partent en vrille total. Je suis vraiment pas jolie à voir.

J'entends la bouilloire chanter et vais me servir un café. Je bénis intérieurement l'inventeur de cet élixir divin qui me permet chaque matin de renaître de mes cendres ! J'attrape une tasse pas trop sale dans l'évier et m'installe devant la télé, bien enroulée dans ma robe de chambre. Je vis dans un minuscule studio à Paris, et sa taille n'est pas proportionnelle au loyer : il est horriblement cher, comme tout ici. Mon maigre salaire me suffit à peine pour vivre et sortir, non pas que mes activités sociales soient nombreuses. Mais je ne m'en plains pas, je l'ai voulu après tout.

Le grand problème de ma vie, c'est la routine et la solitude. Je suis arrivé à Paris avec des rêves et des étoiles plein les yeux, me promettant que cette fois tout allait changer et que je ferai plein de belles rencontres. Que nenni. Timide un jour, timide toujours ! Les échanges avec mes collègues de travail se limitent soit à "bonjour" et "bonsoir", soit aux hurlements de mon responsable. Cela représente 90% de ma vie sociale, mais heureusement que j'ai mon amie Julie pour m'apporter un minimum de conversation. Vous la connaissez cette fille belle à en mourir pour qui tout réussi, à savoir un travail épanouissant et un grand appart' qu'elle occupe avec son fiancée beau comme un dieu grec ? C'est exactement elle, et il suffit d'être à ses côtés pour se sentir considérablement diminué. Mais nous nous sommes liés d'amitié, nous, deux filles qui n'ont rien en commun et c'est peut-être ça qu'elle recherchait finalement. On se voit très peu, et c'est de ma faute. Il y a un cap quand la solitude devient si profonde que la présence d'autrui en devient gênante, oppressante. Je pense que c'est surtout parce qu'après tout ce temps, je ne comprends toujours pas ce qu'elle voit en moi. Il faudrait que je l'appelle un de ces jours.

J'enfile une écharpe, attrape mon sac, mes clés et sors de l'appartement. Une fois dans l'ascenseur, je remarque un petit mot scotché sur le miroir :


"Chers nouveaux voisins, je voulais vous prévenir que je vais emménager cet après-midi au 3ème étage et risque donc de faire un peu de bruit. Bonne journée !"


Tiens, un nouveau voisin ? J'étais bien contente quand les anciens locataires d'en face de chez moi étaient partis. Famille nombreuse et murs épais comme une feuille de cigarette font rarement bon ménage. Qui vais-je avoir à la place ? J'espère secrètement que ce soit un petit vieux calme et silencieux quand les portes s'ouvrent. Je m'aventure dans les rues de Paris et regrette instantanément de ne pas m'être couverte plus chaudement. Paris est traitre pour ça, le ciel a beau être bleu et sans nuages, les grandes rues sont sujettes au vent glacé, mais heureusement le métro n'est pas trop loin de chez moi. J'entre dans les tunnels malodorants de la capitale et tambourine comme tous les matins ma carte de transport sur la borne jusqu'à ce qu'elle la reconnaisse. Comme une fourmi, je m'insère alors dans le flot de travailleurs à la mine grisonnante jusqu'à la fourmilière, mon boulot où j'insère des chiffres dans des tableaux à longueur de journées, et ce pour une somme dérisoire en fin de mois. Est-ce que ce boulot me plait ? Non, pas vraiment. Pourquoi j'y reste ? Bonne question. Par manque de courage sûrement, ou par peur de ne rien trouver d'autres.

J'arrive toujours un peu en avance, pour une raison toute simple : mon responsable. Si par malheur vous arrivez avec un poil de retard, il n'hésitera pas à vous réprimander devant tout le monde. Moi qui n'aime pas attirer l'attention, il m'a suffi d'une seule fois pour vite apprendre la leçon. Le pire, ce sont ses yeux : injectés de sang. Cet homme a l'air fou à lier, avec ses grands gestes nerveux et ses hurlements primaires. Je déteste sa façon de rabaisser les gens, son air hautain et méprisant qui me déstabilise complètement. C'est à se demander ce qu'il fait encore là et comment on peut autoriser des gens comme lui à diriger.

Je m'assois donc à mon poste en jetant un coup dans son bureau. Ouf, il n'est pas encore là. Je travaille dans un petit bureau individuel en open-space mais avec suffisamment d'intimité pour ne pas me sentir encerclée. Travailler en équipe n'est pas une de mes grandes forces, aussi cet espace me convient parfaitement. Les autres employés arrivent petit à petit, se saluant avec grande voix en se racontant les dernières anecdotes du week-end. J'ai tout de même le droit à quelques bonjours polis, mieux que d'habitude. Ça me donne l'impression d'être le vilain petit canard qui n'a pas sa place dans cette grande clique d'amis. Si seulement je pouvais faire le premier pas vers eux, mais ma timidité est plus forte que moi.

- "Salut Emma, ça va ?"

Je me fige sur place. C'est mon voisin de table qui me regarde, un grand sourire aux lèvres. C'est rare qu'il m'adresse la parole, il doit être de très bonne humeur.

- "Je.. euh, oui ça va, merci."

Mon naturel me rattrape d'un coup et je me retrouve à fixer mon écran d'ordinateur en faisant semblant d'y regarder la chose la plus importante du monde. Je sens mon voisin me fixer et, constatant que je ne suis pas apte à la conversation, se redresse de son bureau et file droit sur une autre collègue. Je me maudis intérieurement. Le voilà, le geste spontané d'attention que je cherchais depuis longtemps, et je l'ai complètement gâché. Ça m'étonnerait fort qu'il revienne me parler dorénavant.

Ce qui est horrible avec le manque de confiance en soi, c'est que vous devenez vite parano. On s'imagine que les autres se moquent de nous dans notre dos, mais la réalité est tout autres et d'autant plus douloureuse : ils ne parlent absolument pas de vous. Vous n'existez pas.


La journée finit, je rentre chez moi d'humeur maussade. J'entre dans le hall d'entrée de l'appartement et attends l'ascenseur. C'est à ce moment-là qu'entre la gardienne. Ça fait 60 ans qu'elle occupe le bas de l'immeuble et c'est bien la seule qui se soucie un peu de moi. En me voyant, son visage parut soucieux :

- "Alors mademoiselle Emma, qu'est-ce qui vous arrive ? Vous êtes malade ?"

- "Je suis juste un peu fatigué, ne vous inquiétez pas."

- "Ah non, moi je sais ce dont vous avez besoin. Il vous faut un homme qui s'occuperait de vous, c'est aussi simple que ça !".

Si seulement c'était aussi simple.


Seulement voilà, ce que je ne savais pas, c'est que rencontrer cet homme allait finalement être très simple. Il suffisait simplement de sortir en trombe de l'ascenseur et de bousculer celui qui tenait un gros carton dans ses bras. Le nouveau voisin.


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