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Arrivés à la pause je n'avais pas été le seul bousculé par la prof. Mme Merilleux n'hésitait pas à rudoyer les bavards et à mettre en boîte les plus sages lors de questions.

Je branchai le gars aux cheveux mi-longs un moment sur son parcours, et à propos des informations que j'avais pu manquer. Il m'apprit des choses fort intéressantes sur la sélection à la clef, le stage mieux côté que je ne l'imaginais, on le lui avait chaudement recommandé. Une chance d'y être tombé, je devais maintenant m'y investir plus profondément pour en récolter des fruits mûrs.

La matinée se termina mieux. Plus attentif, je répondis à quelques questions pertinemment, histoire de redorer mon blason.

Entre midi et deux je rentrai manger dans une maison enfin abandonnée par mes parents et ma sœur partis à la plage. Un petit roupillon et je repris l'après-midi plus sérieusement encore.

Une heure avant l'examen marquant la fin de la journée, un petit incident émailla le bon déroulement du cours.

Un de mes voisins venait d'être rabroué par son collègue parce qu'il ne cessait de lui emprunter son blanc correcteur. Ce duo représentait caricaturalement le couple du faible faire valoir et du fort fait valu. Ayant été moi-même un suiveur pendant de longues années d'école primaire, je m'interposai sur le ton de la boutade et m'adressai à l'emprunteur de blanc correcteur tel un chevalier blanc d'opérette : « laisse tes ratures et demain je te passe le mien. » Remarque inutile, juste histoire de jouer le malin et de désamorcer la situation. Une façon comme une autre de me rendre intéressant. Mes sourires séducteurs fonctionnent avec tout le monde ou presque.

En me penchant en avant pour intervenir je fis tomber ma feuille par inadvertance. Je m'en aperçus au moment de me rasseoir. N'émettant pas l'hypothèse de la blague nulle, je passai sous ma table à la recherche de ma page perdue. Intriguo-dérangée par ma recherche maladroite, la formatrice approcha.

Je me retrouvai nez à pieds avec les escarpins de Mme Merilleux. En un plan cinématographique mes yeux remontèrent de ses fines chevilles à son visage contrit. Je devins un adolescent qui vient de soulever la jupe d'une fille. Emoustillé par le parcours visuel affriolant de ce corps séduisant, elle ne m'était pas apparue aussi charmante jusqu'en cet instant. Je me relevai bruyamment, maladroitement, bousculai chaise et table pour reprendre ma place, les pommettes rosies, le coeur écarlate, et la classe amusée.

A coup sûr elle perçut mon émoi. Mécontente de mon interruption, elle voulut en profiter pour me déstabiliser habilement. Mais Fabienne, pardon Mme Merilleux, ne pouvait prévoir ma réaction.

Ignorante, je suis « base jumper » depuis deux ans ! J'adore ces sauts risqués depuis un point de faible altitude. Je compare ces défis extrêmes aux croisées de fer, ces duels à la vie à la mort, ces escarmouches létales comme dans les films de cape et d'épée. Le parachutisme m'a amené à me découvrir, le base-jumping à me surpasser. Or, au moment où elle commençait à quasiment m'invectiver, probablement pour voir ce que j'avais dans le ventre dans un échange verbal, je me suis retrouvé comme en haut d'un pont prêt à sauter.

La joute fut un épisode étrange. Malheureusement je ne me souviens pas bien du contenu, des mots échangés. Comme si la passe d'armes verbale s'était déroulée dans un rêve, un peu floue dans ma tête, telle un fantasme. A moins que la vision de son corps en me relevant ait perturbé l'impression de ce souvenir dans mon cerveau. Un instant mémorable sans mémorisation. Je vis une sensation similaire sur certains sauts, je me demande après coup quand et comment j'ai bien pu tirer sur la chevillette au bon moment pour ne pas choir et m'écraser au sol.

Notre échange arrivé au point où elle allait me virer de la salle, j'adoptai à nouveau un profil bas, les enjeux devenaient différents et pas question de me voir renvoyer de ce stage, ou plutôt de me priver de ses apports.

En tous cas je suis sûr de l'issue : « ne dites plus un mot. » Effectivement je n'en dis plus un, et pour la remercier de ne pas m'exclure sans ouvrir la bouche, je posai ma main droite sur le cœur et m'inclinai du regard. Mon attitude de chien battu finit de l'ébranler. Match nul.

Au final j'étais persuadé de l'avoir accrochée, peut-être même excitée, non le mot est trop fort. Histoire de reprendre son souffle et les rênes de son cours, Mme Merilleux nous donna un exercice.


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