Richard et Pré-au-Lard
Un jeudi soir du début octobre, Vega était assise à une table de la salle commune, apportant les dernières touches à son essai de défense contre les forces du mal. Trois parchemins sur les sortilèges impardonnables. Tory et Grace avaient déjà terminé le leur et s'étaient installées sur un divan non loin, discutant de la première sortie à Pré-au-Lard, dont la date avait été annoncée la veille.
Alors qu'elle effaçait la dernière phrase de son devoir, Vega entendit quelqu'un s'asseoir face à elle. Elle leva la tête et vit Richard, qu'elle accueillit avec un sourire.
— T'as besoin d'aide pour le devoir de défense ? demanda-t-elle.
— Non, en fait, je...
Il s'arrêta pour se racler la gorge et Vega le fixa, curieuse. Il gardait les yeux baissés et se triturait les mains sur la table. Étrange, lui qui était si sûr de lui d'habitude...
— Je me demandais si tu voudrais m'accompagner à Pré-au-Lard la fin de semaine prochaine.
Vega eut un petit rire.
— Bien sûr. On y va toujours ensemble, Richard, avec Joff, Grace, Tory...
Le garçon baissa les yeux, le bout du nez rouge, et Vega ne comprit pas ce qu'elle avait dit de mal.
— Excuse-nous deux secondes, Richard.
Grace et Tory avaient visiblement écouté toute la conversation et s'étaient approchées de la table, tirant Vega jusque derrière une étagère qui masquait un coin de la pièce.
— Aïe ! s'exclama Vega, se massant le bras. Qu'est-ce qui vous prend ?
— Qu'est-ce qui nous prend ? répéta Tory d'un ton incrédule. « On y va toujours ensemble, Richard. » Non, mais quelle cruche tu fais !
Le regard de Vega, perplexe, passait de Tory à Grace, qui avait l'air de s'amuser.
— Vega, il te demandait de l'accompagner à Pré-au-Lard, expliqua-t-elle avec un sourire en coin. Lui, pas en groupe. Vous deux. Seuls.
Vega la fixa un instant, puis écarquilla les yeux, comprenant ce qui venait de se passer.
— Moi ?! Mais... pourquoi ?
— Va savoir, dit Tory, moqueuse. Mais il est gentil, et il est pas mal. Tu pourrais faire pire.
Vega se pencha pour voir la salle commune. Richard n'avait toujours pas bougé, jouant d'une main avec la plume de Vega, semblant attendre que quelque chose se passe. Avec ses boucles brunes qui tombaient dans ses grands yeux bleus, c'était vrai qu'il était pas mal.
— Bon, assez réfléchi.
Grace et Tory attrapèrent chacune Vega par un bras et la poussèrent vers la table. Richard leva la tête quand elle réapparut brusquement, heurtant la table avec sa hanche, et le regarda d'un air incertain.
— Alors euh..., commença Vega, sentant ses joues se réchauffer. Ça me ferait plaisir que... qu'on aille à Pré-au-Lard ensemble.
Sans dire un mot de plus, mais son visage s'illuminant d'un énorme sourire, Richard se releva et alla rejoindre Joffrey. Vega vit les deux garçons se taper dans la main, victorieux, et se tourna vers ses amies, un sourcil haussé. Grace et Tory, se retenant visiblement de rire, lui firent des pouces en l'air.
Vega leva les yeux au ciel et se laissa retomber sur sa chaise, tirant son devoir vers elle, déterminée à la terminer avant d'aller se coucher. Elle penserait à Richard et à Pré-au-Lard plus tard.
***
Comme c'était maintenant son habitude au cours de divination du lundi matin, Vega se dirigea aussitôt vers la table où l'attendait déjà Rionach. Celle-ci lui adressa un sourire pendant qu'elle s'installait. Ils avaient commencé la semaine précédente à étudier l'influence des mouvements planétaires sur le futur, et avaient eu comme devoir d'identifier tous les astres visibles depuis le château. Personne n'avait osé dire à Trelawney qu'ils avaient déjà largement abordé le sujet avec Firenze, l'année précédente, et que le devoir avait donc été un jeu d'enfants.
Alors qu'ils entamaient leur tâche de la journée, qui consistait à analyser le ciel comme il avait été au moment de leur naissance, Vega remarqua que Rio semblait distraite.
— Qu'est-ce qui se passe ?
La Gryffondor fit un signe du menton, indiquant quelque chose qui se trouvait du côté des vert et argent de la salle de classe.
— Il y a un Serpentard, là-bas, qui nous fixe depuis le début du cours.
Vega se tourna subtilement.
— C'est Richard.
— Ton copain ?
— Non !
Puis :
— On va à Pré-au-Lard ensemble samedi.
— Je vois.
Était-ce dans l'imagination de Vega, ou Rionach avait-elle semblé déçue ?
— Tu vas y aller aussi ? demanda-t-elle, ayant soudainement l'étrange envie de changer de sujet.
— Avec des amies, répondit Rio d'une voix sèche. Je t'aurais invitée à te joindre à nous, mais je suppose que tu vas être occupée avec tes copains de Serpentard.
La discussion sembla jeter un froid sur leur table, et le reste de cours se déroula presque dans le silence le plus complet, aucune des deux filles ne regardant même sa voisine. Leurs éclats de rire habituels semblaient bien loin ; même Trelawney semblait se rendre compte que quelque chose clochait et vint plusieurs fois à leur table leur demander si tout se passait bien.
Quand la professeure leur indiqua qu'ils pouvaient remballer leurs affaires et quitter le cours, Vega voulut parler à Rionach, mais celle-ci avait déjà rangé son sac et se dirigeait vers la trappe. Devant elle-même se presser pour descendre au cours de Slughorn, Vega n'eut pas le temps de suivre la Gryffondor et d'essayer de la retrouver et de lui parler. Ce fut donc le cœur lourd, avec l'impression floue d'avoir fait une bêtise irréparable, qu'elle se rendit aux cachots pour son cours de potions.
***
Le samedi suivant, Vega avait l'impression de porter un masque. Grace et Tory l'avaient réveillée à l'aube, pour la maquiller, la coiffer et l'habiller pour cette grande journée.
— Pourquoi je peux pas mettre des jeans et un t-shirt, comme d'habitude ? rouspéta-t-elle quand Tory lui envoya une robe courte vert forêt dans les bras.
— Parce que tu sors avec un garçon ! répondit Grace depuis derrière elle, où elle s'affairait à tresser les cheveux bruns de son amie. C'est une occasion spéciale, et tu dois être habillée de façon appropriée !
— Mais je vais geler avec ça !
— Il faut souffrir pour être belle !
Pendant près d'une heure, tout en la malmenant sous prétexte de la rendre présentable – comme si elle ne l'était pas d'habitude –, Grace et Tory babillaient avec excitation, listant toutes les caractéristiques de celui qu'elles voyaient déjà comme l'âme sœur de Vega. « Sang pur jusqu'à la septième génération, un excellent parti ! « souleva Grace. « Des yeux profonds qui font rêver quand il te regarde ! « soupira Tory.
Malgré tout cela, Vega continuait à ressentir plus d'appréhension que d'excitation. Oui, bien sûr, Richard était gentil et il avait toujours été un super ami, mais... Voilà. Il y avait un « mais «, et elle ne croyait pas qu'il devrait y avoir de « mais « dans cette situation.
Bientôt, elle fut fin prête, et n'eut d'autre choix que de plaquer un sourire sur son visage maquillé et de se rendre à la salle commune, flanquée par Grace et Tory. La salle était remplie d'élèves courant à droite et à gauche, se préparant pour la journée au village, et Grace fut la première à repérer Richard et Joffrey, qui attendaient près de l'aquarium. Les trois filles se frayèrent un chemin jusqu'à eux, et Richard se tourna vers elles en les entendant arriver. Il rougit en voyant les jambes nues de Vega – elle allait vraiment avoir froid – et dit :
— Tu es très jolie.
Vega sourit quand Tory lui envoya un coup de coude dans les côtes. Après un petit moment inconfortable où les cinq Serpentard se regardaient sans trop savoir quoi faire, Grace et Tory attrapèrent chacune Joffrey par un bras et se mirent en marche vers la sortie de la salle commune. Richard et Vega leur emboîtèrent le pas, côte à côte, mais ne se touchant pas, se regardant à peine.
La jeune fille jetait des coups d'œil rapides à son voisin alors qu'ils montaient vers le Hall, se demandait comment la journée allait se dérouler. Elle n'avait jamais été à Pré-au-Lard autrement qu'avec des amis – n'avait même pas imaginé y aller autrement –, alors n'avait aucune idée à quoi s'attendre.
Le début de la journée se déroula comme avaient commencé toutes ses visites précédentes à Pré-au-Lard : ils avaient défilé devant Argus Rusard, puis s'étaient engagés sur le chemin qui descendait jusqu'au village, entourés d'autres élèves. Après quelques minutes de marche, Richard et Vega avaient fini par se détendre et s'étaient joints aux plaisanteries de leurs amis. Le trajet passa ainsi à toute vitesse, et ils arrivèrent bientôt à l'entrée de Pré-au-Lard. Tory, Grace et Joffrey se tournèrent pour faire face à Richard et Vega.
— Bon, on fait quoi ? demanda Tory.
— Moi je gèle, on pourrait commencer avec une bonne bièraubeurre ?
Vega avait parlé avant de réfléchir. Elle avait eu soudainement très peur d'être laissée seule avec Richard, et elle avait effectivement très froid – jamais plus elle ne prendrait des conseils vestimentaires de Tory.
Le groupe de Serpentard se dirigea alors vers les Trois Balais, choisissant une table non loin de la porte. Aussitôt les deux garçons furent-ils partis vers le comptoir demander leurs verres à Rosmerta, Grace et Tory s'assirent face à Vega, le visage sérieux.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Euh... je me réchauffe ?
Grace secoua la tête, l'air dépité.
— Après la bièraubeurre, on va partir, Tory et Joff et moi, et on ne veut plus te revoir avant trois heures, au moins !
Vega écarquilla les yeux.
— Trois heures ! Mais je fais quoi avec lui pendant tout ce temps ?
Ses amies levèrent les yeux au ciel dans un mouvement presque identique.
— Rappelle-moi de te prêter un de mes Moira Wonn, dit Tory, faisant référence à son auteure préférée de romans d'amour.
Richard et Joffrey réapparurent à ce moment. Richard posa un verre du liquide ambré devant Vega, et elle le remercia avec un large sourire, avalant goulûment plusieurs grandes gorgées, le liquide chaud la réchauffant jusqu'au bout des orteils. Quand elle reposa le verre avec un soupir et leva les yeux, ce fut pour constater que ses amis la fixaient, l'air amusé. Elle sentit le rouge lui monter aux joues une fois de plus.
— Quoi ?
—Tu as un peu de...
Elle sentit un doigt se poser délicatement au coin de ses lèvres, et se tourna si rapidement que sa tresse fouetta la Serdaigle assise derrière elle. Richard lui montra son pouce, où il y avait une traînée de mousse qu'il venait visiblement d'essuyer de la joue de Vega, puis mit celui-ci dans sa bouche.
Si elle avait eu un miroir à portée de main, Vega était certaine qu'elle aurait été rouge comme une pivoine.
Heureusement, sentant son malaise, Tory et Grace prirent le contrôle de la conversation, abordant toutes sortes de sujets demandant sa participation et celle de Richard. Comme lors de la marche, elle finit par relaxer, se sentir à son aise. Elle ne sursauta même pas quand Richard, sous la table, s'approcha d'elle sur le banc jusqu'à ce que leurs cuisses se touchent.
Quand elle eut avalé la dernière gorgée de sa bièraubeurre et reposé son verre vide sur la table, Grace et Tory se levèrent.
— Je dois aller chez Scribenpenne acheter un cadeau d'anniversaire à Daphné, dit Tory. Joff, tu nous accompagnes ?
— Hein ? demanda Joffrey, qui n'avait pas l'air d'avoir tout suivi. Ah euh, oui oui, bien sûr.
— À la prochaine alors ! dit Grace, enfilant son gilet. On se retrouve plus tard ?
Elle lança un dernier coup d'œil à Vega, qui lui indiqua d'un hochement de tête que tout allait bien, avant de sortir du pub.
Une fois seuls, Richard et Vega replongèrent dans un silence gêné, s'échangeant quelques sourires et coups d'œil en biais. Finalement, avant que le moment ne puisse trop s'étirer, ils ouvrirent tous les deux la bouche en même temps.
— Est-ce que tu voudrais –
— On pourrait peut-être –
Avec un rire, ils s'interrompirent. Vega fit signe à Richard se prendre la parole – son idée serait probablement meilleure que celle qu'elle avait eue, de toute manière.
— Je disais que j'avais une lettre à envoyer, dit Richard. Est-ce que ça te dirait de m'accompagner à la poste ?
Vega hocha la tête avec enthousiasme – elle avait toujours adoré visiter tous les hiboux du bureau de poste – et enfila son manteau.
Alors qu'ils venaient de sortir des Trois Balais, déterminée à ne pas laisser un silence inconfortable se réinstaller entre eux, Vega demanda :
— Pourquoi n'as-tu pas utilisé un des hiboux de l'école pour envoyer ta lettre ?
— J'écris à un de mes cousins en Russie. Les hiboux de l'école ne sont pas assez solides pour voler aussi loin.
Vega hocha la tête.
— J'ai écrit à mon cousin à Durmstrang une fois, j'avais pris un moyen-duc dans la volière, raconta-t-elle. La lettre a mis deux semaines à se rendre, quand le hibou est revenu il avait encore de la glace sur ses plumes, et il s'enfuit maintenant dès que je mets les pieds dans la volière.
Richard éclata de rire en ouvrant la porte du bureau de poste pour Vega. Celle-ci entra et se mit aussitôt à admirer la panoplie de volatiles qui attendaient calmement qu'on leur donne une tâche, des petits-ducs pour les envois locaux jusqu'aux grandes chouettes Lapones, semblant assez grandes pour avaler leurs petits voisins d'une seule bouchée. Pendant que Richard choisissant un harfang des neiges pour son envoi – Vega tairait la ressemblance de son choix au hibou de Harry Potter, qu'elle admirait chaque fois qu'il apparaissait dans la Grande Salle –, la jeune fille se promenait entre les étagères, se laissant emporter par la chaleur de l'endroit et l'odeur de tous les oiseaux, gratouillant la tête de ceux qui l'accueillaient avec un hululement et les laissant lui mordiller le bout des doigts.
— Je ne savais pas que tu aimais les hiboux à ce point, dit Richard, qui avait terminé sa transaction et l'avait rejointe dans le coin des chouettes hulottes.
— J'ai toujours voulu en avoir un, répondit Vega. J'en ai demandé un pour ma première rentrée à Poudlard, mais mes parents m'ont donné un chaton. Ils disaient que les hiboux de Poudlard me serviraient tout aussi bien.
Ils passèrent encore une vingtaine de minutes dans le bureau de poste. Richard n'avait pas prévu passer une sortie qu'il aurait voulue romantique entre tant de fientes d'oiseaux, mais le sourire paisible qui ornait maintenant le joli visage de Vega en valait la peine.
Quand ils ressortirent dans la grand-rue, ce fut Vega cette fois qui suggéra leur prochaine destination. Ils tournèrent tout de suite à droite, en direction du petit boisé qui marquait l'extrémité du village. Après quelques pas, Richard approcha doucement sa main de celle de son amie, la touchant délicatement d'un seul doigt, comme s'il avait peur qu'elle s'enfuie. Le cœur de Vega fit un bond dans sa poitrine, et elle fut traversée d'une soudaine envie de croiser les bras sur sa poitrine.
« Idiote ! la fustigea Tory dans sa tête. Prends sa main, maintenant ! «
Prenant une grande inspiration silencieuse, Vega tendit la main et agrippa celle de Richard, gardant le regard fixé sur les arbres droit devant elle. La main du garçon était moite – ou peut-être était-ce la sienne –, mais la pression qu'il exerçait sur ses doigts n'était pas déplaisante. Elle ne rougit même pas quand ils croisèrent Daphné Greengrass et ses amies, qui sourirent en les regardant passer.
Ils se promenèrent pendant près de trois quarts d'heure, admirant les superbes couleurs des arbres de mi-octobre, les feuilles oranges tombées craquelant sous leurs pas. Ils se rendirent même jusqu'à la barrière qui séparait le village de la maison hantée, qu'ils voyaient un peu plus loin. Ils s'y appuyèrent un moment, contemplant les murs sombres et les fenêtres masquées de la vieille maison.
— Je me suis toujours demandé si cette maison était vraiment hantée, dit Richard d'un air pensif.
— Apparemment elle n'a pas fait de bruit depuis des années, répondit Vega. Mon père était à l'école quand elle a été construite, mais il paraît qu'elle est silencieuse presque depuis qu'il a gradué.
Ils restèrent silencieux un instant. Vega fut soudain traversée d'un violent frisson, et Richard se tourna vers elle.
— Mais tu es gelée ! s'exclama-t-il. Viens ici.
Il la prit par la main et l'attira vers un banc posé à l'orée du boisé. Quand elle fut assise, il retira sa cape et la posa sur les jambes de la jeune fille.
— Mieux ? demanda-t-il en s'asseyant à ses côtés.
— Très, répondit-elle avec le sourire. Merci.
Puis, doucement, il se pencha vers elle et déposa ses lèvres sur les siennes. Au début, figée, elle garda les yeux grands ouverts et n'osa pas bouger d'un poil, mais elle finit par relaxer et fermer les yeux, approfondissant le baiser. Son premier baiser.
Finalement, ça ne serait peut-être pas si mal que ça, avoir un copain.
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