Plaisir et hôpital
Pendant le mois de mars, l'humeur de Vega était à son comble. Elle voyait bien que cela rendait ses amis perplexes, et que Richard se renfrognait de plus en plus chaque fois qu'il la voyait sourire et rire, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle avait recommencé à travailler avec Rio dans tous les cours de divination, et du coup toutes ses semaines partaient du bon pied.
Encore plus plaisant pour les trois Serpentard, Theodore semblait avoir complètement disparu de leurs vies. Il n'était plus jamais à l'horizon partout, dans leur champ de vision dès qu'elles se retournaient, comme il l'avait été au début de l'année. Il ne leur adressait pas le moindre mot les rares fois où ils se croisaient, ne posait même pas le regard sur sa sœur. Vega espérait que ce qu'il lui avait fait lui pesait très lourd sur la conscience, lui pèserait jusqu'à la fin de ses jours. Grace n'avait jamais voulu déposer de plainte officielle, et ses amies avaient fini par accepter sa décision – plutôt à contrecœur –, mais Vega croyait que si le karma existait, il en devait beaucoup à l'aîné des Nott.
L'effet de cette situation était apparent sur Grace. Elle avait fini par retrouver le sourire, sortait plus souvent de son dortoir, avait recommencé à se laisser approcher par les autres garçons de quatrième année. Seules Tory et Vega voyaient encore la lueur sombre qui passait dans ses yeux, de temps en temps, et entendaient ses gémissements résonner dans le dortoir quand elle faisait encore des cauchemars.
En tout et pour tout, ce mois fut excellent pour Vega de tous les points de vue, sans qu'elle ne puisse dire exactement pourquoi. Ses notes augmentèrent dans tous les cours, les lettres qu'elle écrivait à ses parents respiraient tellement la joie que même ceux-ci le remarquèrent, et son chat profitait éhontément de la nouvelle bonne humeur de sa maîtresse en lui quêtant des friandises chaque fois qu'il la voyait – et en en recevant à peu près neuf fois sur dix.
***
Un samedi de la fin du mois, Vega, Astoria et Grace sortaient de la bibliothèque en fin de matinée, leur long devoir d'astronomie enfin terminé, quand elles virent au bout du couloir Drago en grande discussion avec deux fillettes. Ce n'étaient pas les mêmes que la dernière fois : les deux étaient brunes, cette fois. Elles arboraient cependant le même air bougon.
— Venez, je veux aller lui souhaiter bonne chance pour le prochain match de Quidditch, dit Tory en commençant déjà à marcher.
S'échangeant un regard perplexe, Grace et Vega lui emboîtèrent le pas. Avant qu'elles n'atteignent le préfet, cependant, celui-ci fit volte-face, sans les avoir aperçues, et partit dans le couloir perpendiculaire, toujours suivi des deux petites Serpentard. Tory ralentit un peu, puis redoubla de vitesse.
— Roh, pourquoi elle décide de faire ça maintenant ? grommela Grace. J'ai faim !
Elles suivirent l'étrange trio le long de plusieurs corridors, sans jamais le rattraper. Finalement, elles tournèrent un coin, croyant enfin pouvoir arriver face à face avec l'objet de leur quête étrange, mais elles ne virent qu'on corridor vide. Les sourcils froncés, Tory tourna le prochain coin, mais personne ne se cachait plus loin non plus.
— Hum, elle est vraiment moche, cette tapisserie, commenta Grace devant l'image d'un troll en tutu. Bon, on peut aller manger maintenant ?
L'air déçu, Tory acquiesça et les filles rebroussèrent chemin, tournant le coin par lequel elles venaient d'arriver... et freinèrent en hurlant de surprise.
Deux elfes de maison, plus moche l'un que l'autre, étaient en train de se chamailler au centre du corridor, l'un tirant sur les longues oreilles de l'autre qui, lui, pinçait le gros nez du premier. Tous se figèrent quand les trois filles apparurent, puis les elfes disparurent avec un « pop ! » sec. Vega se pinça à travers sa chemise pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, puis dit :
— Eh bien, il se passe de plus en plus de choses étranges dans le coin...
***
La dernière partie de Quidditch de Serpentard de la saison, contre Poufsouffle, se déroulerait le troisième samedi d'avril. Tory et Grace, qui avaient toutes les deux fini par se remettre de leurs déceptions du début de l'année et par retrouver leur intérêt pour le sport – à la déception de Vega, qui avait bien apprécié de pouvoir passer des journées presque seule dans la salle commune pendant que les trois quarts de sa maison étaient au terrain –, convainquirent leur amie de sortir assister au match avec elles. Elles se rendirent donc dans les gradins, un simple chandail de laine avec une écharpe mince les protégeant de la température frisquette de ce printemps. Elles prirent place au centre du gradin qu'avaient investi les Serpentard, un petit coin de vert dans une mer de jaune canari. Elles devaient placer leurs mains en visière pour cacher le soleil éblouissant.
— Drago ne verra rien, dit Tory en scrutant le terrain. J'espère qu'il a pensé à prendre des lunettes de soleil.
Mais quelques minutes plus tard, quand l'équipe de Serpentard vint se placer face à celle de Poufsouffle, elles virent qu'Alex Harper avait une fois de plus remplacé l'attrapeur habituel. Tory ouvrit la bouche, mais Grace fut plus rapide :
— Non, on ne rentre pas.
Vega rit, alors que Tory se renfrognait, mais elle retrouva bien vite le sourire quand les quatorze joueurs et l'arbitre s'envolèrent, et que la partie commença.
— Reddington de Poufsouffle en possession du Souafle. Je me demande si les joueurs de Poufsouffle savent ce que représente la couleur de leur uniforme. Le jaune soleil est la couleur préférée des Ronflaks Cornus, vous savez. Helga Poufsouffle le savait certainement en choisissant les couleurs de sa maison, et voulait amadouer ces créatures si gentilles si on sait s'y prendre avec elles...
Des ricanements se faisaient entendre partout autour de Vega, alors que les regards des partisans se tournaient vers le box des commentateurs.
— C'est Loufoca Lovegood ! s'exclama Grace en rigolant. J'avais entendu qu'elle commentait des matchs cette année. Excellent, je pourrai voir de quoi tout le monde parle !
Vega plissa les yeux, tentant de mieux voir la Serdaigle qu'elle ne connaissait que de nom – et de réputation. Elle savait qu'elle avait aussi été amie de Ginny pendant leur enfance, même si Vega ne l'avait jamais rencontrée pendant qu'elle était chez les Weasley, et qu'elle avait été au département des mystères en juin dernier, avec Harry Potter. Elle ne pouvait pas être si folle que ça, alors, si elle participait à des batailles contre les Mangemorts.
Le directeur de la maison de Serdaigle, le tout petit professeur Flitwick, était en train de discuter avec véhémence avec Luna Lovegood, tentant – apparemment en vain – de la ramener sur le droit chemin et de partager le score du match plutôt que ses pensées sur le chignon de la gardienne de Poufsouffle, qui ressemblait selon elle à un nid d'augurey.
De l'autre côté de la commentatrice, le professeur Rogue était appuyé au dossier de sa chaise et semblait s'enuyer royalement. Il ne prêtait pas la moindre attention à la discussion de ses voisins, et tapait vaguement des mains deux ou trois fois chaque fois que son équipe marquait un but. Il semblait distrait, pensait Vega, presque frustré, comme s'il avait hâte de pouvoir aller faire autre chose. Au moins elle n'était pas la seule à vouloir que la partie se termine plus tôt que tard, pensa Vega.
Son souhait se réalisa quelques minutes seulement plus tard, quand un hurlement de joie fit presque trembler les gradins. Vega faillit se joindre à l'allégresse ambiante quand elle remarqua les moues et les airs déçus autour d'elle. Elle remplaça vite son sourire par une moue et chercha des yeux le tableau indicateur, où les chiffres étaient en train de changer. Score final : 370 à 80 en faveur de Poufsouffle. Elle en conclut que les canaris venaient d'attraper le vif d'or – dommage pour Harper, qui n'en avait pas attrapé un seul depuis le début de l'année.
Elle se leva avec sa maison et descendit les gradins, remontant vers le château en écoutant d'une oreille Grace et Tory discuter de la fin du tournoi, de qui devrait gagner quoi par combien de points pour remporter la coupe. Vega pensait déjà à son essai d'histoire de la magie, qu'elle avait prévu de terminer cet après-midi, quand elle vit, tout près de la porte d'entrée du château, Rionach entourée de ses amis, ceux que Vega reconnaissait des cours de divination, et d'autres qui ne lui disaient rien. Elle ne savait pas s'ils étaient tous de la même année, ou même de la même maison, mais ils portaient tous ce jour-là du jaune fluo et riaient à gorge déployée, visiblement ravis par le résultat de la partie d'aujourd'hui.
— Tu viens, on a le temps de redescendre avant le dîner.
Vega cligna des yeux et dut réfléchir un instant avant de se souvenir de l'endroit où elle se trouvait. Elle était arrivée dans le hall, et ses amies la regardaient, curieuses. Vega s'ébroua et leur fit un grand sourire.
— Désolée, j'étais dans la lune. Vous savez, moi et le Quidditch, c'est sûr que je finis par penser à autre chose !
Tory et Grace levèrent toutes les deux les yeux au ciel et commencèrent la descente vers la salle commune en faisant à Vega la leçon – la même qu'ils lui faisaient depuis quatre ans – sur l'importance du Quidditch et la signification de la victoire de la coupe. Elle faisait mine de les écouter, souriant et hochant la tête aux moments appropriés, mais son esprit était déjà reparti vagabonder ailleurs.
***
À la mi-mai, les filles se trouvaient dans la salle commune, Grace et Vega se disputant une partie d'échecs sorciers sous les yeux à moitié endormis de Tory, quand le mur de l'entrée s'ouvrit, laissant la place à Pansy Parkinson et à Blaise Zabini.
— Non, mais il n'a vraiment aucun honneur, disait Pansy d'une voix forte, parlant à Blaise, mais ne voyant visiblement aucun inconvénient à ce que tous les autres Serpentard l'entendent aussi. Attaquer son adversaire comme ça. J'ai entendu que Drago avait déjà reposé sa baguette quand Potter s'est jeté sur lui.
— Drago ?
À l'exclamation horrifiée de Tory, Pansy, qui passait à leur niveau, se tourna vers les filles. Vega vit que ses yeux étaient entourés de rouge, comme si elle avait beaucoup pleuré récemment.
— Qu'est-ce qui est arrivé à Drago ?
Pansy regarda autour d'elle, et sembla satisfaite de voir que plus de la moitié des occupants de la salle commune étaient tournés vers elle et semblaient attendre sa réponse avec trépidation. Elle se rapprocha de Tory, comme pour faire mine de lui répondre en confidence, mais sa voix criarde porta sa réponse jusqu'aux quatre coins de la salle.
— Il a été lâchement attaqué par Harry Potter, répondit-elle d'un ton dramatique. J'ai passé la soirée avec lui à l'infirmerie, il m'a tout raconté. Potter l'a attaqué sans provocation.
Elle soupira profondément.
— Une chance que le professeur Rogue était là, il lui a sauvé la vie. Sinon, ce petit enfant chéri serait devenu un sale meurtrier.
— Il devrait être renvoyé ! cria quelqu'un assis non loin de l'aquarium
Pansy hocha solennellement la tête, mais avec un sourire triste.
— Mais pensez-vous vraiment que ce vieux fou de Dumbledore va renvoyer son héros chouchou ?
Des exclamations outrées se firent entendre à droite et à gauche de la salle commune.
— C'est pas possible, marmonna Grace d'un ton fâché en face de Vega.
— Mais Drago, il va s'en remettre ? continuait Tory, inquiète.
Le regard de Vega passait d'une de ses amies à l'autre, ne sachant ni quoi dire, ni qui croire. Elle voulait bien croire que Drago était blessé, même que Potter en était la cause, mais elle n'était pas tout à fait prête à gober l'histoire que Pansy leur avait racontée. Elle ne connaissait certes pas Potter, mais elle connaissait très bien les Weasley, et elle doutait qu'ils s'associent à quelqu'un d'aussi déloyal que le dépeignait Parkinson.
— Vous croyez Pansy, vous ? demanda-t-elle à ses amies, plus tard ce soir-là, alors qu'elles se préparaient à se coucher. Que Potter a attaqué sans provocation ?
— Moi oui, sans problème, répondit aussitôt Grace. Potter et ses amis ne sont pas aussi brillants que tout le monde essaie de nous faire croire. Ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas, désobéissent aux règlements, et il n'y a jamais qui que ce soit qui les punit. Ils se croient tout permis. Même Fudge les traite comme de la royauté depuis l'été dernier.
Vega se mordit la lèvre. Elle savait que son amie ne pardonnerait jamais à Potter d'avoir envoyé son père à Azkaban, mais elle devait se retenir de lui dire que ceux qu'il avait fait tomber méritaient quand même un peu ce qui leur était arrivé.
— Qu'il ait été provoqué ou non, il reste qu'il a blessé Drago et qu'il doit être puni, ajouta Tory d'une voix dure.
— Et toi, tu ne la crois pas ?
Grace avait posé la question à Vega, et Tory et elle s'étaient tournées vers leur amie, sans sourire et le visage dur.
— Eh bien, je...
Vega se tut et détourna les yeux. Elle ne pouvait pas leur dire que non, elle ne croyait pas que Potter aurait pu faire du mal à Drago – à qui que ce soit – sans raison.
— J'imagine que oui, dit-elle finalement en fixant le poteau du lit de Grace.
Chacune des filles continua alors à se préparer à dormir, sentant, mais ne mentionnant pas, l'étrange tension qui semblait s'être installée.
Quand elles se couchèrent, Tory et Grace trouvèrent rapidement le sommeil. Vega passa de longues heures à entendre les respirations profondes de ses amies endormies et à se tourner dans tous les sens, l'esprit envahi de pensées inquiétantes sur Drago, sur Potter, sur les Mangemorts et sur la guerre, avant d'enfin se faire emporter par les bras de Morphée à son tour.
***
Le lendemain, au tout début de leur période libre du matin, Tory demanda à ses amies de l'accompagner à l'infirmerie.
— Je veux aller voir Drago, mais je serai trop gênée...
Amusées par son regard et son ton suppliants, Vega et Grace acceptèrent, et le trio se rendit dans l'aile infirmière du château. Avant d'arriver en vue de la porte, Tory s'arrêta au milieu du couloir, tendit sa baguette devant elle, et dit :
— Orchideus.
Un minuscule bouquet de lys émergea du bout de sa baguette. Elle grimaça, le projeta vers la corbeille, et recommença.
— Orchideus.
Le bouquet qui vit le jour était cette fois-ci à peu près quatre fois plus gros, mais il resta impeccable pendant un total de cinq secondes avant de faner, une fleur à la fois, jusqu'à avoir l'air d'un bouquet vieux de plusieurs semaines. Il rejoignit les lys dans la poubelle et Astoria tenta de nouveau :
— Orchideus !
Le troisième bouquet à émerger de la baguette en fut un composé entièrement de pissenlits. Avec un cri d'énervement, Tory l'envoya si violemment vers la corbeille qu'il rebondit contre le mur avant d'y tomber, laissant une tache jaune sur la pierre grise. Vega posa une main sur l'avant-bras de son amie et sortit sa propre baguette de sa poche.
— Orchideus.
Un ensemble parfait de marguerites blanches et jaunes sortit du bout de la baguette de Vega. Elle le décrocha et le tendit à Tory, qui la remercia avec soulagement.
Elles traversèrent le dernier corridor vers l'infirmerie, et entrèrent après avoir frappé à la porte ouverte. Un seul lit était occupé, au centre de la salle. Elles reconnaissaient les cheveux blonds de Drago contre l'oreiller. Même de la porte, elles voyaient que le visage du préfet était presque aussi blanc que les draps sur lesquels il était étendu, et que d'immenses cernes creusaient ses joues, comme s'il n'avait pas dormi depuis des mois. Assise à son chevet se trouvait bien sûr Pansy Parkinson. Le visage de Tory se rembrunit quelque peu quand elle vit la jeune femme qui tenait la main de Drago.
— Vous êtes venues pour Malefoy ? demanda Pomfresh, qui était apparue sans qu'elles ne la voient venir. Vous avez dix minutes, après il faut le laisser se reposer.
Tory avait semblé sur le point de perdre son courage et de faire demi-tour, mais Pansy avait entendu l'infirmière et avait levé la tête, alors Grace doña un petit coup dans ses côtes pour qu'elle avance.
— J'ai entendu... On a entendu ce qu'il t'est arrivé, et j'ai voulu t'amener...
Tory tendit vers le garçon le bouquet de marguerites, les oreilles si rouges qu'on aurait cru qu'elle venait d'avaler toute une bouteille de Pimentine. Pendant quelques secondes, le tableau resta figé, puis Pansy se leva et prit le bouquet des mains de Tory.
— Merci, dit-elle d'un ton presque moqueur. Tu es Astoria, non ? La petite sœur de Daphné ?
La façon dont elle insista sur le mot « petite » fit rougir Tory encore plus profondément. Les lèvres fines et pâles de Drago s'étirèrent en un sourire, et Tory bredouilla quelques mots avant de tourner sur ses talons et de presque fuir de l'infirmerie. Vega et Grace ne restèrent qu'un instant de plus pour foudroyer cette garce de Parkinson – qui ne se gênait pas maintenant pour sourire de toutes ses dents – du regard, avant de se tourner et de quitter à leur tour l'aile hospitalière.
Elles rattrapèrent Tory alors que celle-ci avait déjà dévalé la moitié des escaliers vers le rez-de-chaussée. Elle avait la mâchoire braquée et les larmes aux yeux.
— Te préoccupe pas de Parkinson, allez ! dit Vega.
— C'est une vraie garce, tout le monde le sait ! ajouta Grace.
Mais Tory ne répondit rien. Elle descendit ainsi, ignorant les tentatives de ses amies de lui remonter le moral, jusqu'à son dortoir. Là, enfin, elle se tourna vers Vega et Grace et leur adressa quelques mots.
— J'aimerais prendre un bain. Vous pourriez me laisser seule ? On se voit tout à l'heure en botanique.
Elles se consultèrent du regard, puis hochèrent la tête. Vega serra le bras de Tory en sortant du dortoir, et reçut un faible sourire en réponse.
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