Mascarade et idée

— ... et puis je l'ai arrosé de la tête aux pieds avec toute la boue du sentier ! Splash !

Depuis près d'une dizaine de minutes, debout au centre d'un groupe de Serpentard, Grace racontait leur rencontre de plus tôt avec Seamus et ses amis. Elle avait embelli pour l'auditoire – selon ses dires, les trois garçons avaient essayé de l'attaquer simultanément, et elle avait habilement esquivé – mais ni Tory ni Vega n'avaient envie de la contredire. Elles étaient simplement heureuses que leur amie garde toute l'attention pour elle et de pouvoir se fondre subtilement dans le fond du groupe.

Pendant que les Serpentard riaient aux éclats, Vega vit du coin de l'œil le sujet de leur amusement sortir de la boutique de l'autre côté de la rue, accompagné cette fois de Neville et de Cormac McLaggen. Seamus s'était lavé le visage, mais il avait toujours de la boue séchée sur les vêtements, et dans les cheveux. Vega voulut leur faire signe de faire demi-tour, mais trop tard : ses voisins les avaient déjà repérés.

— Regardez qui voilà, appela Joffrey d'une voix forte. Je croyais que l'emblème de Gryffondor était un lion, pas un cochon !

— Je parie que toute cette boue va aller à merveille avec le décor de votre salle commune, continua Grace d'un ton moqueur.

Les garçons ne tournèrent même pas les yeux vers eux, mais leur tournèrent le dos, continuant à marcher calmement vers le bout de la rue, comme si personne n'était en train de rire et de grogner comme des cochons derrière eux.

Vega voulait disparaître. Jamais elle n'avait eu aussi honte de ces gens qui, il n'y a pas si longtemps, comptaient parmi ses meilleurs amis.

Quand quelqu'un lui tapota l'épaule, elle sursauta et se tourna rapidement. Richard se tenait derrière elle, le visage sans expression.

— Est-ce qu'on pourrait se parler cinq minutes ? demanda-t-il d'une voix basse. Seuls ?

Le cœur de Vega fit un bond dans sa poitrine. Il voulait lui parler en privé ? De quoi ? Se pouvait-il qu'il ait deviné pour l'AD ? Déjà, après une seule rencontre ? Elle échangea un regard avec Astoria, qui ne fit que hausser une épaule avant de se retourner vers Grace, puis jeta un rapide coup d'œil vers les trois Gryffondor qui tournaient tout juste le coin. Bien sûr qu'ils ne lui seraient d'aucune aide.

— S'il te plaît, Vega...

La jeune fille se tourna vers son ancien copain et hocha la tête, le suivant jusque dans une allée entre deux boutiques, d'où ils ne voyaient plus le groupe qu'ils avaient quitté. Vega ne se laissa pas attirer trop profondément dans l'ombre, préférant rester à la vue de la rue.

— De quoi tu veux me parler, Richard ? demanda-t-elle, croisant les bras et s'appuyant contre le mur de briques.

Elle espérait que sa nervosité ne paraissait ni dans sa voix ni sur son visage.

Le jeune homme arrêta de marcher et se tourna vers Vega. Celle-ci fut surprise de voir que c'était lui qui semblait nerveux : il avait le visage rouge, se mordait la lèvre inférieure, avait les poings enfouis dans son veston. Le silence tendu dura plusieurs moments avant qu'il ne prenne une grande inspiration et dise :

— Je me demandais si tu voudrais qu'on se remette ensemble.

— Oh !

Surprise – et soulagée –, Vega se décolla du mur et décroisa les bras. Richard, semblant rassuré par le fait qu'elle n'avait pas éclaté de rire, leva les yeux vers elle et poursuivit.

— J'ai pensé à toi tout l'été, et j'ai réalisé que j'ai peut-être été trop rapide quand j'ai décidé de rompre avec toi. On était un super couple, non ?

Après un battement, Vega réalisa qu'il venait de poser une question, et acquiesça. Elle s'était attendue à tout sauf ça ! Elle ne pensait plus jamais à Richard comme cela depuis leur rupture, elle était entièrement passée à autre chose. À Rionach. Que ça n'ait pas été aussi le cas de Richard la surprenait au plus haut point.

— Alors, qu'est-ce que tu en dis ?

Vega cligna des yeux. Il voulait qu'elle prenne une décision immédiatement ? Richard sembla lire la panique sur son visage, parce qu'il ajouta précipitamment :

— Tu peux y penser si tu veux. Donne-moi ta réponse plus tard.

Avec un soupir silencieux de soulagement, Vega hocha la tête et lui sourit. Avec hésitation, Richard lui posa une main sur l'épaule et se pencha vers elle pour lui déposer un léger baiser sur une joue, avant de quitter l'allée presque au pas de course.

Aussitôt qu'elle fût seule, Vega se laissa retomber contre le mur et se plaqua les deux mains contre le visage. Elle avait envie de hurler, de fondre en sanglots et d'éclater de rire, tout ça en même temps. Normalement, elle se serait précipitée pour en parler à Tory et Grace, mais maintenant... maintenant, il n'y avait plus rien de normal.

Plutôt que de retourner sur la petite place où se trouvaient toujours les Serpentard, Vega se dirigea vers l'autre extrémité de l'allée où elle se trouvait, et émergea dans une deuxième rue presque déserte. Apercevant l'orée de la forêt non loin, elle se pressa en cette direction.

Passé les premiers arbres, elle avança encore une petite centaine de mètres, jusqu'à ne plus entendre un son provenant du village derrière elle. Dans une petite clairière, elle s'assit sur une souche d'arbre, posa son sac à ses pieds, et se permit enfin de penser à ce qui venait de se passer.

En temps normal, elle n'aurait pas attendu, elle aurait dit non immédiatement, au diable les conséquences. Mais il fallait bien se rendre à l'évidence que ces temps-ci n'étaient pas des temps normaux. Si elle avait refusé Richard de but en blanc, il lui aurait demandé des explications. Peut-être aurait-il pu lui pardonner d'être avec une fille, maintenant, mais que cette fille soit à Gryffondor, ça, ça aurait été impardonnable. La nouvelle se serait répandue dans sa maison comme une traînée de poudre, sa réputation aurait été foutue en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et sa place dans l'Armée de Dumbledore, déjà précaire, serait devenue doublement dangereuse.

Non, décidément, il lui faudrait trouver une bonne raison de rejeter Richard, sans qu'il ne se pose trop de questions sur ses motivations.

Peut-être pourrait-elle raconter avoir rencontré quelqu'un l'été dernier. Un sorcier plus âgé, ayant quitté Poudlard plusieurs années auparavant, qui préférait garder son identité secrète. Mais oui, bien sûr, un ancien Serpentard de sang pur...

Soudain, un bruissement se fit entendre derrière Vega. Elle sauta sur ses pieds, se demandant avec panique si Richard l'avait trouvée et si son mensonge allait déjà être mis à l'épreuve. Sa main se dirigea vers la poche où elle gardait sa baguette, mais elle la laissa retomber à ses côtés en reconnaissant les trois jeunes femmes qui étaient arrivées entre les arbres.

— Vous m'avez fait peur ! s'exclama-t-elle en se posant une main sur le cœur.

— Désolée, répondit Rionach avec un sourire en se dirigeant vers elle pour lui déposer un baiser sur la joue.

Romilda Vane lui adressa un petit signe de la main, mais la troisième Gryffondor ne fit que toiser Vega d'un air neutre, sans décroiser les bras.

— Qu'est-ce que tu fais toute seule ici ? demanda Rio.

— Tes amis les serpents sont dans le village.

Vega ne répondit rien, mais Rionach et Romilda se tournèrent pour foudroyer leur amie du regard. Celle-ci haussa une épaule et s'éloigna.

— Excuse-la, dit Rio en levant les yeux au ciel. Charlene a un gros béguin sur Seamus, et doit adopter toutes ses opinions.

— Je crois que je ferais mieux de m'habituer à ce genre de réaction...

L'Irlandaise scruta le visage de Vega quelques secondes, puis se tourna vers Romilda.

— Tu peux nous donner cinq minutes ?

La brune hocha la tête et partit rejoindre Charlene. Quand les deux Gryffondor eurent disparu entre les arbres, Rio prit Vega par la main et l'attira vers un tronc d'arbre tombé, où elles s'assirent côte à côte.

— Bon, raconte-moi. Qu'est-ce qui se passe ?

Vega soupira une nouvelle fois et lui raconta ce que Richard lui avait demandé. Elle sentait le rouge lui monter aux joues alors qu'elle parlait, et elle gardait les yeux rivés sur le bout de ses chaussures, qui traçaient un sillon dans la terre et les feuilles mortes.

— Alors j'étais en train de réfléchir à une façon de le rejeter, mais sans le pousser à me poser trop de questions, finit-elle. Parce que j'ai trop de choses à cacher. L'AD, toi...

— C'est pour ça que tu devrais accepter.

La Serpentard leva la tête à toute vitesse, abasourdie ?

— Pardon ? Tu veux que j'accepte de sortir avec Richard ?

— Tu l'as déjà fait, ça ne peut pas être si affreux que ça comme perspective !

— Mais... Et nous ?

— Oh, Vega !

Rionach se pencha en riant et plaqua un baiser sur les lèvres de son amie.

— Rien ne changera entre nous ! On peut déjà pas se montrer ensemble en public, alors une raison de plus, une raison de moins...

Les sourcils de Vega restaient froncés. Elle avait du mal à comprendre où la Gryffondor voulait en venir.

— Tu cours énormément de risques en te joignant à l'AD. C'est risqué pour nous tous, bien sûr, mais encore plus pour toi, entourée de serpents comme tu l'es. Alors si tu as un copain sang-pur comme Richard, qui pourrait croire que tu fais partie de la résistance ?

Malgré la boule de nervosité qui était née dans son ventre, Vega hocha la tête. Rionach marquait de très bons points. Et Richard n'était pas si mal, comme personne. Ce n'était pas comme si elle devait se rapprocher de Malefoy, ou de... Goyle.

— Et qui sait, continua la Gryffondor. Entre lui et Nott, tu pourras peut-être même récolter quelques informations utiles !

— Grace ? s'étonna Vega. Tu crois qu'elle sait des choses ?

Rionach haussa un sourcil moqueur.

— Avec un père et un frère comme les siens, si elle ne sait rien qui vaille la peine, je bouffe ma cravate.

Vega rigola, et un silence tomba sur la petite clairière, interrompu seulement par le bruit des feuilles mortes poussées par le vent. Après un moment, elle remarqua qu'il n'y avait aucun autre bruit – aucun chant d'oiseau. Mal à l'aise, elle leva les yeux vers les branches, d'où étaient déjà tombées la grande majorité des feuilles, même si l'automne venait tout juste de commencer. Elle frissonna. Cette guerre semblait affecter même la nature !

Rionach, semblant interpréter le frisson de son amie comme du froid, lui passa un bras autour des épaules et la serra contre elle.

— En rentrant, je dirai à Ginny et Neville ce que tu vas faire pour nous.

Après un dernier baiser, les deux filles se séparèrent, s'assurant bien de sortir de la forêt de deux endroits complètement différents, pour que personne ne puisse deviner qu'elles avaient été ensemble. Vega arriva en peu de temps au bas de la rue où se trouvait toujours Grace au centre d'une demi-douzaine de Serpentard de quatrième et de cinquième année. Elle aperçut Astoria et Richard, côte à côte, à l'extrémité du groupe, et se glissa entre eux.

À son arrivée, Richard se tourna vers elle, un air interrogatif dans les yeux. Alors elle sourit, glissa sa main dans celle du garçon, et posa la tête sur son épaule.

Les dés étaient jetés.

***

— Pourquoi tu nous en as pas parlé ?

La sortie à Pré-au-Lard était terminée. Vega et Richard avaient passé le reste de l'après-midi main dans la main, et les réactions étonnées de leurs amis n'étaient rien comparé aux regards incrédules que la jeune fille avait sentis lorsqu'ils avaient croisé des membres de l'AD. Elle espérait que Rio ne tarderait pas à passer le mot à ses camarades.

En attendant, Grace et Tory étaient assises sur le lit de cette dernière et Vega devait se soumettre à leur interrogatoire.

— Ça s'est passé rapidement, répondit-elle. Cet après-midi. Je ne savais pas du tout qu'il ressentait encore quelque chose pour moi.

— Et nous, tu ne nous as jamais dit que tu ressentais encore quelque chose pour lui ! rétorqua Tory.

« Parce que je ne ressens rien du tout pour lui. »

Mais elle ne pouvait pas répondre ça. Alors elle fixa sur son visage le sourire stupide d'une adolescente de quinze ans amourachée, haussa une épaule, et espéra que ça passe.

— Moi en tout cas, je trouve que c'est une super idée.

Vega et Tory se tournèrent vers Grace, qui arborait un grand sourire.

— Tu semblais manquer un peu... d'enthousiasme pour la cause, disons. Mais au bras de Richard, tu retrouves ta place ! Je dois avouer que je suis rassurée, perdre ton nom et ta lignée, ç'aurait été dommage.

Elle se tourna alors vers Tory et lui envoya un léger coup de poing sur l'épaule.

— Et maintenant que Vega est casée, manque plus que toi ! Ça te dirait de te réessayer avec Malefoy ? Il n'y a pas de meilleur parti que lui en ce moment !

Astoria lança un coup d'œil paniqué à Vega, qui sourit et se joignit aux taquineries de Grace. Mais derrière ses rires et son air amusé, des pensées inquiètes faisaient la ronde dans son esprit.

Mais dans quoi s'était-elle lancée ? Combien de temps serait-elle capable de jouer cette mascarade ? En valait-ce seulement la peine ?

Elle devait croire que oui.

***

Toute la journée de dimanche, Vega réussit à éviter d'être vue hors de sa salle commune avec Richard. D'abord en allant déjeuner à l'aube, avant même qu'il ne soit réveillé, puis en prétextant un mal de ventre qui l'empêchait de dîner, et finalement en passant l'après-midi avec Grace et Tory au terrain de Quidditch, sport qui n'intéressait pas Richard le moins du monde – Vega non plus, mais pour la bonne cause, elle ferait un effort.

Lundi matin, cependant, elle n'eut pas le choix que d'entrer dans la Grande Salle à ses côtés. En se préparant, elle dut tout faire pour cacher sa nervosité – Richard et elle ayant déjà été un couple, ses camarades de dortoir n'auraient pas compris ses inquiétudes.

En passant les portes de la Grande Salle, qui bourdonnait des voix de la centaine d'étudiants qui y mangeaient, elle garda les yeux rivés sur les dalles, osant à peine lever la tête de peur de croiser encore des regards hostiles. Seulement quand ils prirent place sur le banc, Tory et Grace face au couple, Vega osa-t-elle embrasser du regard la Grande Salle en entier.

Personne ne la regardait. Évidemment. Elle ne savait pas pourquoi elle s'était attendue au contraire.

Avec une sensation distincte de soulagement, elle commença à se servir à déjeuner. La nervosité passée, elle se rendit soudain compte que son ventre grognait depuis un bon moment. Richard la regarda, amusé, empiler une montagne de saucisses sur son assiette, et s'apprêtait à passer un commentaire quand Joffrey s'assit bruyamment à ses côtés.

— J'ai eu une idée ! annonça-t-il à ses camarades. Un journal !

— Quelle ingéniosité, si seulement j'y avais pensé avant..., dit Grace en ouvrant l'exemplaire de la Gazette du Sorcier qu'elle venait de recevoir par le courrier matinal.

Joffrey prit un bout de pain sur l'assiette de Richard et le lança vers la jeune fille.

— Un journal d'école. Les bons à rien de Poufsouffle essaient de continuer le leur malgré la disparition de la moitié de leur équipe de rédaction, alors je pensais en créer un pour Serpentard. Où on pourrait imprimer la vérité, et pas de propagandes sur Potter et ses petits copains trouble-fête.

En face de Vega, Grace souriait déjà.

— Tu sais, c'est pas une mauvaise idée, dit Richard.

— Fallait bien que tu en aies une un jour où l'autre, se moqua Grace, mais toujours avec le sourire.

— Oui, j'aime bien.

Grace, Richard et Joffrey se tournèrent comme un seul homme pour voir que Drago et ses copains de septième année s'était approchés pendant qu'ils parlaient et, visiblement, avaient tout entendu du projet de Joffrey. Ce dernier bomba le torse, fier comme un paon de s'être fait complimenter par ses aînés.

— Peut-être qu'on pourrait en discuter plus en profondeur, former un plan, une équipe...

Drago hochait la tête.

— J'y réfléchirai, on en reparlera.

Et sans plus de cérémonie, le blond leur tourna le dos et partit vers une extrémité libre de la table, suivi par Pansy, Vincent et Gregory. Théodore, avant de les suivre, s'approcha de la table pour parler à sa sœur.

— Je te regardais sur le terrain de Quidditch hier. C'était pas mal.

Grace sourit du compliment.

— Mais attache-toi les cheveux plus serrés, la prochaine fois. C'est distrayant, toutes ces mèches qui volent partout.

Puis il disparut à son tour. Le sourire de Grace s'évanouit, et Tory se tourna vers elle, les sourcils froncés.

— Pourquoi tu le laisses te parler comme ça, Grace ? Tu vaux plus que cette raclure, tu le sais ! Je ne comprends pas comment tu peux encore le tolérer...

La jeune fille resta perdue dans ses pensées encore quelques secondes, puis sembla s'ébrouer. Sans répondre à sa voisine ni même lui adresser un regard, elle fit réapparaître le sourire sur ses lèvres et donna un coup au bras de Joffrey.

— Eh toi, bien joué ! Un journal de Serpentard, sans blague, c'est une idée géniale.

— Tu vas vouloir y participer ?

— Bien sûr !

Richard exprima lui aussi son intérêt et, comme il se tourna pour fixer Vega, celle-ci se sentit obligée d'ajouter son enthousiasme à la proposition. Seule Astoria était restée silencieuse, faisant tournoyer sa cuillère dans son bol de céréales sans lever les yeux. Alors que Richard passait un bras autour des épaules de Vega et la serrait contre lui, celle-ci regardait la moue de son amie en face d'elle. Si seulement elle pouvait lui parler de ses secrets, lui promettre qu'elle n'était pas seule !

Un jour, peut-être.

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