Lettre et Chemin de Traverse

Le matin du premier août, Vega King se réveilla quand le soleil, qu'elle voyait à travers les rideaux de sa chambre, était déjà haut dans le ciel. Elle s'étira langoureusement, gratouillant au passage la tête du chat gris endormi à ses pieds, et se leva. Sans s'habiller ni même enfiler de pantoufles, elle obéit aux borborygmes de son estomac et se rendit à la cuisine. Ses parents étaient installés à la table, tous deux profitant également de vacances pour la semaine. Sa mère, Irene, se tourna vers elle à son arrivée et sourit des cheveux ébouriffés et des yeux toujours endormis de sa fille.

— Bien dormi, princesse ?

Vega hocha la tête en contournant son père pour attraper une tranche de pain rôti sur le comptoir. S'installant à table avec un couteau et un pot de confiture, elle rêva au jour de ses dix-sept ans où elle pourrait ensorceler les ustensiles pour qu'ils lui confectionnent son déjeuner tout seuls.

Ce ne fut qu'après la huitième bouchée que Vega leva la tête, un peu plus réveillée, et remarqua que ses parents étaient en train de trier le courrier, visiblement arrivé pendant qu'elle dormait encore. Entre les circulaires et les lettres officielles adressées à son père, elle aperçut le coin d'une enveloppe de parchemin adressée à son nom en encre verte. Elle la tira aussitôt vers elle.

— Pourquoi vous m'avez pas dit que la lettre de Poudlard était arrivée ? demanda-t-elle en la décachetant. Je me demande si Grace et Tory ont reçu la leur aussi. Il faudra que je leur demande si on se rencontre au Chemin de Traverse...

La première lettre, l'invitant pour sa quatrième année, ne contenait rien de nouveau, alors Vega la mit rapidement de côté. Elle parcourait la seconde feuille, celle contenant la liste de manuels scolaires à acheter, et se demandait à voix haute qui serait leur prochain professeur de défense contre les forces du mal, quand elle remarqua que ni l'un ni l'autre de ses parents n'avait dit un mot depuis qu'elle avait ouvert l'enveloppe de Poudlard. Elle leva les yeux et intercepta le regard que s'échangeaient ses parents, assis de part et d'autre de la table.

— Quoi ? demanda-t-elle en les regardant tour à tour. C'était quoi, ce regard ? Vous me cachez quelque chose ?

Le silence dura encore plusieurs secondes, durant lesquelles Rigel, le père de Vega, fixait sa femme, comme pour la défier d'ouvrir la bouche. Finalement, Irene soupira et se tourna vers sa fille.

— Eh bien, princesse, comme tu le sais, c'est la guerre en Angleterre, Tu-Sais-Qui est revenu, et les choses sont dangereuses, pour tout le monde.

Vega hochait la tête ; elle savait très bien tout cela. Elle était à Serpentard, plusieurs de ses amis avaient des parents à Azkaban après les événements du département des mystères de l'été précédent, y compris une de ses meilleures amies, Grace Nott.

Irene se racla la gorge avant de continuer :

— On se disait donc que peut-être, pour cette année... tu pourrais aller étudier à Durmstrang.

Vega écarquilla les yeux et tourna son regard vers son père. L'expression de Rigel était neutre, ne dévoilant rien de ce qu'il pensait. Irene continua à toute vitesse.

— Tu pourrais aller vivre chez ton oncle Viktor, en Bulgarie, pour l'année. Tes cousins vont à Durmstrang, je suis sûre qu'ils t'accueilleraient à bras ouverts –

— Non, mais ça va pas la tête ?! interrompit Vega. Laisser mes amis comme ça, fuir dans les jupons de vúycho, changer d'école – qui, soit dit en passant, est quand même réputée pour ses mages noirs, hein !

Vega foudroyait sa mère du regard, les yeux plissés et les poings serrés, quand un ricanement derrière elle lui fit tourner la tête. Son père lui fit un clin d'œil, souriant toujours, avant de parler à Irene.

— Je t'avais dit qu'elle prendrait ça comme ça.

Irene se renfrogna et Vega croisa les bras sur sa poitrine.

— Écoute, chérie, continua Rigel. Je t'ai déjà dit que je crois que Poudlard est l'endroit le plus sécuritaire du Royaume-Uni sorcier ces jours-ci, avec Albus Dumbledore.

Vega hocha la tête avec enthousiasme.

— Vega sera en parfaite sécurité, j'en suis convaincu. Et si jamais les circonstances venaient à changer, nous pourrons en rediscuter, mais pour le moment je crois sincèrement qu'il est mieux pour tout le monde qu'elle reste à Poudlard.

Après un moment plein de tension, Irene finit par soupirer à nouveau et hocher la tête. Soulagée – à quatorze ans, elle n'aurait pas pu faire grand-chose si ses parents l'avaient obligée à quitter le pays –, Vega se leva d'un bond et se lança vers les escaliers, qu'elle grimpa à toute vitesse pour rejoindre sa chambre.

— J'écris à Grace et Tory pour savoir quand elles vont au Chemin de Traverse. Ça va être trop bien !

***

Deux semaines plus tard, Vega arriva par poudre de cheminette avec sa mère dans le pub qui masquait l'entrée du Chemin de Traverse. Rigel avait été appelé au bureau à la dernière minute, et Irene avait voulu se servir de cela pour annuler toute la visite.

— Reste ici si tu veux, j'irai sans toi !

Alors Irene était montée se préparer.

Vega sortit de la cheminée en premier. Époussetant sa jupe, elle chercha des yeux ses amies, mais le pub était presque vide ; elles n'étaient pas encore arrivées. Seul le vieux Tom, derrière le bar, leva les yeux et lui fit un petit signe de la tête à son entrée.

La cheminée s'illumina de nouveau de flammes vertes derrière elle et Vega fit un pas vers l'arrière pour laisser la place à sa mère d'en sortir. Celle-ci arriva quelques secondes plus tard, imitant les gestes et la grimace qu'avait eus sa fille un moment plus tôt.

— Bon, alors pour aujourd'hui, répéta Irene pour au moins la dix-huitième fois de la semaine. On va seulement aux magasins pour vos fournitures scolaires. Vous restez avec au moins un adulte en tout temps. C'est compris ?

Vega leva les yeux au ciel. À quatorze ans, elle aurait espéré pouvoir faire ses courses seule, quand même !

— Très bien, mère.

Coupant heureusement court à la conversation, la porte du pub s'ouvrit, laissant entrer la famille Greengrass au grand complet : les parents et les deux adolescentes blondes, Daphné et Astoria.

— Tory ! s'exclama Vega en courant vers son amie et en se jetant à son cou. Tu m'avais trop manqué !

Daphné regarda cette effusion d'amitié, un sourcil haussé, et, du haut de ses seize ans, renifla avec dédain avant de se tourner vers leur mère.

— Pansy doit être arrivée déjà, elle a dit qu'elle m'attendrait devant Fortarôme. Je peux y aller ?

— Attends un peu que les Nott arrivent, on ira ensemble. Je ne veux pas que tu te promènes seule.

Tory et Vega échangèrent une œillade amusée, puis éclatèrent de rire, ce qui eut l'air de dégoûter encore davantage Daphné.

— Irene, bon matin, dit la mère de Tory en s'avançant pour lui faire un baiser sur les deux joues. Rigel n'a pas pu se joindre à nous ?

— Non, à regret. Il a été convié d'urgence au bureau ce matin.

— Ah ? demanda monsieur Greengrass. Des changements au Ministère ?

Vega, que la politique et le travail de son père ennuyaient au plus haut point, entraîna Tory vers une table libre non loin. Elles commencèrent à échanger des nouvelles de leur été, depuis les dernières lettres qu'elles s'étaient échangées – qui dataient de la semaine précédente – et furent les premières à remarquer, quelques minutes plus tard, quand les flammes de la cheminée devinrent vertes.

— Les Nott arrivent ! s'exclama Tory.

— Pas trop tôt ! lança sa sœur, déjà appuyée au chambranle de la porte de sortie.

Theodore Nott fut le premier à apparaître, ses petits yeux sombres examinant la pièce et ses occupants sans s'arrêter sur qui que ce soit.

— Salut Theo, appela Daphné.

Le garçon lui adressa un vague signe de la main avant de se tourner à nouveau vers la cheminée, dont les flammes avaient une fois de plus changé de couleur. Cette fois-ci, une jeune fille en émergea, et Theodore lui agrippa le bras dès qu'elle fit un pas hors de la cheminée. Elle s'en défit rapidement, lui adressant un bref regard, et rejoignit ses amies.

Vega s'attendait à ce que les flammes deviennent vertes une troisième fois, avant de se souvenir que le père de Grace avait été l'un des Mangemorts arrêtés et emprisonnés en juin dernier. Il lui avait semblé étrange de penser que monsieur Nott, le gentil monsieur Nott qui lui servait de la glace quand elle allait chez Grace profiter de leur piscine en été, avait essayé de tuer de ses camarades d'école – dont Ginny Weasley, son amie d'enfance. Mais d'un commun accord, les trois amies avaient décidé de ne jamais en parler.

— Bon, on y va ? dit Daphné, commençant déjà à s'avancer dans la ruelle.

Avec un petit rire, les trois adultes la suivirent, puis Vega, Tory et Grace, bras dessus bras dessous, et Theodore fermant la marche.

Quand ils passèrent la porte, Daphné avait déjà tapé sa baguette sur les briques et les attendait impatiemment du côté du Chemin de Traverse. Une fois qu'ils eurent tous traversé, madame Greengrass posa un bras sur les épaules de son aînée.

— Bon, je crois que mademoiselle ne va plus tenir longtemps, dit-elle alors que Daphné se soustrayait de sous son bras. On peut vous laisser Tory pendant qu'on va retrouver Pansy ?

— Mais bien sûr ! répondit Irene en souriant à Astoria. On se retrouve à Fleury et Bott ?

Alors le petit groupe se sépara, les trois jeunes filles s'amusant des « mais j'ai seize ans, je peux marcher cent mètres sans mon papa et ma maman ! » de Daphné qui s'éloignaient.

Les amies suivirent Irene en échangeant les derniers potins, oubliant presque la présence silencieuse du frère de Grace derrière elles.

— Vous croyez qu'on aura qui comme prof de défense cette année ? demanda Tory.

— Ça peut pas être pire qu'Ombrage. Ou le faux Fol-Oeil, répondit Vega avec une grimace.

— Tant qu'ils nous sortent pas un sale hybride comme ce Lupin, cracha Grace.

Vega regarda son amie, un sourcil haussé. Elle avait bien aimé sa première année de défense contre les forces du mal avec Lupin. Mais le visage fermé de Grace la découragea de dire quoi que ce soit. Heureusement, elle ne remarqua pas l'expression de son amie et se tourna plutôt vers Tory lorsque celle-ci s'écria :

— Regardez, les balais !

Les filles s'arrêtèrent face à la vitrine de la boutique de Quidditch. Celle-ci n'avait pas changé de disposition depuis la dernière fois que Vega l'avait vue, au milieu de l'année précédente. Une fine couche de poussière maculait le manche de l'Éclair de Feu 2.0 qui trônait en son centre.

— Je pense essayer de me faire prendre dans l'équipe cette année, dit Tory, une main posée sur la vitre. J'ai toujours voulu être batteuse, ça a l'air amusant.

Vega dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire. Elle s'imaginait Astoria, grande et mince, brandissant une batte qui serait en toute vraisemblance plus large et lourde qu'elle. Elle se ferait avaler tout rond par les Cognards.

Tory se tourna vers Grace.

— Et toi, tu vas essayer ? Tu disais toujours que tu aimerais être attrapeuse.

La brune haussa les épaules sans regarder son amie.

— De toute façon, c'est Malefoy l'attrapeur, ils le remplaceront jamais.

Elle se détourna de la vitrine et reprit le chemin de la librairie, rattrapant vite Irene, qui les attendait impatiemment devant la boutique voisine.

— C'est vrai que Drago est trop génial... Vous vous imaginez si j'étais sur la même équipe de Quidditch que lui ?

Vega lança un regard narquois vers Tory, qui avait des étincelles dans les yeux à l'idée du garçon dont elle rêvait depuis sa première rentrée.

Bientôt, le groupe arriva à Fleury et Bott. La librairie était tout aussi déserte que le pub et le Chemin l'avaient été. Seuls quelques jeunes parcouraient les allées, les listes de Poudlard reconnaissables dans leurs mains. Vega, Grace et Tory sortirent les leurs et commencèrent à s'avancer vers les rangées de manuels, quand Theodore posa une main sur l'épaule de Grace, l'obligeant à s'arrêter.

— Attends un employé, dit-il d'une voix sèche. C'est à ça qu'ils servent.

— Elle peut venir avec nous, dit Irene. Elle doit avoir les mêmes manuels que Vega, ça ne me gêne pas du tout de lui filer un coup de main...

Mais le garçon balaya sa proposition du revers de la main, se tournant plutôt vers un libraire qui s'approchait d'eux.

— Monsieur Nott, mademoiselle Nott, dit-il d'une voix huileuse en s'arrêtant devant eux. C'est pour vos livres de Poudlard, je suppose ?

Sans dire un mot, Theodore lui tendit deux listes, la sienne et celle de sa sœur, et avec une nouvelle similirévérence, l'employé disparut dans l'arrière-boutique. Grace s'excusa du regard auprès de ses amies, et Vega et Tory partirent à la recherche de leurs manuels de quatrième année, suivies de leurs parents respectifs.

Près d'une demi-heure plus tard, leurs achats payés, ils ressortirent dans la rue, portant à bout de bras leurs sacs remplis de nouveaux manuels.

— Est-ce que quelqu'un a besoin de nouvelles robes ? demanda madame Greengrass en regardant vers Madame Malkin, les yeux plissés contre le soleil. Non ? Alors en route vers l'apothicaire.

Ils firent tous la vitrine pleine d'ingrédients plus étranges et dégoûtants les uns que les autres. Theodore avait apparemment réussi son BUSE de potions, puisqu'il récoltait lui aussi des articles que Vega n'aurait touchés pour rien au monde. Observant avec dégoût ce qui semblait être un véritable œil, Vega se dit qu'elle avait bien hâte à sa sixième année, quand les cours de potions ne seraient plus obligatoires.

Quand ils ressortirent de l'apothicaire, Theodore bouscula Vega pour se placer à côté de sa sœur.

— J'ai des courses à faire sur l'Allée des Embrumes, tu viens avec moi.

Tout le groupe se figea, les regards passant du visage fermé de Grace à celui, supérieur, de son frère. Après un moment de tension, monsieur Greengrass fut le premier à parler :

— Je préférerais que ta sœur reste avec nous, l'Allée des Embrumes n'est pas un endroit pour les jeunes filles, surtout ces jours-ci.

— Ni pour un jeune homme seul, ajouta sa femme d'une voix basse.

Theodore les toisa un instant sans rien dire, puis haussa une épaule et fit volte-face, se dirigeant d'un pas raide vers l'embranchement de l'Allée des Embrumes. Aussitôt qu'il eut disparu, Irene s'approcha et passa un bras autour des épaules de Grace.

— Il est toujours comme ça ? demanda-t-elle.

— Depuis que papa est parti, répondit Grace en tentant un sourire rassurant. On est seuls à la maison, alors il est très protecteur.

Irene et madame Greengrass la scrutèrent encore un moment, mais Grace repoussa leurs inquiétudes et rejoignit Tory et Vega. L'étrangeté de la petite scène qui venait de se dérouler s'évapora vite, cependant, et Grace retrouva toute sa gaieté quand Tory lança une conversation sur les plus beaux garçons de Poudlard.

— À part Drago, bien sûr, précisa-t-elle. C'est une classe à part.

— Évidemment, répondit Grace avec un sourire en coin. Bon, Blaise Zabini est pas mal. Il est venu voir Theo il y a quelques semaines.

— Michael Corner, de Serdaigle, il est pas mal.

— L'ex de la Weasley ? Mouais, si tu veux.

Elles continuèrent ainsi pendant tout un coin de rue, se lançant des noms comme des Souafles. En passant devant l'animalerie, Vega décida de s'y arrêter pour acheter des gâteries pour son chat, celles au strangulot qu'il affectionnait tant.

Quand Irene et elle ressortirent de la boutique à peine une poignée de minutes plus tard, la rue était vide : les Greengrass et Grace semblaient avoir disparu. Irene agrippa l'épaule de sa fille d'une poigne de fer, et même Vega sentit une pointe d'inquiétude naître dans son ventre : sa mère avait-elle eu raison ?

Mais avant que ces pensées ne puissent poursuivre leur chemin, elle entendit l'éclat de rire de Tory venant du coin de la rue. Elle courut vers le son, et retrouva le petit groupe face à une nouvelle boutique. Sa devanture était peinte d'un violet criard, l'étalage des vitrines était multicolore, et on voyait à l'intérieur de la boutique d'étranges objets, des friandises, même des explosions. La porte s'ouvrit, poussée par un jeune couple qui en ressortait avec un sac bien rempli et de larges sourires, et ils entendirent des bruits de rires et de conversations, virent la foule qui se pressait à l'intérieur. Le contraste avec le reste du Chemin de Traverse, morne et gris, n'aurait pas pu être plus frappant.

— C'est la boutique des Weasley, annonça Astoria en montrant du doigt le signe au-dessus de la porte.

Vega avait entendu des rumeurs sur les prouesses des jumeaux Weasley, des camarades de Gryffondor qui parlaient de pastilles de Gerbe ou de nougats Néansang. Elle se dit avec un petit pincement au cœur que si elle avait toujours été proche de Ginny, elle aurait pu en savoir plus sur cette boutique.

— On peut aller voir, maman ? demanda Tory en se tournant vers sa mère, les yeux suppliants.

— Oui, s'il te plaît ! renchérit Vega, priant sa propre mère du regard.

Les deux femmes se regardèrent un instant, puis Irene baissa les yeux vers sa montre et soupira.

— Désolée les filles, pas cette fois. On a encore trop d'achats à faire cet après-midi.

Avec une moue, Vega se laissa entraîner à nouveau vers une rue terne et une énième boutique qui lui semblait maintenant insipide. Décidément, la guerre, c'était loin d'être une partie de plaisir.

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