Excuses et conséquences

Vega commençait vaguement à regretter sa décision. Les choses s'étaient précipitées après cette visite d'Arthur. Dès le lendemain, Irene s'était rendue au ministère pour signer quelques documents et, à peine vingt-quatre heures plus tard, monsieur Weasley s'était présenté à la porte des King, une main sur l'épaule de Grace Nott. « C'est mieux pour tout le monde de ne pas laisser traîner les choses, » avait-il dit.

Tous les quatre étaient maintenant installés autour de la table de la cuisine, sirotant du thé et grignotant des biscuits sucrés sans dire un mot. Grace gardait ses yeux sombres rivés sur la table devant elle et Vega lui jetait des regards en biais, ne pouvant s'empêcher d'être un peu ravie de constater les cheveux sales, la peau pâle et les yeux rouges de son ancienne amie.

Soudain, la mère de Vega rompit le silence :

— Vega, pourquoi ne vas-tu pas montrer à Grace la chambre qu'on a préparée pour elle.

La jeune fille ouvrit la bouche pour protester, mais sa mère la devança.

— J'ai quelques dernières questions à régler avec monsieur Weasley, j'apprécierais si vous nous laissiez seuls un moment, les filles.

Vega se leva alors et, sans regarder si Grace la suivait ni l'aider à porter ses sacs, partit vers la chambre d'amis, celle qu'elle avait préparée avec Irene la veille au soir. Des nouveaux draps sur le lit, des serviettes sur la commode et un vase de fleurs fraîches sous le miroir.

Une fois entrée, elle croisa les bras sur sa poitrine et s'appuya contre le mur à côté de la porte pendant que Grace déposait ses sacs sur le lit, puis s'y asseyait avec un soupir. Elle repoussa ses cheveux derrière ses oreilles puis leva les yeux vers Vega, la première fois qu'elle rencontrait son regard de la journée.

— Je suis vraiment désolée pour ton père, dit-elle d'une voix basse.

Vega ouvrit la bouche pour répondre, mais rien ne vint. La politesse avec laquelle elle avait été élevée voulait lui faire dire « et moi pour ton frère », mais... était-elle vraiment désolée de la mort de Théodore ? Il représentait ce contre quoi elle avait appris à se battre cette année, sans oublier ce qu'il avait fait à sa sœur l'an dernier. Une personne comme cela méritait-elle vraiment d'être pleurée ?

Comme si elle avait lu les pensées de son amie, Grace eut un sourire en coin.

— Tu n'as pas à l'être pour Théo, dit-elle. Je ne suis même pas sûre de l'être moi-même.

Vega ne put retenir un petit sourire et, après un instant, alla s'asseoir sur le lit à côté de Grace.

— Je suis aussi désolée pour tout ce que j'ai fait cette année, continua Grace. Si je pouvais remonter dans le temps, je... je ne me serais pas battue comme toi, mais j'aurais fait les choses différemment. J'aurais essayé, au moins.

Vega hocha la tête, et posa une main sur celle de son amie. Les choses seraient peut-être moins difficiles qu'elle pensait, finalement.

***

Le lendemain matin, à l'heure du déjeuner, des coups se firent entendre à la porte. Grace leva un regard effrayé et Irene sortit de la cuisine pour aller répondre.

— Vous attendez quelqu'un ? demanda Grace.

— Non, répondit Vega en avalant une bouchée de céréales. Mais la guerre est terminée, tu sais, je suis sûre que c'est personne de dangereux.

Elles entendirent un échange dans l'entrée, puis Irene revint dans la cuisine, suivie de Ginny, Ron Weasley et Hermione Granger. Vega faillit s'étouffer. Deux héros de guerre dans sa cuisine et elle était en pyjama, les cheveux mal peignés et les yeux encore bouffis de sommeil. Elle se leva précipitamment, ignorant les regards amusés de Ginny et de sa mère, et leur tendit la main. Ils la serrèrent et lui firent signe de se rasseoir, semblant encore plus embarrassés qu'elle par cet accueil.

Ginny prit heureusement la parole à ce moment-là :

— On est en train de visiter tous ceux qui nous ont aidés pendant la guerre et la bataille, dit-elle. D'abord pour les remercier, mais aussi pour les inviter à nous aider à reconstruire.

— On a décidé de tous se retrouver dès lundi à l'entrée de Poudlard, continua Hermione. Si on veut que les cours puissent reprendre dans trois mois, il faut que le château soit à nouveau en état de nous accueillir.

— Et même si on ne tient pas à ce que les cours reprennent en septembre, poursuivit Ron avec un sourire en coin et un regard en biais amusé vers Hermione, on ne peut pas laisser Poudlard dans l'état où on l'a laissé après la bataille.

— Tout le monde est bienvenu, dit Ginny avec un sourire vers Vega et Irene, et un bref regard incertain vers Grace – la première fois qu'un des visiteurs sembla reconnaître sa présence à la table. Nous espérons vous voir lundi, si vous pouvez.

Irene leur proposa de rester manger un morceau, boire un verre, mais les Weasley et Hermione la remercièrent et dirent qu'ils avaient encore beaucoup de visites à faire et d'invitations à lancer. Vega les regarda partir avec une déception mélangée à du soulagement. Quand ils la reverraient lundi, elle serait prête à aider. Et pas en pyjama rose.

Irene et Vega se rassirent devant leurs déjeuners respectifs.

— Tu vas y aller lundi, je suppose ?

— Bien sûr, répondit Vega à sa mère. Toi ?

Irene hocha la tête.

— C'est ce que ton père aurait fait, alors je vais faire ce que je peux pour aider.

Les deux King se tournèrent vers Grace, qui n'avait rien dit. Sans se tourner vers elles mais sentant leurs regards peser sur elle, Grace déglutit.

— C'est comme tu veux, ma belle, dit Irene. Si tu ne te sens pas capable de venir avec nous, tu resteras ici. C'est pas grave.

Une dizaine de minutes plus tard, Vega raccompagna Grace jusqu'à sa chambre. Elle s'appuya au chambranle de la porte et dit :

— Pourquoi tu ne veux pas venir lundi ?

— C'est pas que je veux pas, c'est que... Et si je suis la seule Serpentard ?

Vega haussa un sourcil.

— Et moi je suis quoi, une Poufsouffle ?

— Tu sais ce que je veux dire, soupira Grace. Toi, tu as été dans la résistance, tu as des amis dans toutes les autres maisons. Mais moi...

— Toi, tu serais avec moi, répondit Vega. L'autre jour, tu disais que si tu pouvais remonter le temps, tu ferais les choses différemment. Tu ne peux pas changer le passé, mais tu peux construire ton propre futur. Tu commenceras un peu plus tard que moi, c'est tout.

Grace se mordait la lèvre. Après un moment, elle ouvrit la bouche.

— J'y penserai.

***

Le lendemain, en se levant, Vega eut une idée. Avant même de déjeuner, elle écrit une courte missive et l'accrocha à la patte du hibou de la maison, l'envoyant vers un endroit qu'il connaissant bien. À onze heures pile, les flammes de la cheminée du salon devinrent vertes.

— Vega ? appela une voix. Grace ? Vous êtes là ?

Nox leva la tête et, ne voyant rien se spécialement intéressant, se rendormit. Les deux Serpentard se levèrent de la table d'échecs sorcier et s'agenouillèrent devant l'âtre.

— Tory ! s'exclama Grace avec un grand sourire, le premier depuis qu'elle était arrivée chez les King. Ça fait plaisir de te voir.

— Toi aussi ! Écoute, je suis désolée pour ton frère. Et ton père, Vega.

Grace et Vega échangèrent un regard, puis se retournèrent vers Astoria.

— Écoute Tory, commença Vega, merci d'avoir appelé. On a eu la visite de Ginny, Ron et Hermione hier, et ils nous ont dit que tout le monde va aller reconstruire Poudlard lundi. Je me disais que tu n'aurais sans doute pas eu l'invitation, mais que tu voudrais peut-être venir.

Astoria cligna des yeux sans rien dire. Vega continua :

— Ma mère et moi on va y aller.

Tory tourna les yeux vers Grace.

— Et toi ? demanda-t-elle.

Grace haussa une épaule.

— Écoutez, j'ai été la seule Serpentard pendant toute une année, vous vous rendez compte à quel point c'était difficile ? s'exclama Vega soudainement.

Elle avait cru pouvoir tourner cette situation en humour, mais se surprit à avoir les larmes aux yeux devant ses meilleures amies. Oui, elle s'était fait d'autres liens et d'autres amitiés, et oui, elle était fière d'avoir suivi ses convictions. Mais elle avait passé des mois à se battre contre des préjugés qui n'avaient rien à voir avec elle et, oui, à s'ennuyer de celles qui avaient été à ses côtés depuis ses onze ans, toutes Serpentard qu'elles étaient.

Grace posa une main sur l'épaule de Vega, et Astoria lui sourit.

— Je verrai si mes parents me le permettent. Vous les connaissez, hein, je ne promets rien, mais j'essaierai.

Vega répondit à son sourire et essuya une larme qui avait coulé. Les choses avaient énormément changé entre elles l'année précédente, mais peut-être réussiraient-elles à reconstruire une amitié encore plus solide.

***

Le surlendemain, lundi matin, Vega s'était levée de bonne heure et était descendue dans la cuisine, où elle avait été surprise de trouver Grace déjà attablée.

— Entre Serpentards, il faut se soutenir, avait-elle dit avec un sourire flageolant. Promets-moi juste que tu resteras avec moi toute la journée.

Après un déjeuner rapide, Irene avait placé une main sur le bras de chacune des jeunes filles et le trio avait transplané vers Pré-au-Lard. Quelques dizaines de personnes s'y trouvaient déjà, et elles se joignirent au flot de marcheurs vers Poudlard. Vega saluait les membres de l'AD qu'elle croisait, et murmurait à Grace de les ignorer quand elle apercevait les regards perplexes, cyniques ou haineux qu'on lui lançait.

À peine furent-elles arrivées aux grilles de Poudlard que Rionach s'approcha d'elles et enlaça Vega, la serrant de toutes ses forces.

— Je suis contente que tu sois venue.

— J'aurais manqué ça pour rien au monde.

Rio se présenta à Irene, qui serra la main de la jeune Gryffondor avec un air estomaqué, comme si elle se rendait tout juste compte de la vie secrète qu'avait menée sa fille pendant un an, puis se tourna vers Grace. Les deux filles se jaugèrent du regard un moment, puis Rio tendit la main, néanmoins sans sourire.

— Tu es une Nott, mais tu es aussi l'amie de Vega, dit-elle. À toi de nous montrer ce qui pèse plus dans la balance.

Pendant qu'elles se serraient la main, l'air aussi tendu l'une que l'autre, ce fut au tour d'Astoria de se matérialiser à côté d'elles. Grace lâcha la main de Rio et se pressa vers son amie comme si elle était attirée par un aimant.

— Tory ! s'exclama Vega. Tes parents t'ont donné la permission ?

— Au début ils voulaient rien savoir, mais quand Daphné a commencé à demander à venir aussi, ils ont fini par céder.

— Daphné est là ? demanda Grace.

Astoria désigna du doigt un petit groupe à l'écart de tous les autres, et Vega fut surprise – mais ravie – de constater que ses deux amies étaient en fait loin d'être les seules Serpentard. Outre Daphné Greengrass, Millicent Bulstrode et Drago Malefoy représentaient sa maison, ainsi qu'une demi-douzaine d'élèves d'années inférieures. Aucun des garçons de cinquième année. Vega ne savait pas si elle en était désolée, ni même étonnée.

Irene partit rejoindre un groupe de parents qu'elle connaissait, laissant les filles se promener dans la foule, à la recherche de leurs amis. Rionach et Vega, main dans la main, s'arrêtaient pour saluer des connaissances toutes les deux minutes et les deux Serpentard les suivaient comme des ombres, sans rien dire, comme si elles essayaient de se fondre dans la masse et disparaître.

— Eh bien, t'auras pas mis longtemps à retrouver tes vieilles habitudes, hein, King ?

Vega leva les yeux au ciel en se tournant vers Seamus, qui toisait Grace et Astoria avec dégoût.

— Écoute, Seamus, tu sais très bien ce que vaut Vega, Serpentard ou pas, non ? répliqua Rio. Alors ses amies méritent bien une seconde chance aussi, pas vrai ?

Le Gryffondor les foudroya toutes du regard un autre moment, mais finit par tourner sur ses talons et se fondre dans la foule qui les entourait.

— Peut-être qu'on aurait pas dû venir, finalement..., marmonna Grace en croisant les bras sur sa poitrine et en baissant la tête.

— Bah, Seamus a toujours été le plus difficile, il a fallu des mois avant qu'il arrête de m'insulter à chaque réunion. Pas vrai, Rio ?

La Gryffondor hocha la tête, mais sans se tourner vers les Serpentard. Vega se mordit la lèvre, cherchant un moyen de briser la glace entre elles, quand Harry, Hermione et Ron apparurent devant les portes d'entrée de Poudlard, dont l'une ne tenait plus que par un seul gond.

— Tout d'abord, merci à tous d'être venus, commença Harry.

La foule à ses pieds se met à applaudir, puis à siffler et à crier, pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'il devienne rouge comme une pivoine. Finalement, quand le silence retomba, Hermione s'avança pour prendre la parole.

— Nous avons demandé au ministère de suspendre la Trace des sorciers mineurs dans l'enceinte de Poudlard pendant les travaux de reconstruction. Si vous avez moins de dix-sept ans, vous pourrez faire autre chose que soulever des briques.

Quelques hourras et applaudissements accueillirent ces paroles.

Les professeurs McGonagall et Flitwick prirent ensuite le contrôle de la journée, répartissant les tâches parmi les bénévoles avides. Vega et ses amies, ainsi qu'Irene et quelques résidents de Pré-au-Lard, furent envoyées au deuxième étage restaurer quelques salles de classe. Tous passèrent la journée à réparer des bureaux, à remplir des trous dans le mur et à nettoyer les briques qui jonchaient le sol. Vega profita d'un moment où Rio et elle étaient presque en tête-à-tête, en train de dépoussiérer le portrait d'un pauvre vieux mage qui s'était fait arroser par le cratère qui avait explosé au-dessus de sa toile, pour lui demander où était Charlene et Romilda.

— Les Vane sont partis une dizaine de jours dans le sud de l'Angleterre, histoire de se changer les idées, répondit la Gryffondor. Et les parents de Charlene étaient tellement furieux d'apprendre qu'elle s'était battue en mai qu'ils la laissent à peine sortir de chez elle maintenant. On a passé un après-midi ensemble à Pré-au-Lard il y a quelques semaines et ça a pris une semaine de négociations pour que ses parents la laissent sortir pour à peine quatre heures.

Vega grimaça. Mais au fond, songea-t-elle en regardant Tory et Grace réparer un bureau coupé en deux, c'était peut-être pas plus mal. Elles pourraient amadouer les Gryffondor une à la fois. Ça serait certainement plus simple qu'affronter tout le monde en même temps, comme avait dû le faire Vega.

***

Ce soir-là, après une bonne douche pour laver toute la poussière qui les maculait et laisser courir l'eau chaude sur leurs muscles endoloris. Grace et Vega se retrouvèrent dans la chambre de cette dernière, assises sur le lit, Nox assoupi entre les deux amies, dans la même position qu'elles avaient eue de si nombreuses fois pendant les années.

— Et puis, c'était pas si mal, n'est-ce pas ?

— Personne a essayé de m'assassiner, c'est déjà mieux que ce que je m'imaginais.

Vega envoya un léger coup de poing à l'épaule de son amie.

— Tu verras, ça ira de mieux en mieux. Demain sera déjà plus facile.

— Demain ! s'exclama Grace avec une grimace. Mais j'ai tellement mal partout !

Vega éclata de rire.

— Si tu fais la guerre, il faut savoir affronter les conséquences, princesse !

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