Échecs et Nott

Le lendemain matin, la salle commune fourmillait d'élèves qui faisaient les dernières préparations

— J'ai oublié mon manuel de métamorphose sur mon lit ! cria une fillette dont le sac semblait déjà plein à craquer à son amie qui retournait au dortoir. Tu peux me l'apporter ?

— Mon lapin s'est encore enfui ! lança un garçon perché sur une chaise au centre de la pièce. Ne lui marchez pas dessus !

— Je crois qu'il ne le retrouvera pas de sitôt, son lapin, dit Astoria.

Les trois amies, leurs sacs à l'épaule, se frayaient difficilement un chemin jusqu'à la sortie de la salle commune. Elles finirent par atteindre le mur, après avoir marché sur trois pieds chacune – mais aucun lapin – et sortirent avec un soupir de soulagement dans la relative tranquillité du couloir.

Elles étaient déjà dehors, attendant un carrosse libre, quand elles s'aperçurent que Theodore les suivait, non loin derrière elles. Vega se tourna et le fixa dans les yeux, mais le garçon rencontra son regard, ne semblant pas gêné du tout d'avoir été découvert. Tory soupira.

— Bon, qu'est-ce qu'il nous veut encore ?

— Il garde un œil sur moi, c'est tout, dit Grace en haussant une épaule. Il ne veut pas qu'il m'arrive quoi que ce soit.

Vega haussa un sourcil. Si Theodore surveillait Grace pour la protéger, elle était la directrice de Poudlard.

— Pourquoi tu ne viens pas passer les fêtes chez moi ? Je suis sûre que mes parents voudraient bien, et –

— Ne recommence pas, Vega, s'il te plaît.

Les dernières semaines de la session d'hiver, Vega avait commencé à s'inquiéter de savoir son amie seule dans le manoir de sa famille avec son frère. Elle se souvenait de ce que lui avait dit son père en début d'année – « garde un œil sur ton amie, cette année. Si Theodore... s'il lui arrive quoi que ce soit, n'hésite pas à nous écrire » – et, sans pouvoir dire exactement, ressentait une envie soudaine de protéger Grace. Elle n'avait jamais écrit à ses parents, même après les essais de Quidditch, même si elle en avait eu envie ; elle savait que Grace ne lui aurait pas pardonné. Mais maintenant que les amies seraient séparées pendant presque deux semaines, elle avait comme un mauvais pressentiment.

Pourtant, depuis que les amies se fréquentaient, Theodore n'avait jamais été autre chose qu'un grand frère des plus banals. Tory l'enviait même à son amie – il était bien plus sympa que Daphné, disait-elle. Mais depuis l'arrestation de leur père, l'été précédent, c'était comme si un déclic déplaisant s'était opéré chez lui. Vega ne le reconnaissait plus.

Elle avait donc commencé à inviter Grace chez elle pendant les vacances ; elle avait appris quelques jours plus tard qu'Astoria avait fait de même. Elle se doutait que son amie n'accepterait pas l'invitation, ni de l'une ni de l'autre, mais elle espérait. Et elle voulait que Grace sache très bien que la possibilité lui était ouverte, au cas où elle en avait besoin.

Le silence tendu dura jusqu'à ce qu'elles montent dans le carrosse. Grace alla s'appuyer contre la fenêtre du fond – elle n'avait pas de pomme à offrir au Sombral, cette fois – et les deux autres s'assirent face à face, mal à l'aise.

Heureusement, le mauvais moment s'évapora pendant le voyage d'une dizaine de minutes, et les sourires étaient revenus le temps qu'elles redescendent sur le quai de Pré-au-Lard. Et cette fois, Tory et Vega ne firent aucun commentaire en voyant Theodore descendre du carrosse derrière elles, seul, et leur emboîter le pas.

Non loin d'elles, un gros groupe de Serpentard était en train de grimper dans le train rouge, alors elles décidèrent de les suivre. À l'intérieur, le wagon entier était en train de s'emplir de membres de la maison vert et argent, les conversations et les rires fusant entre les compartiments ouverts. Vega poussa ses amies vers un trio de bancs toujours libres autour d'une table, et suivit des yeux le frère de Grace alors qu'il allait s'installer un peu plus loin avec Daphné, Blaise et Millicent Bulstrode.

Les filles posèrent leurs sacs sur le quatrième siège libre de leur petit coin, puis Vega mit la cage en osier de Kotka sur la table, se baissant pour le regarder dans les yeux. Le pauvre animal était en train de miauler à tue-tête, tentant de pousser la porte avec ses pattes.

— Je suis désolée, chouchou, je n'ai pas le droit de te laisser sortir ici ! dit-elle en glissant un doigt entre les barreaux pour gratouiller le menton gris. À la maison tu pourras aller chasser tous les gnomes que tu veux, promis !

Quand elle releva la tête, ses amies la fixaient, Tory avait l'air amusé, alors que Grace arborait une expression de dégoût.

— Quoi ?

— Vous avez toujours des gnomes ?

— Quelques-uns, oui, répondit Vega. Pourquoi ?

— Je te donnerai le nom de l'exterminateur qu'a utilisé mon père. C'est le meilleur, il s'occupe de toutes les grandes maisons. Les Malefoy l'ont utilisé pour leur infestation de Doxys, il y a deux ans...

— Non ! interrompit Tory. Tu ne peux pas les exterminer, c'est cruel ! Vega !

— Mais non, mais non, personne ne va exterminer quoi que ce soit, dit Vega pour rassurer son amie. Je les trouve assez rigolos, à vrai dire. Et tu te rends compte comme Kotka serait triste si je lui enlevais ses jouets préférés ?

Tory semblait rassurée, mais Grace gardait le nez froncé. Son expression de dédain en disait long sur ce qu'elle pensait des bestioles dans le jardin des King.

Pour changer le sujet, Vega sortit un jeu d'échecs. Astoria abandonna après sa troisième défaite aux mains de la brune, mais Grace se débrouillait pas mal avec les pièces blanches qu'elle avait reçues au Noël précédent.

— Depuis quand es-tu aussi douée aux échecs ? demanda Tory d'un air impressionné, regardant les pièces noires de Vega, encore presque toute indemnes.

— Je vous ai jamais dit ? Mon grand-papa bulgare, mon dyado, était champion d'échecs à Sofia. J'ai passé tous mes étés chez lui, avant de commencer Poudlard, et il a commencé à me montrer à jouer quand j'avais trois ans.

D'un coup d'index, elle poussa sa tour à s'avancer de quelques cases. Le roi blanc de Grace, après quelques secondes, baissa la tête, s'avouant vaincu. Les deux amies de Vega levèrent des regards mi-amusés, mi-épatés vers elle.

— Quatre ans qu'on est meilleures amies, dit Grace. Comment ça se fait qu'on a jamais été mises au courant de ça ?

— Parce que vous préférez toutes les deux le Quidditch aux échecs, répliqua Vega avec un sourire.

Bientôt, deux autres groupes dans le wagon avaient sorti leurs propres tables – un duo de troisième année, et un quatuor de septième année –, et un véritable tournoi s'était organisé. Astoria avait dessiné sur une fenêtre un tableau des participants, et sur la table sous celui-ci était posée une montagne de friandises achetée plus tôt, qui serait donnée en premier prix au vainqueur du tournoi improvisé.

L'excitation des Serpentard avait fini par se répandre, et le wagon ne cessait de se remplir de curieux d'autres maisons qui venaient voir ce qui se passait. Pendant les deux parties de demi-finale, près d'une centaine de jeunes étaient entassés dans l'étroit wagon, n'ayant presque pas la place de bouger. Tory et Grace étaient debout derrière Vega, qui jouait depuis plus de trente minutes contre un garçon de cinquième année. Elle regardait sans bouger le plateau depuis près d'une minute complète. La foule autour d'elle semblait retenir son souffle.

Finalement, dans un mouvement presque soudain, elle donna un petit coup à son fou, qui s'avança de quelques cases. Avec un immense sourire, elle se tourna vers son opposant.

— Échec et mat !

Des applaudissements emplirent le wagon alors que le garçon inclinait la tête et que son roi laissait tomber son épée, vaincu. Les deux élèves se serrèrent la main et, pendant que les morceaux de Vega se réparaient et se replaçaient, une jeune femme de septième année, gagnante de la seconde demi-finale, s'assit face à elle. Elle sourit à sa jeune adversaire et, sans plus de cérémonie, la partie commença.

Une fois de plus, un épais silence tomba sur le wagon. Le son des roues sur les rails n'avait jamais été entendu si clairement de l'intérieur du Poudlard Express, alors que tous les yeux suivaient les mouvements d'une Serpentard, puis ceux de sa cadette.

La finale dura plus d'une heure. Si la foule avait été moins dense dans le wagon, ils auraient pu voir par les fenêtres que la noirceur était tombée, et qu'ils avaient commencé à croiser les premiers quartiers de banlieue de Londres.

Le train avait commencé à ralentir quand le visage de Vega s'illumina. Elle marmonna quelques mots, et sa reine s'avança vers le dernier pion blanc, le projetant à l'extérieur du plateau et prenant sa place.

— Échec et mat, dit-elle alors que la reine noire se tournait pour faire face au roi blanc.

La Serpentard blonde regardait le plateau en secouant la tête, l'air incrédule d'avoir perdu face à une petite fille de trois ans sa cadette. Finalement, après un coup de coude de sa voisine, elle tendit une main à Vega sans la regarder.

— Bien joué, dit-elle sèchement avant de retirer sa main et de disparaître vers le fond du compartiment.

Vega fut alors assaillie de tous bords tous côtés. Grace et Tory sautillaient autour d'elle en hurlant, et Richard, qui les avait rejointes en cours de partie, tira sa copine à lui et l'embrassa à pleine bouche.

— La reine des échecs, mesdames et messieurs ! annonça-t-il à tout le wagon, un bras posé sur les épaules de Vega.

Celle-ci ne pouvait s'empêcher de rire en regardant les visages souriants autour d'elle. En se hissant sur la pointe des pieds elle épia, au fond du wagon, Rionach qui la regardait en souriant. Quand celle-ci vit que Vega l'avait aperçue, elle lui fit un clin d'œil, puis disparut par la porte.

Vega doutait que son sourire allait disparaître un jour.

***

Sur le quai, Rigel King attendait sa fille, adossé à une colonne. Après avoir souhaité de joyeuses fêtes à Tory, que ses parents pressaient déjà vers la sortie de la gare, Vega rejoignit son père.

— Maman est pas là ? demanda-t-elle alors qu'il s'emparait de sa malle.

— Elle a le rhume, elle a décidé de rester au chaud à la maison. De toute manière, je croyais que tu étais trop vieille pour avoir tes deux parents sur le dos.

Vega lui fit une grimace, puis lui demanda de l'attendre un instant. Elle se dirigea vers un groupe assemblé non loin d'elle, des adultes et des adolescents. Elle reconnaissait les Malefoy, parents et fils, les Parkinson, les Crabbe et les Goyle... Sans se faire remarquer, elle attrapa le bras de Grace et la tira vers le côté. Celle-ci regarda le visage de son amie et soupira.

— Non, je ne te redemanderai pas de venir passer Noël à la maison, dit Vega. Mais si tu as besoin de quelque chose pendant les vacances, quoi que ce soit, n'hésite pas.

Grace lui fit un petit sourire, mais avant qu'elle ne puisse répondre, Rigel s'était approché des deux filles.

— Grace, dit-il, ça fait plaisir de te voir. Ça fait longtemps que tu n'es pas passée par la maison, il me semble. Tu devrais venir pendant les vacances, je suis certain qu'Irene serait ravie.

Grace n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche que son frère s'était matérialisé derrière elle. Il l'attrapa fermement par l'épaule et toisa Rigel du regard.

— Monsieur King, dit Theodore d'une voix glaciale. Je n'ai jamais compris pourquoi mon père tolérait l'association de Grace avec vous. Si ce n'était que de moi, la famille Nott ne s'associerait jamais au nom de King. Père ou fille.

Le regard froid du Serpentard se posa sur Vega, qui se sentit rougir. Après un instant, il fit volte-face, entraînant Grace à sa suite. Rigel prit sa fille par le bras et la tira vers la sortie, marchant d'un pas rapide. Il avait le visage fermé et la mâchoire crispée. Après avoir traversé le mur magique, il sembla réaliser à quel point il serrait le bras de Vega et retira sa main.

— Désolée, chérie. Je t'ai fait mal ?

— Non, ça va, répondit Vega en se massant l'épaule. Qu'est-ce qu'il voulait dire, Theodore ? C'est quoi son problème avec les King ?

Le regard de Rigel se rembrunit, mais il rencontra celui de sa fille et répliqua avec fermeté :

— Rien qui te concerne. C'est dans mon passé. Ne le laisse jamais te faire croire que tu n'es pas assez bonne pour être l'amie de qui tu veux, tu comprends ? Jamais.

Vega aurait voulu continuer à demander des explications à son père, mais celui-ci lui tourna le dos et se mit à avancer à grands pas vers la sortie de la gare, l'obligeant à se presser pour le suivre. Elle remettrait ses questions à plus tard.

***

Allongée sur son lit, son chat étendu à ses côtés, Vega grignotait des crapauds à la menthe, les derniers survivants de sa victoire aux échecs du début des vacances. Elle se trouvait, à sa grande surprise, à avoir hâte à son retour à Poudlard, le lendemain. Les trois King avaient passé la période de Noël seuls cette année, la famille bulgare d'Irene n'ayant pas voulu faire le voyage au Royaume-Uni cette année-là à cause de la situation politique du pays sorcier. Ils s'étaient échangé leurs cadeaux aux sons de Célestina Moldubec à la radio, et avaient accueilli la nouvelle année avec trois tristes verres de bièraubeurre.

Vega avait tenté d'interroger son père à propos de ce qui s'était passé avec Theodore Nott pendant les quelques premiers jours des vacances, mais Rigel n'avait jamais rien voulu lui dire. Il continuait à lui répondre des vagues « ça ne te regarde pas » et autres « c'est du passé ». Elle continua néanmoins à insister jusqu'à ce que sa mère entre dans sa chambre, un soir, et lui dise d'un ton ferme de laisser Rigel tranquille.

— Il ne veut plus penser à cette époque de son passé, et tu ne fais que l'obliger à brasser des souvenirs douloureux. Arrête d'insister.

Malgré elle, elle avait donc lâché le morceau, mais se promettait d'y revenir si elle en entendait à nouveau parler après la rentrée.

En plus de cela, Vega avait à peine reçu de nouvelles de ses amies durant les vacances, ce qui ne faisait que lui donner encore plus envie de les revoir. Tory lui avait écrit une longue lettre le 25 décembre, accompagnée du dernier tome de la série de Moira Wonn – pour laquelle Vega s'était découvert une passion en octobre. De Grace, cependant, elle n'avait reçu qu'une carte de Noël avec quelques mots génériques gribouillés à l'intérieur. Le cœur de Vega avait plongé dans ses talons quand elle avait ouvert l'enveloppe. Grace et elle étaient amies depuis leur tout premier voyage à bord du Poudlard Express, en septembre 1993. Elle refusait d'accepter que leur bisbille des derniers mois allait signer la mort de leur amitié, ni que son frère ait pu lui empoisonner l'esprit contre elle. Il faudrait qu'elle y remédie dès leur retour au château.

Seul Richard donnait régulièrement signe de vie. Le hibou de sa famille apparaissait à la fenêtre de la cuisine tous les deux ou trois jours – si bien que Vega avait dû expliquer à ses parents de qui il s'agissait. Irene avait été ravie du copain de sa fille, un bon Serpentard au sang pur, mais Rigel avait été grognon en apprenant la nouvelle.

— Quatorze ans, c'est bien trop jeune pour tout ça.

— Je vais avoir quinze ans dans deux mois, papa ! protesta Vega pendant qu'Irene éclatait de rire en tapant son mari sur le bras.

Pour Noël, il lui avait envoyé une chaîne dorée ornée d'un serpent aux yeux d'émeraude. Le bijou n'était pas vraiment à son goût – elle en portait rarement, à vrai dire – mais elle s'était jointe aux effusions de sa mère en ouvrant le paquet, avait envoyé mille remerciements à Richard en réponse, et le portait tous les jours depuis Noël.

La mélodie de la musique qu'écoutait sa mère à la radio dans la pièce voisine pénétrait la chambre de Vega par les murs. Sous sa main, Kotka vibrait de ronronnements. C'est ainsi que la jeune fille s'endormit, ne se réveillant même pas quand son manuel d'histoire lui glissa des mains pour tomber sur le matelas à côté de sa tête.

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