Concert et Gallion

Le douze juillet au soir, Vega se trouvait au plein centre-ville de Londres, devant ce qui semblait être une usine désaffectée. Les quelques Moldus qui passaient dans le coin lui jetaient des regards curieux, se demandant ce qu'une jolie jeune fille comme elle pouvait bien faire là, plantée devant ce vieil immeuble – pourquoi la mairie ne l'avait-elle pas mis à terre, d'ailleurs ?

Mais Vega était là pour une raison bien précise.

L'apparence décrépite de l'immeuble n'était que pour les yeux des Moldus. Les sorciers, eux, voyaient la lumière qui sortait des fenêtres et des portes ouvertes. Sur le panneau d'affichage au-dessus de la porte, où les Londoniens ne voyaient que du vieux papier se détachant du bois, Vega voyait, en lettres clignotantes, « Bizarr' Sisters – ce soir ! »

Rigel et Irene s'étaient installés au café d'en face après avoir transplané à Londres avec leur fille. Ils la voyaient par la devanture de celui-ci, appuyée contre le mur de la salle de spectacle, dans une position qu'elle voulait nonchalante démentie par la vitesse à laquelle elle tournait la tête chaque fois que quelqu'un tournait le coin.

— Elle t'a dit qui elle attendait ? demanda Rigel à sa femme.

— Non, répondit Irene. Juste que c'est Richard qui lui a donné les billets avant de rompre avec elle.

— C'est lui qui va venir, tu crois ?

Irene haussa les épaules et se retourna vers sa fille, au moment où celle-ci s'écartait du mur avec un grand sourire. Irene suivit son regard et vit une jeune femme de l'âge de Vega aux longs cheveux châtain.

— Rio ! s'exclama Vega en serrant son amie dans ses bras. Tu es venue !

— Bah, tu m'as invitée, non ?

Elle avait laissé traîner la décision de choisir qui inviter au concert, sous prétexte qu'elle trouvait trop difficile de choisir entre ses deux meilleures amies. Mais finalement, la semaine précédente, quand elle s'était assise à son bureau avec un parchemin et s'était obligée à inviter l'une d'entre elles, ce n'était ni le nom de Grace ni celui de Tory qu'elle avait inscrit sur l'enveloppe, mais celui de Rionach. Sa réponse enthousiaste était arrivée dès le lendemain, et Vega en avait tellement été heureuse qu'elle avait exécuté quelques pas de danse dans sa chambre sous le regard curieux de Kotka.

Les deux filles passèrent la vieille porte et furent instantanément oubliées par les deux fumeurs moldus qui les avaient observées, de l'autre côté de la rue. Elles trouvèrent rapidement leurs places, en plein centre de la première rangée du balcon – Richard avait fait un excellent choix. Vega eut une pensée coupable pour son ex-copain, mais celle-ci disparut quand Rio se tourna et commença à lui parler.

Elles eurent le temps de se raconter leurs deux premières semaines de vacances avant que les Bizarr' Sisters ne montent sur scène. Aussitôt Kirley Duke eut-il gratté le premier accord que la foule en liesse se leva avec un hurlement, coupant court à toute forme de conversation.

Pendant près d'une heure, Vega et Rionach dansèrent côte à côte, chantant à tue-tête leurs chansons préférées – « can you dance like a hippogriff, nanana nanana nanana ! » –, se tournant de temps en temps pour échanger des regards excités et se serrer dans leurs bras.

Le concert tirait à sa fin quand les lumières de la salle se tamisèrent, les membres du groupe s'approchèrent de l'avant de la scène, et la foule se tut. Quand les premières notes de La valse des sirènes résonnèrent dans la grande salle, les adultes de l'auditoire sortirent leur baguette, en allumèrent le bout et la tinrent au-dessus de leur tête, chantant doucement les paroles de la chanson lente. Regardant cette constellation qui s'étendait sous ses pieds, écoutant une interprétation rêvée de sa chanson préférée, Vega sentit les larmes lui monter aux yeux. Rionach lui passa un bras autour des épaules.

— Merci de m'avoir invitée, murmura-t-elle à son oreille.

Vega se tourna vers son amie avec un sourire et, sans avertissement, celle-ci plaqua ses lèvres sur les siennes. Plutôt que de se figer, comme elle l'avait fait avec Richard, elle ferma les yeux et se laissa aller. C'était comme si tous ses sens étaient décuplés. Elle n'entendait plus que la musique des Bizarr' Sisters, omniprésente autour d'elle, goûtait les saveurs les plus subtiles sur les lèvres de Rionach, sentait sous ses mains toutes les fibres de son chandail.

Quand elles s'éloignèrent, plusieurs moments plus tard, c'était avec des sourires identiques sur le visage, des étincelles plein les yeux. Seulement au moment où la chanson se termina arrêtèrent-elles de se regarder dans les yeux pour applaudir de toutes leurs forces. Et aussitôt le groupe reprit-il ses instruments que Vega retrouva la main de Rio et la serra dans la sienne. Elles restèrent main dans la main jusqu'à la fin du concert.

Dans la rue, les parents des deux filles les attendaient, prêts à les ramener à la maison. Avant de partir dans des directions opposées, chacune des familles allant transplaner dans des quartiers différents, elles s'échangèrent un dernier regard et des promesses de s'écrire tout l'été.

En se glissant dans son lit, ce soir-là, Vega sentait toujours la peau douce de Rionach contre sa paume, ses lèvres contre les siennes. Quand elle finit par glisser dans les bras de Morphée, ce fut avec un sourire rêveur sur le visage.

***

Vega n'avait jamais écrit autant de lettres que pendant l'été qui suivit. Toutes les semaines, elle envoyait au moins deux longues missives à Rionach, et en recevait autant. Ses parents avaient remarqué cette nouvelle correspondance – puisque le hibou familial n'était plus jamais perché dans un coin de la cuisine, comme il l'était habituellement –, mais ne sautèrent pas aux mêmes conclusions qu'à Noël, quand la poste avait été aussi fréquente pour leur fille. Pour eux, Rionach n'était que la très bonne nouvelle amie de Vega. Ils ne pouvaient pas – ne voulaient pas – chercher plus loin.

Quant à elle, Vega n'avait rien dit à Grace et Tory sur sa nouvelle relation. La famille O'Neal était pure depuis huit générations – plus encore que celle de Richard –, mais Rionach était une fille, et une Gryffondor. Elle savait que ça pèserait bien plus dans la balance pour ses amies que la pureté de son sang, alors elle ne dit rien, ni sur Rionach ni même sur le concert des Bizarr' Sisters.

Le premier août, un grand-duc noir qu'elle ne reconnaissait pas frappa à la fenêtre à l'heure du déjeuner. L'enveloppe de parchemin portait le nom de Vega King en encre noire si foncée qu'elle reluisait au soleil, et quand elle tourna l'enveloppe, le cœur de Vega fit un bond en reconnaissant le sceau de Poudlard. Elle n'avait pas de raison d'être surprise, pourtant, c'était la date où elle recevait toujours ses lettres, mais elle avait pensé que les choses auraient été différentes cette année, après les événements de la fin de l'année dernière. Et cette encre d'un noir profond, remplaçant le vert auquel elle avait l'habitude, l'inquiétait encore plus. Elle se rassit à la table avec ses parents, un pli d'inquiétude entre les sourcils.

— Ta lettre de Poudlard ? Ouvre-la, dit Rigel quand sa fille hocha la tête.

Rigel et Irene s'échangèrent un regard inquiet au-dessus de leurs tasses de café pendant que Vega décachetait l'enveloppe. Elle vit tout de suite que la lettre d'introduction avait changé, et la tint devant elle, la lisant à voix haute pour ses parents.

— « Mademoiselle Vega King, si vous recevez cette lettre, votre sang a été jugé par la nouvelle direction de l'école de sorcellerie de Poudlard d'une pureté suffisante pour poursuivre votre scolarité. Celle-ci est dorénavant obligatoire pour tous les sorciers de la Grande-Bretagne, et si vous ne vous présentez pas à l'école le premier septembre 1997, sachez que nous ferons tout en notre pouvoir pour vous retrouver. »

Irene soupira et se mit une main devant les yeux. Pas question de l'envoyer à Durmstrang cette année, se dit Vega. Pour une raison ou une autre, cette perspective la désolait.

— « Vous verrez sur votre liste de manuels requis que certains cours obligatoires ont été ajoutés à votre curriculum cette année », poursuivit-elle. « Les cours d'étude des Moldus font maintenant partie du tronc commun de la scolarité à Poudlard et seront requis de la première à la septième année. »

Cette lettre était signée par Alecto Carrow, assistante au directeur Severus Rogue.

— Rogue ?! s'exclamèrent simultanément Rigel et Vega.

Elle avait cru que ça serait McGonnagall à la tête de l'école, à la place de Dumbledore.

Que ce soit son directeur de maison – ancien directeur de maison maintenant, pensa-t-elle – ne présageait rien de bon.

Elle reçut trois autres lettres ce jour-là. D'abord celle de Tory, qui lui disait qu'Alecto Carrow était une Mangemort, et que sa présence à l'école aux côtés de Rogue ne pouvait être qu'inquiétante. Mais les Greengrass ne s'en faisaient pas, se rassurant que Serpentard était sans doute l'endroit le plus sécuritaire où se trouver au courant de l'année suivante. Elle ne mentionna pas les nés-Moldus, qui ne pourraient pas revenir au château en septembre. Bien sûr, il n'y en avait aucun dans leur maison, et les Greengrass, malgré leur neutralité apparente, ne se mêlaient pas à « ce genre de personne », comme ils disaient.

Vint ensuite celle de Grace. Sa réaction à elle était tout à l'opposée de celle de leur amie : elle était ravie par cette nouvelle. « Rogue ne peut être qu'un excellent directeur », écrivait-elle, en félicitant sa décision de restreindre l'éducation sorcières à « ceux qui le méritent », d'après elle. Avec un petit frisson, Vega posa la lettre de côté. Elle ne savait pas du tout comment elle allait répondre à cette lettre. Elle ne savait même pas si Grace Nott et elle pourraient continuer à être amies pendant la prochaine année scolaire.

En après-midi, finalement, un hibou la retrouva dans le fond de son jardin pour lui donner la lettre de Rionach. Celle-ci reflétait les inquiétudes qu'avait ressenties Vega le matin même, amplifiées. Elle se demandait ce qu'il adviendrait des autres professeurs, des autres cours. Elle parlait de deux de ses camarades de dortoir qui, elles, avaient deux parents Moldus et ne pourraient pas revenir à Poudlard. Elle parlait du besoin de se lever et de protester – « Abus Dumbledore n'aurait jamais accepté cela » – et Vega ne pouvait qu'admirer le courage de son amie. Une vraie Gryffondor.

« J'ai hâte de te revoir », écrivait-elle à la fin de sa lettre. « De te parler, de te toucher. Tu es la seule raison pour laquelle j'ai hâte au premier septembre. Même si tu es à Serpentard. »

Vega sourit en glissant l'enveloppe entre les pages de son livre.

***

Quelques jours plus tard, pendant que Vega était dans sa chambre en train de ranger dans sa malle les manuels que son père lui avait ramenés du Chemin de Traverse – Irene avait formellement interdit à sa fille d'y mettre les pieds et, cette fois, Vega n'avait pas trop protesté –, la sonnette de la porte se fit entendre. Ils n'attendaient personne, pourtant, et n'avaient pas eu de visiteurs surprise depuis le début de l'été. Vega sortit de sa chambre, curieuse, et commença à descendre les escaliers. Son père arriva du salon et, alors qu'elle n'était plus qu'à quelques marches du plancher, lui dit d'une voix ferme :

— Reste là.

Il entra dans le vestibule et, après un dernier regard derrière lui pour s'assurer que Vega lui avait obéi, regarda par le judas.

— Quel est le nom du collègue que nous aimerions voir nous quitter d'ici la fin du mois ? demanda-t-il d'une voix forte.

— Anderson, répondit une voix derrière la porte.

Rigel ouvrit celle-ci et serra la main d'Arthur Weasley. Vega, jugeant que la situation ne comportait aucun danger, descendit les dernières marches et s'approcha des deux hommes.

Elle vit la main de monsieur Weasley faire un mouvement presque imperceptible vers sa baguette quand elle entra dans la pièce, mais, lorsqu'il la reconnut, son visage se fendit d'un sourire.

— Vega ! s'exclama-t-il. Merlin, comme tu as grandi depuis la dernière fois qu'on t'a vue ! Molly sera jalouse quand je lui dirai que je t'ai croisée.

Il se tourna, et ce ne fut qu'à ce moment que Vega remarqua que sa fille l'accompagnait. Il prit des mains de Ginny une boîte rectangulaire, qu'il tendit à Rigel.

— En parlant de Molly, elle vous envoie une part du gâteau de mariage.

Il soupira.

— Je crois qu'il en restera encore l'année prochaine.

— J'ai entendu ce qu'il s'était passé au mariage, dit Rigel en acceptant la boîte. Est-ce qu'il y a vraiment eu -

— Viens dans la cuisine, interrompit monsieur Weasley avec un regard en biais vers Ginny et Vega. Il faut qu'on se parle.

Les deux hommes partirent vers la cuisine, laissant leurs filles seules dans le vestibule. Vega fit un signe de la main pour que Ginny la suive, et elles s'installèrent dans le salon.

— Ta mère est où ? demanda Ginny dans le silence.

— Elle est allée voir une amie en campagne pour la fin de semaine.

Puis :

— Est-ce que c'est vrai, ce qu'on a entendu sur le mariage de ton frère ? demanda-t-elle subitement. Il y a eu des Mangemorts, et une bataille ?

Ginny soupira, et hocha la tête.

— Papa ne veut pas en parler devant moi, comme si je n'avais pas été là pour tout voir..., dit-elle en levant les yeux au ciel. J'imagine que toi c'est pareil, ton père ne doit rien te raconter de ce qu'il se passe au ministère.

Vega acquiesça. À la fin du mois dernier, il y avait eu une fuite en masse d'Azkaban – une autre. Rigel passait de longues journées au bureau, rentrait tard le soir et repartait à l'aube. Mais ni lui ni Irene n'avait voulu lui avouer ce qu'il s'était passé, cachant les derniers exemplaires de la Gazette du Sorcier avant qu'elle ne descende déjeuner le matin, jusqu'à ce que ça soit finalement Grace qui lui raconte ces événements. D'un ton extatique, elle lui avait relaté dans une longue lettre débordante de joie palpable le retour à la maison de son père, l'effet positif que cette présence avait eue sur sa relation avec son frère, leur retour dans les hautes sphères sorcières. En seulement deux semaines, les Nott avaient soupé trois fois chez les Malefoy, et Vega avait cru lire entre les lignes que le Lord Noir en personne avait été présent lors d'au moins une de ces occasions...

— Rionach m'a parlé de toi.

Vega leva la tête soudainement. Rionach avait parlé d'elle à Ginny ? Qu'avait-elle dit ? Mais la rousse regardait Vega d'un air sérieux, calculateur. Après un moment, elle sembla prendre une décision, et mit la main dans sa poche. Elle posa dans la main de la Serpentard un Gallion doré.

— Garde-le près de toi cette année à Poudlard, dit-elle en fermant les doigts de son amie dessus. Surtout, ne le perds pas, et ne le dépense pas. Rio ou moi, on te contactera au moment opportun. D'ici là, n'en parle à personne.

Vega observa le Gallion. Il semblait une pièce de monnaie tout à fait ordinaire.

— Qu'est-ce que –

— Tu comprendras plus tard, la coupa Ginny d'un ton qui mettait fin à la discussion.

Vega passa encore un moment à observer le Gallion sous toutes ses coutures, attendant qu'il révèle son secret – y avait-il un code secret dans la série de chiffres qui s'alignaient le long de sa bordure ? –, mais finit par le glisser dans sa poche arrière. Plutôt que de poser à Ginny toutes les questions qui la démangeaient, auxquelles celle-ci ne répondrait certainement pas, elle lui demanda de lui raconter le mariage. Avec un grand sourire, la Gryffondor raconta donc la cérémonie, parlant de la beauté de sa belle-sœur, des agréables moments qu'elle avait passés avec ses frères et ses cousins.

— Tante Muriel, par contre, était toujours aussi désagréable.

Vega, qui avait rencontré la légendaire tante une fois dans son enfance et s'était fait critiquer sur sa coupe de cheveux à la garçonne – le moindre de ses soucis, à cinq ans et demi –, rigola. Avant qu'elle ne puisse commencer à interroger Ginny sur la fin de la réception, par contre, celle dont elle n'avait entendu des détails qu'en écoutant subrepticement une conversation entre ses parents alors qu'ils la croyaient endormie, trois soirs auparavant, le père de celle-ci apparut dans l'embrasure de la porte.

— Tu viens Ginny ? J'ai fini avec monsieur King.

La rousse se leva, et les Weasley retournèrent dans le vestibule, suivis par les King. Avant de passer la porte, Arthur serra de nouveau la main de Rigel, disant :

— On se reparle bientôt.

Ginny, elle, regarda Vega et hocha la tête sans sourire.

— On se revoit en septembre.

Quand Rigel referma la porte derrière eux, un air pensif sur le visage, Vega lui demanda :

— De quoi est-ce que monsieur Weasley voulait te parler ?

— Hum ? demanda-t-il, l'air perdu dans ses pensées. Oh, seulement un problème au travail.

Sans en dire plus, il repartit dans la cuisine, et Vega le regarda, les sourcils froncés. Il lui mentait clairement : quel genre de problème de travail devait absolument être réglé un dimanche après-midi, et demandait la présence d'Arthur plutôt qu'un simple coup de Cheminette ? Elle mit la main dans sa poche, sentant le Gallion entre ses doigts. Il se passait bien des choses en ce moment, et elle en avait plus qu'assez d'être traitée comme une petite fille à qui on ne disait jamais rien.

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