Amortentia et distraction

Le lendemain, au grand désespoir de Tory, Vega décida de passer la journée dans son dortoir avec Grace.

— Et je suis censée faire quoi avec deux meilleures amies recluses ? demanda-t-elle en jetant ses mains en l'air.

— On a des devoirs à finir, répliqua Vega en montrant à son amie son manuel de métamorphose ouvert sur ses genoux.

— Pff, dis plutôt que tu ne veux simplement pas risquer de voir Richard !

Grace se tourna et regarda Vega. Le regard de celle-ci passait de l'une de ses amies à l'autre.

— J'ai pas le droit d'avoir deux raisons de ne pas vouloir sortir aujourd'hui ? bougonna-t-elle.

Avec un petit rire, Tory souhaita une bonne journée à ses amies – « essayez de ne pas laisser de la mousse vous pousser dessus, quand même ! » – et sortit du dortoir. Vega se replongea dans la lecture du chapitre sur les sortilèges de transfert et Grace continua son parchemin d'histoire de la magie. Après une bonne quinzaine de minutes de silence, cette dernière leva la tête et se tourna pour fixer son amie. Quand Vega sentit son regard peser sur elle, elle leva les yeux et, sans même savoir pourquoi, commença à rougir.

— Quoi ? demanda-t-elle défensivement.

— Est-ce que tu...

Grace se racla la gorge et se tourna pour faire face à son amie.

— Est-ce que tu as laissé Richard parce qu'il y a quelqu'un d'autre qui t'intéresse ?

— Non !

Vega avait presque crié. Elle ferma les yeux et inspira longuement, tentant de calmer son énervement contre son amie, et repris d'une voix plus posée.

— Non. Je vous ai dit que c'est lui qui m'avait quittée parce que je ne lui avais pas répondu que je l'aimais et... c'est vrai, je ne l'aimais pas. Je n'aurais jamais dû commencer à sortir avec lui, je ne l'ai jamais vu comme plus qu'un ami...

Mais Grace continuait à la fixer, semblant chercher la vérité du regard. Après un instant où Vega garda le silence, elle haussa finalement une épaule et retourna à son devoir. Vega soupira et reprit son manuel sur ses genoux, frustrée malgré elle. Elle ne comprenait pas pourquoi Grace semblait si certaine qu'elle lui mentait. Vega ne lui avait jamais rien caché. Et si elle avait quelque chose à cacher à ses amies, elle le saurait.

Pas vrai ?

***

Le matin suivant, Vega fut la dernière à arriver au cours de divination. Quand elle émergea dans le petit vestibule sous la salle de classe, tous ses autres camarades avaient déjà disparu au haut de l'échelle argentée. Elle grimpa celle-ci le plus rapidement possible, et vit en entrant dans la classe que tous étaient déjà assis. Elle resta un instant sans bouger à côté de la trappe ronde, regardant d'abord vers les Serpentard, où Richard s'était à nouveau mis avec Joffrey et ne regarda même pas vers Vega quand celle-ci apparut, puis vers les Gryffondor. Au centre du groupe, Rionach la regardait curieusement.

— Prenez place, prenez place, dit Trelawney d'une voix vaporeuse en s'approchant de son propre bureau.

Sans plus attendre, Vega se rendit à la table du « no man's land » au centre de la salle, celle qui avait au début de l'année été réservée à Rio et à elle, et qui était aujourd'hui occupée par une Gryffondor grassouillette aux boucles blondes. Quand la Serpentard s'assit à côté d'elle, celle-ci grimaça de façon perceptible. Énervée, Vega eut envie de la mordre.

Pendant tout le cours inintéressant sur la cléromancie, où sa partenaire de fortune osait à peine lui parler, Vega ne cessait de jeter des coups d'œil à Richard, d'abord, qui ne lui rendait jamais, puis à Rionach, qui la regardait de temps en temps avec ce même air curieux.

Après le cours, elle descendit quatre à quatre les marches vers les cachots, déterminée à ne pas faire perdre de points à Serpentard cette fois, et arriva juste à temps. Quand elle entra dans la salle de cours de Slughorn, elle vit un grand chaudron plein d'un liquide rosé sur une table au fond de la classe.

— Un projet avec mes Poufsouffle de sixième année, dit-il. De l'Amortentia. Asseyez-vous, asseyez-vous, ce qu'on va faire aujourd'hui est beaucoup plus simple...

Vega se pressa vers l'avant de la classe, où Tory l'attendait devant Grace et Jocasta.

— Bleurgh, elle pue, cette potion, dit-elle silencieusement en posant son sac sur son tabouret. On dirait le bureau de Trelawney.

Grace la regardait, un sourcil haussé.

— L'Amortentia est censée sentir la personne que tu aimes, dit-elle. Es-tu en train de me dire que tu es amoureuse de cette vieille chouette ?

Vega grimaça, pendant qu'Astoria et Jocasta riaient.

— C'est ça, moquez-vous de moi ! grommela-t-elle. Et vous, vous avez senti quoi ?

— De la sueur, soupira Tory. Comme un vestiaire après un entraînement de Quidditch.

— Sexy, répondit Vega en fronçant le nez.

Le cours qui suivit fut l'un des plus occupés de l'année. La potion qu'ils confectionnaient n'était pas des plus compliquées, mais elle exigeait une surveillance constante, des ajouts d'ingrédients coupés de façon précise à des moments exacts, et un feu géré au degré près. Un silence tendu occupa bien vite la classe, remplaçant le brouhaha sympathique qui régnait habituellement dans la salle de potions de Slughorn.

Vers la moitié de la préparation, Vega se leva pour aller chercher le prochain ingrédient – du venin de manticore – pendant que Tory touillait leur potion avec grande concentration. Quatre tours vers la gauche, deux tours vers la droite, puis cinq secondes de pause, et on recommence... En se dirigeant vers l'armoire à l'avant de la classe, elle essuyait les gouttes de sueur qui coulaient sur son front, et ne remarqua pas la personne qui arrivait au même moment qu'elle avant de le heurter.

— Oh, désolée ! dit-elle.

Il s'agissait de Richard. Les deux anciens membres du couple se regardèrent un instant, les joues rouges, et le jeune homme fut le premier à se détourner.

— Venin de manticore ? demanda-t-il d'une voix plate.

Vega hocha la tête silencieusement. Richard emplit deux petites fioles du liquide jaune et en tendit un à la jeune fille sans la regarder. Elle le remercia d'une petite voix, mais il était déjà reparti à grands pas vers son propre chaudron, derrière lequel Joffrey l'attendait avec une grimace. Avec un soupir, Vega retourna à la table de Tory et prépara la fiole pour la verser dans leur chaudron.

— La prochaine fois, tu resteras ici, j'irai chercher ce qu'il nous faut, dit Tory d'une voix désolée.

Vega hocha une épaule.

— On est dans la même maison et presque toujours dans les mêmes cours, il va bien falloir qu'on apprenne à se côtoyer.

Elle versa la fiole de venin dans la potion, et fronça le nez quand celle-ci devint brune et épaisse, émettant une odeur nauséabonde.

— Eurk, s'exclama-t-elle en reculant. Tu es sûre que tu as bien fait ce qu'il fallait.

Tory, les doigts qui lui pinçaient le nez, feuilletait à toute vitesse le manuel de potions.

— Berde, finit-elle par dire. J'ai oublié d'éteindre le feu avant de bettre le vedin.

***

Le lendemain matin, à l'heure du déjeuner, un hibou qu'elle ne reconnaissait pas se posa devant Vega. Elle reposa son croissant sur son assiette, curieuse, et détacha le petit bout de parchemin attaché à la patte du volatile. Après s'être assurée que ses deux amies assises face à elles regardaient ailleurs, elle déroula la missive. Elle reconnaissait bien l'écriture qui s'y trouvait, et sourit en lisant les mots qui se présentaient à elle.

Vega,

Je serai dans la salle de cours abandonnée à côté de la bibliothèque à vingt heures ce soir.

Joyeux anniversaire en retard,

Rio

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Grace, qui la regardait par-dessus son exemplaire de la Gazette.

— Oh, ça ? dit évasivement Vega et glissant le petit parchemin dans sa poche. Rien du tout, juste un... un rappel pour un travail d'équipe en divination.

À son soulagement, Tory et Grace semblèrent accepter cette réponse et se retournèrent vers le journal.

Pendant tous ses cours de la journée, Vega était distraite, se demandant pourquoi Rionach désirait la voir ce soir-là. En cours de sortilèges, elle ne cessait de faire venir à elle les plumes et les manuels de ses voisins plutôt que l'oreiller sur lequel elle était censée s'exercer. Et métamorphose, malgré tous ses efforts, la tasse blanche sur laquelle elle devait faire apparaître un motif de fleurs restait obstinément de la mauvaise couleur.

Si Tory et Grace remarquèrent que quelque chose clochait, elles ne firent aucune remarque. Ils avaient appris le matin même que la prochaine sortie à Pré-au-Lard, prévue pour le samedi suivant, avait été annulée, et ce sujet était celui qui occupait tous les esprits.

— Vous croyez que c'est à cause de la guerre ? demanda Harper à midi.

— À la dernière sortie, une Gryffondor s'est retrouvée à Ste Mangouste, répondit Tory. Et personne ne sait encore qui est le coupable –

— Boah, c'est pas comme si elle était morte, marmonna Grace en continuant à manger.

— - alors ce n'est pas étonnant que les profs ne veulent plus qu'on sorte d'ici, continua Tory en jetant un regard en biais à son amie. Moi en tout cas, même si c'était pas annulé, je sais pas si je serais allée.

Les cours de l'après-midi furent encore moins productifs que ceux de la matinée pour Vega. Elle se fit mordre en cours de botanique par un géranium dentu, puis causa accidentellement une explosion en leçon de runes anciennes, faisant partir en flammes un parchemin entier de traduction en essayant simplement de corriger une erreur d'un coup de baguette.

— Vous ajouterez cette traduction à vos devoirs à me rendre au prochain cours, mademoiselle King, dit la professeure Babbling en faisant disparaître les cendres de son travail d'un coup de baguette.

À la fin de la journée, ce fut totalement épuisée que Vega descendit à la Grande Salle. Elle laissa tomber sa tête sur la table pendant que Tory lui remplissait son assiette.

— Tiens, dit-elle en la plaçant devant elle. Pour te remettre de tes émotions.

Une fois le souper avalé, Vega s'arrêta dans le hall.

— Je crois que je vais monter à la bibliothèque travailler tout de suite sur cette traduction, dit-elle. J'arriverai plus à me concentrer que dans la salle commune.

Heureusement, ses amies ne proposèrent pas de l'accompagner, et elles se souhaitèrent simplement une bonne soirée avant de se séparer.

Il n'était même pas encore dix-neuf heures, alors Vega se rendit pour commencer à la bibliothèque. Elle pénétra dans l'ambiance feutrée de l'endroit, prenant place à une table vide entre deux rayons et sortant son dictionnaire runique. Avec comme fond sonore les murmures du groupe de Poufsouffle de la table voisine, qui travaillaient sur le chapitre sur les loups-garous qui avait donné tant de fil à retordre à Vega l'année précédente, elle recommença sa traduction sur une feuille de parchemin vierge. Celle-ci avançait assez rapidement, puisqu'elle se souvenait encore du travail qu'elle avait fait au courant de l'après-midi – un texte sur une légende irlandaise quelconque –, si bien qu'elle en était déjà aux trois quarts du devoir quand elle décida de plier bagage, quelques minutes avant vingt heures. Elle glissa son matériel dans son sac et sortit de la bibliothèque, laissant à leur place les Poufsouffle qui se battaient toujours avec leur travail de défense contre les forces du mal.

La pièce où Rionach lui avait donné rendez-vous, dans le corridor attenant à celui de la bibliothèque, était toujours vide quand Vega y entra. Elle venait d'allumer quelques bougies dans leurs chandeliers poussiéreux quand la porte s'ouvrit derrière elle. Elle se tourna pour voir la jeune Gryffondor entrer, le sourire aux lèvres, et fermer la porte derrière elle.

— Je n'étais pas certaine que tu viendrais, dit-elle en s'approchant de Vega.

— Pourquoi je ne serais pas venue ?

— Eh bien, comme je ne suis pas venue à ta fête...

Rionach haussa une épaule, puis sourit.

— C'est pour ça que j'ai voulu qu'on se rencontre ici ce soir. Je me disais que ça ne serait pas bien pour ta réputation si on te voyait avec une Gryffondor, de ton plein gré.

Vega rigola, et s'assit sur un des vieux bureaux. Rionach prit place sur celui d'en face, puis tendit à la Serpentard une petite boîte enveloppée de papier brun. Celle-ci se mit instantanément à la déballer.

— Des plumes en sucre ! s'exclama-t-elle en découvrant une boîte contenant une vingtaine de ses friandises préférées, de toutes les couleurs.

— J'ai remarqué que tu suçais souvent le bout de tes plumes, en cours, et je me suis dit que des plumes en sucre seraient sans doute meilleures que des vraies plumes...

Avec un petit rire, Vega se leva et serra la Gryffondor dans ses bras pour la remercier. Que Rionach l'ait assez observée pour remarquer qu'elle avait l'habitude de mâchouiller ses plumes la touchait – et la troublait aussi un peu, de façon étrangement plaisante – et elle était tout à fait ravie de son cadeau.

— Je l'ai achetée à Honeydukes, à la dernière sortie à Pré-au-lard, expliqua Rio, le bout de ses oreilles un peu rouge lui aussi quand Vega s'éloigna. J'avais pensé te la donner en cadeau de Noël, mais tu sais, comme tu avais...

Elle laissa sa phrase en suspens, et Vega la continua pour elle-même. Comme elle avait Richard, elle n'avait plus besoin de Rionach.

— Mais tu les as quand même gardées pendant des mois ? s'étonna Vega.

— J'aime pas les plumes en sucre, répondit simplement la Gryffondor, comme si cela expliquait tout.

Elles restèrent dans la petite salle abandonnée pendant près d'une heure, discutant de tout et de rien et retrouvant de la complicité qu'elles avaient commencé à développer pendant leur partenariat en cours de divination. Vega raconta à son amie sa fête d'anniversaire – en raccourcissant ce qu'il s'était passé avec Richard –, et Rionach relata à la Serpentard le dernier match de Quidditch de Gryffondor contre Poufsouffle, pendant lequel Ginny Weasley avait marqué non moins de dix-huit buts.

Quand la montre de Rionach sonna pour indiquer qu'il était déjà vingt et une heures, elle se leva et regarda Vega à regret.

— Il faut que je retourne, j'ai promis à un ami de l'aider à pratiquer ses sortilèges de transfert, dit-elle en passant son sac sur son épaule. On se voit en divination lundi ?

Ravie, Vega lui répondit d'un énorme sourire.

— Absolument !

Les deux filles sortirent ensemble de la salle, retournant côte à côte jusqu'au corridor de la bibliothèque. Avant qu'elles ne se séparent, Vega, sans savoir pourquoi – pas plus qu'elle ne savait pourquoi elle avait enfoui les billets de concert que lui avait offerts Richard au fond de sa malle et n'en avait pas soufflé mot à Tory et à Grace –, demanda :

— Tu aimes les Bizarr' Sisters ?

Rionach se tourna vers elle.

— Les Bizarr' Sisters ? répéta-t-elle. J'adore.

Sans en dire plus, elles se souhaitèrent une bonne soirée et retournèrent à leurs salles communes respectives. Tory et Grace étaient en pleine partie de cartes dans le dortoir quand Vega arriva et posa son sac sur son lit.

— Fini la trad ? demanda Grace dans lever les yeux.

— Presque.

— Elle a l'air de t'avoir mise sacrément de bonne humeur, en tout cas, ajouta Tory en riant.

Vega souriait d'une oreille à l'autre. Elle n'arrivait pas à retrouver une expression plus neutre, mais... en avait-elle vraiment envie ?

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