mise en forme des idées#3
"Merci pour le repas, souffla Draco en sortant du restaurant."
Le con, pardon Potter, avait prétexté un tour aux toilettes pour payer l'addition.
"Tout le plaisir est pour moi, rigola le brun devant sa tête légèrement fermée. Je te raccompagne ?"
Il s'apprêtait à dire non, quand-
"Ce n'est pas vraiment une question. On habite un peu au même endroit, tu t'en rappelles ?"
Oui, oui, il s'en rappelait.
"Et bien, montre-moi le chemin, soupira le blond en emboîtant le pas du brun."
Ils marchèrent en silence le temps de sortir du village. Les passants se faisaient toujours aussi nombreux, mais les familles turbulentes avaient cédé place aux couples paresseux, qui déambulaient main dans la main dans le crépuscule. Il ne faisait pas encore nuit, mais les rues se teintaient de couleurs bleutées, froides et pourtant rassurantes. Il faisait bon, de ces chaleurs d'été soutenables, où l'on commence enfin à respirer après un après-midi étouffant. Si Draco avait toujours l'air un peu tendu, mal à l'aise de ces conversations et silences potteriens, ledit brun ne semblait pas dérangé par cette balade nocturne, semblant même apprécier la compagnie du blond.
Ce n'est qu'arrivés devant la maison de l'écrivain, que Potter ouvrit enfin la bouche pour balbutier un :
"Bon... et bien, à plus tard j'imagine ?"
Draco hocha doucement la tête. Il voyait déjà le brun tourner les talons, l'air un peu dépité, lorsqu'il rajouta :
"Merci pour le dîner."
Il vit Potter sourire avant de disparaître dans l'allée après un dernier salut. Il lui sembla qu'il se passa des heures avant qu'il ne s'endorme.
***
Il se leva, armé d'une nouvelle force, décidé à sortir plus que quatre misérables phrases sur le papier.
Etape une :
Préparer un café. Il mangerait plus tard.
Etape deux :
S'installer confortablement. Il prit un siège dans la véranda, déposa son ordinateur devant lui, ouvrit un nouveau document et
Etape trois :
Trouver l'inspiration. Non pas La Grande Inspiration, mais du moins de quoi alimenter son imagination, quelque chose qui mette en mouvement ses doigts, qui les échauffe, les prépare, de quoi écrire, enfin, après ces longs mois dans le silence le plus total. Il avait l'impression d'être un muet, qui ne savait pas parler la langue des signes. C'était comme si, loin d'être incapable d'exprimer ses émotions, il ne savait même plus comment les ressentir. Il se sentait si vide, si abandonné, comme si quelque chose l'avait quitté. Il se sentait machinal, fatigué, embrigadé dans une routine monotone, déplaisante et ennuyante. Il fallait à tout prix en sortir. Alors, il commença.
Jeudi 29 :
Cher journal,
Pitié, ne dis rien à Blaise.
Et il raconta sa première journée. Il sentait son écriture faible, ses mots boiteux, ses phrases saccadées. Ce n'était rien qu'un simple sujet-verbe-cod, un écrit de première année, rien qu'une simple description de ses journées et pourtant... cela lui faisait du bien. Il sentait au bout de ses doigts les effluves de ses premières nouvelles, l'ancienne sensation d'impression de sociologie que lui avait procuré son premier ouvrage. Mais très vite, l'emportement s'essouffla et retomba. On ne prenait pas trois heures à écrire une journée. Il avait retranscrit du mieux qu'il pouvait ses discours avec Potter, cherchant à imiter le ton du brun, à répliquer ses mimiques, sans jamais trouver la juste mesure comme si quelque chose s'enrouillait dans son écrit.
Il ferma son ordinateur, à la fois content et déçu. Ce n'était pas trop mal, mais tellement insuffisant. Ce n'était pas avec ça que Ben allait le féliciter et le publier. Tant mieux, ce journal ne visait que lui.
Il se décida à sortir, cherchant à prendre l'air tant que la chaleur se faisait encore supportable. Pas qu'un ving-cinq degrès soit extrêmement chaud, surtout quand le vent s'agitait sur les bords de mer, mais après toutes ces fois à rester cloîtrer dans son appartement, il s'était habitué à la température ambiante, loin des pluies, neiges et canicules que les gens de dehors subissaient. Il prit de quoi lire, de quoi noter et de quoi payer, puis il se mit en route. Il se faisait l'effet d'un voyageur égaré, perdu en plein désert, mais cette sensation se perdit dès lors qu'il mit un pied dans le bourg. Les gens criaient, se bousculaient, se marchaient dessus. Quelle joie de tomber en plein milieu d'un marché.
"Il est frais mon poisson ! Pêché ce matin-même ! Il est frais mon-
-Deux euros le melon ! Deux euros le melon !
-Trois achetés, le quatrième offert !
-Vous voyez cette merveille ? C'est un petit bijou tout droit venu-"
Les conversations se perdaient les unes entre les autres, s'emmêlant et se disloquant en passant d'un étale à un autre, chaque vendeur posant sa voix sur celle de son voisin. Draco tenta de se frayer un chemin dans la masse, évitant poussettes et chiots de compagnies, essayant de ne pas bousculer les enfants et les personnes âgées. Il allait enfin sortir de la rue bondée, quand il se dit que peut-être le marché était l'occasion pour lui de faire quelques courses, au moins pour trouver de quoi se nourrir ce midi. Alors, soufflant et ronchonnant, il retourna dans la cacophonie.
Une heure et demie plus tard, sept abricots, deux courgettes, cinq tomates, deux filets de merlus, un de saumon, quatre poireaux, cinq cent grammes de fraises et une baguette de pain, il amorça le retour. Heureux sont les innocents, mais bien en peine sont les imbéciles qui ne pensent pas à prendre un sac ou à venir en vélo, armé d'un panier. Draco avait bien tenté de faire rentrer dans un même sac abricots et fraises, merlu et saumon dans un autre, tomates, courgettes et poireaux dans un troisième, mais les sachets n'étant pas résistants et la vendeuse paraissant outrée qu'on puisse mélanger les poissons, il avait décidé de repartir avec cinq sacs en plastique qui lui sciaient les mains. Il est vrai que ce ne sont pas quatre pauvres poireaux qui vous pèsent, mais additionnez tout cela avec d'autres ingrédients et vous vous retrouvez rapidement avec un bon kilo dans chaque main, plus une baguette sous le bras et un sac rempli de livres et autres joyeusetés qui menaçait de lui tomber de l'épaule. Rajoutez un soupçon de soleil et une absence de vent et vous obtenez un retour pénible et une humeur massacrante.
Draco soupira. Encore.
"Besoin d'aide peut-être ?"
Merlin et Morgane réunis...
"Qu'est-ce qu'il y a Potter ? souffla-t-il d'un ton excédé."
Le brun eut la délicatesse de rire. Il paraissait franchement amusé de la situation.
"Tu veux que je te prenne des sacs ?
-Non merci, répliqua-t-il un peu sèchement."
Il n'avait pas besoin de l'aide du Sauveur de la veuve et de l'orphelin, merci bien. Draco était un adulte, il était fort, grand, autonome-
"Tu es sûr ?"
Et irritable.
"Puisque tu tiens tant à m'aider, commença-t-il en lui donnant le premier sachet de poisson. Voilà pour toi."
Et il lui refourgua fruits, légumes et pain. Le pauvre Potter se retrouva sans le demander avec les cinq sacs, bien en peine et légèrement pris au dépourvu.
"Tu l'as cherché, conclut le blond."
Le brun grogna en réajustant le poids des sacs.
"Tu veux que je te prenne ton sac à main aussi ? ironisa-t-il."
Mais devant le sourcil haussé et moqueur du blond, il ravala rapidement sa réplique et se contenta de soupirer.
"Prends la baguette au moins.
-Mmm... hésita-t-il, joueur.
-Ce sont tes courses je te signale. A tout moment, je peux malencontreusement les lâcher."
Il fit mine de laisser partir un sac.
"Merlin Potter, s'écria Draco en se tendant impulsivement le bras vers le sachet. Tu ne sais pas combien ce saumon m'a coûté."
Le brun se contenta de rire. Il lui reprit la baguette et deux sachets, par précaution soyons clair, non pas parce qu'il se sentait mal de faire porter ses courses par Potter. Il ne voulait simplement pas prendre le risque d'arriver chez lui avec une ratatouille déjà prête.
"D'ailleurs, ça fait deux fois que tu me retrouves. Tu me suis ?
-Je ne te cherchais pas, répliqua Potter. Le marché est l'une des rares attractions de la semaine, j'en profite. Et je te rappelle qu'on habite dans la même rue.
-Oui, je sais.
-Et vu la vitesse à laquelle tu marches, que tu sois parti maintenant ou cinq minutes avant, je t'aurai rattrapé dans tous les cas, ajouta-t-il moqueur."
Draco se contenta de lever les yeux au ciel, tout en cachant le léger sourire qui lui venait aux lèvres.
"Ce sont les sacs, ils ne sont pas pratiques, se justifia-t-il.
-Bien-sûr, ricana le brun."
Ils marchèrent quelques instants en silence.
"Qu'est-ce qu'il y a à faire dans cette région finalement ? reprit Draco.
-Pas grand chose... De la marche surtout. Il y a quelques coins sympas à visiter."
Le blond hocha la tête, sans oser demander plus d'informations. Il n'allait quand même pas demander à Potter de jouer les guides touristiques.
"Je pourrais t'en montrer quelques uns si tu veux. Je veux dire, je peux te les indiquer. Pas... pas qu'on y aille ensemble. Enfin, si tu vois ce que je veux dire, balbutia-t-il, les joues un peu colorées.
-Pourquoi pas, répondit-il d'un ton qui se voulait nonchalant."
En vérité, il avait hâte de savoir où il pourrait s'enfuir pour échapper à l'ambiance restreinte et quelque peu opprimante de sa maison. Il sentait qu'il allait vite tourner en rond s'il ne s'improvisait pas quelques visites du coin. Et Pansy lui demanderait sûrement comptes et photos, alors... autant en profiter. Avec un peu de chances, il pourrait utiliser des paysages dans certaines descriptions. Si futur roman, il y avait.
"Viens à la maison ce soir, proposa soudainement Potter en le regardant dans les yeux. J'ai des cartes, je pourrai te faire une liste."
Draco prit quelques secondes pour réfléchir à la proposition. Sans qu'ils se soient rendus compte, ils s'étaient arrêtés en plein milieu de la route tels deux amants en train de se déclarer leur flamme dans une pauvre comédie romantique. Pas que ce soit leur cas bien entendu.
"Pourquoi pas, répéta-t-il doucement en détachant les mots."
Il ne savait pas trop ce qui lui avait prit d'accepter la proposition, mais c'est ce type d'aventures qui inspire non ?
"Super, sourit le brun, apparemment enchanté de son acceptation."
Et ils reprirent leur marche comme si tout cela n'avait pas existé. Ce n'est que devant la maison de Draco, lorsqu'il lui tendit ses sacs que Potter rajouta :
"Dix neuf heures trente, ça te va ? Ce n'est pas trop tard pour toi ?
-Non, c'est très bien. Je n'ai rien de prévu de toute façon, compléta-t-il dans une tentative de rigoler."
Mais devant le regard joyeux et sérieux du brun, il ravala son rire et se surprit à détourner le regard. Bordel, le voilà à réagir comme s'il avait de nouveau dix-sept ans. Maudit soit l'effet Potter, à lui retourner le bide au point d'en faire jaillir soit du sang soit de petits papillons. Il n'arrivait jamais vraiment à faire la différence...
"A ce soir, lui sourit le brun.
-A ce soir, murmura-t-il."
Cette fois, il tourna les talons avant Potter et s'enfuit dans sa maison. La porte fermée, il déposa- pour ne pas dire balança- rapidement ses sacs sur le comptoir de la cuisine et courut s'installer devant son ordinateur.
Vendredi 30 :
***
L'écriture de Draco fonctionnait toujours de cette manière. C'était une extériorisation de ses émotions dans le sens le plus brut et le plus sec du terme. Ce n'était jamais beau au premier jet, il fallait sans cesse qu'il repasse derrière pour gommer les excès et les rendre plus lisibles. C'est ça qui était le plus dur. Non pas relire pour corriger fautes d'orthographe et autres, mais relire ses sentiments à vifs, ses pensées les plus crues, son cœur en lambeaux, son cerveau déchiré le soir à minuit sous le coup de l'alcool et la fatigue. C'était toxique, c'était malsain, mais ça le faisait vivre d'une façon qu'il n'aurait jamais imaginé. L'après-guerre s'était montrée pleine de couleurs qu'il ne pensait plus jamais voir un jour. Il sortait enfin du gris dépressif et monotone pour retrouver son noir abyssal, son rouge bordeaux presque aussi sombre, ses jaunes maladifs et ses verts vomitifs. Cela faisait longtemps qu'il ne voyait plus de bleu pâle ou d'orange solaire, mais tant que les couleurs étaient là, peu lui importait. Il s'était senti si bas mais si bien, vivant pour la première fois depuis tant d'années. Et s'il détestait de toute son âme ce que représentait Potter, il ne pouvait s'empêcher de le remercier à chaque battement de son cœur. Les derniers mois s'étaient passés dans un marron morne, mais voir Potter lui avait redonné un peu de vert forêt et de noir de jais, quelques belles couleurs qu'il voulait continuer à entretenir. Peut-être qu'il arriverait un jour à écrire un beau roman ?
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