7 - Un rendez-vous pris

     Ariane a un air tout tranquille en lâchant cette bombe, alors que je suis sûrement toute pâle.

     — Quel ami ?

     — Il n'a pas donné son nom. Il est aussi beau que mystérieux ! Mais je pense que tu sauras qui c'est si je te dis qu'il a les plus beaux yeux verts que j'ai vus de ma vie.

     Je fronce les sourcils. Verts ? Je n'en suis pas sûre.

     — Il a juste dit qu'il était un ami à toi et que tu saurais. Que tu l'avais vu aujourd'hui et hier encore.

     Je ferme les yeux sous l'afflux de la peur. C'est bien lui. C'est bien ce que je craignais. Je tape du poing sur le canapé.

     — Ariane, Dieu du ciel ! Tu sais qu'il ne faut pas monter dans la voiture d'un inconnu !

     Ariane ouvre des yeux ronds.

     — Je n'ai plus dix ans, et en plus on était deux...

     — Tu n'as plus dix ans, donc c'est pire. Et être deux filles face à un homme, ce n'est pas suffisant ! Tu te rappelles les frères Jourdain ? À eux deux, ils ont tué quatre filles !

     Ariane me regarde avec consternation.

     — Tu devrais arrêter de regarder « Au bout de l'enquête », c'est trop anxiogène.

     — Ariane !

     — Je suis sérieuse !

     — Moi aussi ! Comment as-tu pu croire que je serai contente ?

     Ariane soupire et sort de sa poche une enveloppe.

     — Moi je pense qu'il te connaît vraiment. Il m'a parlé de maman, et il m'a donné ça pour toi.

     Je regarde l'enveloppe comme si elle était piégée, mais je la prends entre mes doigts. L'inconnu a parlé de notre mère. À quel point s'est-il renseigné sur moi ? Sur ma famille ?

     Ariane me regarde avec un air concentré :

     — Je t'assure, il faut que tu sois plus ouverte sur le monde. Arrête de paniquer pour tout et le reste. Il n'y a pas que des tueurs et des mafiosi dehors. Tu ne risques plus rien.

     — « La foudre ne tombe pas deux fois au même endroit », je cite avec agacement.

     — Tout à fait !

     Ariane exécute une pirouette et disparaît dans sa chambre. Je suis sûre qu'elle trouve tout ça follement romantique.

     Je regarde longuement l'enveloppe, ce qui est ridicule, car il n'y a absolument rien dessus, et que le papier ne va pas me blesser. Je finis par l'ouvrir et je découvre une feuille pliée en quatre. Je le déplie avec des doigts qui tremblent.

     « Salut Tess. Je veux qu'on se voie, demain matin au Petit Café place de la Corderie, à 10h. C'est en plein jour, pour que tu sois rassurée. Tu pourras me remercier pour hier, et pour aujourd'hui, mais surtout tu pourras écouter les informations que je détiens. Regarde l'article. »

     Dans l'enveloppe, il y a un article découpé depuis « La Provence ». « Le braquage du Crédit Agricole, quatre ans de mystère », et une photo d'époque en dessous.

     J'ai l'impression que tout mon être se fige : mon cœur, mon sang, mon esprit. Je revois la scène, quatre ans auparavant, la terreur que j'ai ressentie quand le tireur a dit « Dommage. » J'ai cru mourir de la main de ce monstre avec son tatouage sur l'épaule.

     Les battements de mon cœur finissent par se calmer.

     Je relis le message. L'inconnu en sait long sur moi. C'est terrifiant. Je n'ai vraiment pas besoin d'un type obsédé par mon histoire. Ma paranoïa, comme disait Ariane, est déjà bien assez forte comme ça, merci beaucoup.

     Ma première impulsion est de tout déchirer et de ne plus y penser. Évidemment, c'est impossible. « Les informations que je détiens », dit mon mystérieux inconnu. Peut-être est-ce vrai. Peut-être est-ce la piste que j'attends depuis quatre ans pour remonter jusqu'aux braqueurs.

     Je réfléchis et je débats avec moi-même toute la nuit. Je change d'avis toutes les minutes, j'irai au rendez-vous, non je n'irai pas, je dois prévenir l'inspecteur Mallard, non je ne le ferai pas. Je suis sûre que mon mystérieux inconnu disparaîtra à la vue d'un inspecteur. Même chose pour l'avocat Gilles Orsini.

     Je finis par sombrer dans un sommeil agité.

     Au matin, j'ouvre les yeux sur un souvenir. Mon mystérieux inconnu, je l'ai déjà croisé, en effet. C'était le jeune caissier de l'agence, qui avait quitté son poste juste avant l'arrivée des braqueurs. Celui que j'avais trouvé mignon au point de regretter brièvement de ne pas être servie par lui.

     Curieusement, cela me réconforte un peu. Cet « inconnu » ne sort pas tout à fait de nulle part et il a de bonnes raisons de s'intéresser au braquage, tout comme moi. C'est son histoire aussi puisqu'il était présent.

     Cela n'implique pas qu'il faut se jeter dans la gueule du loup. Je préviens donc Ariane.

     — J'ai un rendez-vous à 10 heures.

     Celle-ci hausse plusieurs fois les sourcils avec un sourire entendu. Ah, ma chère sœur...

     — Ce n'est pas du tout ce que tu crois. Je dois aller à un endroit appelé « le petit café ». Si je ne reviens pas, tu donneras la description du type qui t'a ramenée hier soir.

     Ariane me lance un regard bizarre.

     — Tu me dis ça comme si tu allais en expédition en Amazonie et que tu risquais de ne pas revenir. Bon, je lance les recherches au bout de combien de jours ?

     — Au bout de deux heures, ai-je répliqué sèchement. Épargne-moi tes réflexions, je te prie. Je suis sérieuse.

     Ariane change de visage.

     — C'est entendu. Tu peux compter sur moi.

     Je sais que je peux compter sur elle quand les circonstances l'exigent. Derrière son apparente insouciance, Ariane est profondément fiable et raisonnable. Comme pour moi, la vie lui a appris très tôt à être autonome. Elle n'avait que huit ans quand la mort de notre père l'a également privée d'une mère attentive. J'ai tenté de remplacer sa mère, mais je n'avais que douze ans alors. Ariane a appris à accomplir elle-même beaucoup d'actes de la vie quotidienne. Lorsqu'elle a eu quatorze ans, j'ai été grièvement blessée et j'ai frôlé la mort. Ariane m'a remplacée entièrement à la maison. Aujourd'hui, à dix-huit ans, enfin majeure, c'est une jeune fille sûre d'elle, avec la tête bien sur les épaules. Si elle garde une part de joie de vivre juvénile, elle est aussi parfaitement adulte dans beaucoup de domaines.

     Les sœurs Andreadis sont davantage des femmes que des jeunes filles, et elles en sont fières !

     — Quoi que tu fasses, fais attention à toi, dit finalement Ariane.

     Je hoche la tête. Je ne l'abandonnerai pas deux fois.

     À dix heures, je pousse la porte de l'endroit appelé « Le petit café ». Je connais déjà. Mon inconnu a bon goût, c'est un chouette endroit.

     Dès mon entrée, je le localise, comme si mon radar interne fonctionnait à plein régime. L'ancien caissier est assis près de la fenêtre. Je peux faire quelques pas vers lui avant qu'il ne me remarque.

     C'est bien lui. Ses cheveux sont moins ébouriffés qu'il y a quatre ans. C'est lui également qui m'a ramené mon sac avant-hier et qui m'a empêchée de me faire renverser hier par le fuyard.

     Il lève les yeux à mon approche et se lève.

     — Tess. Je suis ravi.

Il est bien habillé, comme les jours précédents, avec une veste, une chemise et un pantalon qui n'est pas un jean. Il ressemble à un avocat, ou à un commercial dont l'entreprise serait stricte sur le dress code.

     Ariane a raison : il possède de magnifiques yeux verts. Mais son regard est singulièrement dominateur, froid, énigmatique. Quel âge peut-il avoir ? Il a un air grave qui ne lui donne pas un aspect très jeune, mais il n'a certainement pas trente ans.

    Il ne sourit pas, mais me regarde avec un visible intérêt. Il me détaille tranquillement, de la tête aux pieds, et cela m'arrache un frisson. C'est fou, la puissance de son regard. Il s'avance pour écarter la chaise de la table et m'engage à m'asseoir. J'obéis sans un mot. Je n'ai pas encore retrouvé ma langue, à défaut de ma mémoire.

     — Je m'appelle Max, dit le jeune homme en retournant s'asseoir face à moi. Tu te souviens de moi ?

     J'acquiesce :

     — Vous étiez caissier dans l'agence, il y a quatre ans.

     Il sourit, mais son sourire est dépourvu de chaleur, sans une once de bienveillance.

     — Je n'étais pas que caissier. J'ai renseigné les braqueurs.



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