45 - Epilogue

  J'ai finalement choisi. Je serai avocate.

    Le premier décembre suivant, j'ai envoyé mon inscription au concours de l'année suivante. C'était le dernier jour pour le faire. J'ai bouclé mon master en juin et j'ai passé les écrits de l'école, puis les oraux. Je compte bien être reçue. Si c'est le cas, au bout se dessine l'autre concours, celui du barreau. Mais je ne veux pas voir trop loin. Une étape à la fois.

    La fréquentation de maître Orsini, grand avocat, et de l'inspecteur Mallard, grand policier, ou tout du moins je le croyais, a effectivement été décisive. En revanche, ce n'est pas dans le sens que j'aurais prévu auparavant.

    C'est le jour des résultats du concours, le premier décembre. Cela fait un an tout juste que j'ai pris ma résolution, quelques jours après la fin de Serrone. Déjà un an...

    Comme je suis très angoissée, Jeanne m'a proposé un après-midi entre filles pour me permettre de penser à autre chose. Je m'apprête à la rejoindre sur le Vieux-Port. Jeanne est toujours organisée et pile à l'heure. 

    Quant à Max, il a complètement disparu depuis un an. J'espère qu'il va bien. Jeanne ne parle jamais de lui. Elle m'a promis de m'avertir quand elle aurait des nouvelles, donc j'en conclus qu'elle n'en a pas. C'est dur.

    Je jette un coup d'œil à mon miroir. Je suis prête. Je prends mon téléphone et je le serre dans ma main. À chaque mail, il vibre et je verrai tout de suite mon résultat. Je préfère regarder pour rien plutôt qu'attendre le soir. Je n'ai pas cette patience.

    Je vais embrasser Mélina avant de sortir. Ma mère est fidèle à elle-même, sur son fauteuil. Elle me sourit avec amour. Elle n'a conservé aucun souvenir de son séjour chez Christos. Elle reste persuadée de ne jamais avoir quitté l'appartement depuis longtemps. Son état ne s'est pas dégradé, mais ne s'est pas amélioré non plus. Je ne crois plus au miracle. Rien ne changera.

    Il fait très beau sur le Vieux-Port. Le soleil se reflète sur l'eau, cela en devient aveuglant. Il fait plus chaud qu'il ne devrait en décembre. Réchauffement, réchauffement.

    J'hésite un instant face au port, puis je marche jusqu'au lieu du braquage, cinq ans et quelques mois plus tôt. Je m'oblige à regarder la façade de la banque. Je ne veux plus l'éviter, la contourner comme je l'ai fait jusqu'à présent.

    À ma grande surprise, je ne ressens plus rien. Aucune des émotions négatives auxquelles je m'attendais.

    L'arrestation de Berettini et son placement en détention provisoire y sont sans doute pour beaucoup ! Ses proches l'ont rejoint, sauf Flavia qui s'est éloignée juste à temps, tant mieux pour elle. Le gang est décimé. Et je sais que Berettini ne dirigera rien ni personne depuis sa cellule : il a été poignardé par un autre prisonnier cinq mois auparavant et il est décédé de ses blessures. Une altercation hasardeuse ? Peut-être...

    Mallard est en prison aussi. Ses supérieurs ont adoré mon petit enregistrement de sa conversation avec Berettini. Il a eu le culot de demander à Maître Orsini de le défendre, mais celui-ci a refusé. : il est mon avocat et celui d'Ariane, car nous serons partie civile au procès des hommes survivants de Serrone.

    Je n'ai plus en moi ce sentiment d'inachevé, ni de vivre une existence en suspens. Le procès des seconds couteaux ne sera pas pour tout de suite, ce qui ne m'étonne pas, car je connais bien les lenteurs de l'instruction. Je me présenterai à la barre, confiante et la tête haute.

    Je ne suis pas naïve au point de croire tous les mafieux du coin sous les verrous. Quand une tête tombe, une autre repousse, avec les acolytes rescapés. Mais je refuse de céder à la paranoïa. Plus maintenant. Ce n'est pas l'unique évolution : j'ai pu stopper la consommation d'anxiolytiques, et je suis capable de sortir le soir, à condition de ne pas être seule. Je n'ai plus peur de mon ombre. Je n'ai plus de crises d'angoisse.

    Ma psy n'en revient pas : plus aucun symptôme de stress post-traumatique. Je garde mon secret. Rencontrer Max et faire tomber tout un clan, m'a guéri.

    Alors que je marche, plongée dans mes pensées, je stoppe juste à temps pour ne pas percuter une Jeanne enthousiaste qui court vers moi.

    – Coucou, Tess !

    Toujours exubérante, elle me serre dans ses bras. Je lui rends son étreinte.

    Jeanne prend de mes nouvelles, puis des nouvelles d'Ariane. Ma sœur s'est bien remise de son kidnapping sur le chemin de la fac. Serrone l'a bien traitée. Je lui ai quand même donné le nom de ma psy, au cas où. 

    – En pleine forme, répondis-je. Elle est en deuxième année.

    – Elle n'a pas encore de copain ?

    – À dix-neuf ans, elle a le temps !

    – Tess, la maman poule ! se moque Jeanne.

    Je lui tire la langue. Heureusement, Jeanne ne m'interroge pas sur ma propre vie sentimentale. Elle ne le fait jamais, elle doit bien sentir que le sujet est miné.

    Nous faisons quelques pas sur les quais tout en bavardant. C'est tellement agréable d'être ici, de vivre et de respirer !

    Le téléphone vibre dans ma main. Mon sourire se crispe. Jeanne me considère en silence, changée en statue, et me lance :

    – Vas-y, regarde.

     Si je veux profiter de mon après-midi, je ferais mieux d'oublier ce téléphone. Il va vibrer pour tous les mails, de toute façon, y compris la newsletter de La Provence. Mais je ne peux résister longtemps. Je le déverrouille avec mon empreinte.

    Mail du CRFPA, alias l'École d'Avocats.

    « Nous vous informons.... »

    – Je suis reçue !

    Jeanne pousse un cri et me saute un cou. Je la serre contre moi, heureuse pour moi-même, heureuse de pouvoir partager ce moment avec quelqu'un que j'apprécie. J'ai réussi le concours, je vais commencer ma formation d'avocate !

    J'appellerai maître Orsini dès que je serai rentrée. Et Ariane. Et ma mère.

    Cela me fait penser à Lucile. Je suis restée en contact avec elle, mais je la vois rarement. Je ne veux pas lui causer des ennuis ni attirer sur elle l'attention de qui que ce soit. Dans mes dépositions, jamais je n'ai mentionné la famille de Max.

    – Viens, on va prendre un verre pour fêter ça ! s'écrie Jeanne.

    Elle m'entraîne dans une petite rue à quelques centaines de mètres, pendant que je tente de reprendre contact avec la réalité. La nouvelle de mon admission me laisse étourdie. La formation commence en janvier. Une nouvelle étape !

    Je lève les yeux sur mon environnement quand Jeanne pousse la porte de l'établissement « Le petit café ».

    Me voilà subitement projetée en arrière, lors de ma rencontre avec Max. Ou du moins mon premier vrai dialogue avec Max.

    Lors de la toute première rencontre, il m'avait dit « Tu as du cran, dommage », mais ça ne compte pas. Ça ne comptera plus jamais.

    – Tu es déjà venue ? demande Jeanne en s'installant.

    – Pas depuis longtemps.

    Jeanne comprend que je n'entrerai pas dans les détails et enchaîne :

    – Je vais avoir une copine avocate, c'est la classe !

    – Ne t'emballe pas, il y a un concours de fin d'études avant.

    Jeanne balaie l'argument de la main.

    – Tu es douée. Tu le réussiras aussi.

    Jeanne appelle Thibaut, commande deux cafés après que j'ai refusé de prendre de l'alcool. Après avoir bu une gorgée, elle plante ses yeux dans les miens.

    – Maintenant, dis-moi, chuchote-t-elle. Tu as des nouvelles de Max ?

    Je me raidis, mal à l'aise. Jusqu'à présent, Jeanne avait eu la sagesse de ne pas aborder le sujet.

    – Aucune.

    – Depuis combien de temps tu ne l'as pas vu ?

    – Longtemps.

    Un an et quatre jours, et alors ?

    Jeanne doit lire quelque chose sur mon visage parce qu'elle a l'air compatissante.

    – Il te manque ?

    – Je suis sûrement folle... mais oui. Je voudrais surtout être sûre qu'il va bien. Qu'il n'a pas été laissé pour mort quelque part. Lui aussi, il fait exactement ce qu'il ne faut pas !

    Je lance un regard appuyé à Jeanne qui a l'audace de ricaner silencieusement. Elle saisit son téléphone et tape un texto.

    – Désolée, ce n'est pas poli, mais c'est une urgence.

    – Je préfère ne pas demander si c'est ton prochain rendez-vous professionnel...

    – Je dois te laisser, annonce-t-elle en se levant.

    – Pardon ? Tu as pris un client alors que tu devais rester avec moi ?

    Je suis ulcérée. Jeanne se penche et me plante un baiser sur la joue.

    – Tu me remercieras plus tard.

    Et elle virevolte jusqu'à la porte sous mes yeux incrédules. Je remue la cuillère dans ma tasse. Le moment entre filles a été considérablement écourté. J'aurais mieux fait de rester chez moi.

    La porte du café s'ouvre de nouveau. Je tourne le regard et j'assiste à l'entrée de Max.

    J'en suis tellement saisie que je manque de lâcher la tasse.

    Max vient se planter devant moi et m'adresse un grand sourire, ni narquois ni désinvolte pour une fois, mais purement joyeux. Je balbutie :

    – Tu es là. Mon Dieu, je pensais... j'avais peur...

    – Je vais bien, Tess. J'ai dû prendre le large un moment, tant qu'il restait des associés dans la nature...

    Max s'assoit à côté de moi sur la banquette. Je me tourne pour bien le regarder.

    Il a l'air en pleine forme. Ses cheveux ont un peu poussé, ils ondulent sur les côtés ; une mèche recouvre le haut de son front. Il a abandonné le costume de l'entrepreneur strict pour un blouson sur une chemise blanche. Il a l'air moins inapprochable, moins dangereux. Il a l'air plus heureux, surtout.

    Je sens que mes yeux brûlent. Je refoule mes larmes, ne désirant pas me donner en spectacle. Il semble toutefois me percer à jour. Il tend la main, attend que j'y place la mienne puis referme ses doigts.

    – Tu m'as manqué.

    – Toi aussi, avoué-je à voix basse.

    Les larmes humectent mes paupières malgré mes efforts. Il me regarde avec une telle intensité que j'ai l'impression qu'il peut voir jusqu'au fond de mon âme.

    Je me sens tiraillée entre mon cœur et ma raison. Je sais que mon cœur désire des choses déraisonnables, et je ne devrais pas l'écouter.

    Max prend mon visage entre ses mains, comme avant, et essuie mes larmes du bout des doigts. Il se penche tout contre moi.

    – Tess, je t'aime. Je suis désolé d'avoir dû disparaître. Je...

    Je l'empêche de continuer en l'embrassant avec fougue.

    J'ai fait mon choix, semble-t-il. J'ai envoyé la raison aux orties. Je l'aime.

    Nous nous séparons lentement, car nous n'en avons pas envie. Je rougis à l'idée que tout le monde nous a vus, mais personne n'a l'air de nous prêter attention.

    – Je sais que je ne suis pas assez bien pour toi, murmure Max. Mais je voudrais essayer.

    – Je t'aime comme tu es, avec ton passé.

    Il a les yeux qui brillent. Qu'il est beau ! Comme je l'aime !

    – Je te dois tellement, lui dis-je en serrant ses doigts entre les miens.

    – Je te dois encore plus !

    J'ai un regard d'incompréhension, et il poursuit :

    – Je n'étais vraiment qu'un pauvre type, sans but, ni morale, ni valeurs. Tu m'as appris à faire confiance, à penser à autrui avant moi-même. Tu m'as fait comprendre l'absurdité qu'était ma vie.

    – Ta phrase sur l'humanité méprisable...

    – J'étais tellement stupide de dire ça alors que tu étais juste à côté de moi ! Tu es ce qui m'est arrivé de mieux, mon amour ! J'aurais pu finir comme tous les autres, une rafale, et terminé. J'ai une occupation légale, maintenant, commercial pour une vraie entreprise. Je te promets que plus jamais...

    – Je ne veux pas avoir peur pour toi à chaque instant. Je t'aime. Je ne le supporterai pas.

    – Ça n'arrivera plus jamais !

    Le bonheur qui illumine Max transfigure son visage. Je ne l'ai jamais vu exprimer ses émotions autant qu'à cet instant.

   Cela balaie mes derniers doutes. Si c'est une folie, je suis prête à y sombrer avec lui. Pour lui.

    Nous saurons surmonter les obstacles ensemble. Nous en avons déjà vaincu de plus difficiles.

FIN

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Merci à tous et toutes d'avoir lu jusque là ! Si vous avez passé un bon moment de lecture, j'en suis ravie.

Merci pour votre soutien, vos votes, vos commentaires, vos encouragements. Cela a beaucoup compté pour moi. A bientôt !

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