40 - Au-devant du danger
- Je suis désolé, répéta Max. Je t'ai entraînée là-dedans.
Il ne m'a pas entraînée. J'y suis allée toute seule et avec joie. Mon obsession de vengeance m'a poussée à accepter le risque.
- Quand on a le choix entre faire ce qui est juste et ne rien faire du tout, on doit faire ce qui est juste. Je ne regrette pas, Max. Je redoute les conséquences, c'est tout.
Max me regarde, sans bouger un muscle, mais il semble un peu apaisé par mes paroles.
- Qu'est-ce qu'il veut ? murmuré-je.
- C'est moi qu'il veut. Si je me livre, il libérera ta sœur.
Au fond de moi, je sais qu'il se trompe. Serrone ne vise pas seulement Max, mais tous ceux qui se dressent devant lui, moi y compris.
- Je vais y aller, assène Max avec détermination. Ariane sera libre.
- Non ! Il te tuera, ensuite Ariane, et après ce sera très facile de m'atteindre.
Max me regarde d'un air grave.
- Si je me sacrifie, je suis sûr qu'il tiendra parole. Il ne voit pas ta soeur comme une menace, et toi non plus. Serrone a une forme d'honneur, il n'assassine pas pour le plaisir.
J'en doute fort, mais ce n'est pas le moment.
- Non, ton plan est trop risqué.
- Comment faire autrement ? Tu vas frapper à sa porte ?
- Exactement.
Max est stupéfait par ma réponse. Je me force à esquisser un sourire et je lui fais signe de démarrer.
Devant la maison de Serrone, je descends et je lisse ma veste, Je retrouve le grand portail à deux battants, hérissé de piques, J'appuie sur la sonnette. La caméra noire se tourne vers moi.
Une voix sort de l'interphone, me demandant de décliner mon identité.
- Tess Andreadis. Je viens voir monsieur Serrone.
Je redoute d'entendre un éclat de rire plein de dédain. Mais la barrière s'ouvre. Deux hommes avancent vers moi, deux inconnus. Les mêmes qui filtraient l'entrée de la garden party ? Je n'en ai aucune idée, je ne suis pas assez physionomiste. Et mon état de stress m'empêcherait de reconnaître le Président de la République, à mon avis.
Ils saisissent mon sac, vérifient le contenu, mais ne me le rendent pas. Puis l'un d'eux palpe rapidement mes poches et mes hanches, à la recherche d'une arme. Je ne bronche pas, je m'y attendais. Ensuite, s'ils ne m'empoignent pas, ils me poussent avec force vers le perron. Mon rythme cardiaque élevé me fait craindre un malaise, mais je me reprends. La vie d'Ariane est en jeu.
Je monte les marches. C'est vraiment une jolie maison, rien de tape à l'œil, seulement la marque d'une richesse bien établie dans un quartier recherché. Dans le couloir, les hommes m'ouvrent la porte qui donne dans un grand salon très lumineux avec sa baie vitrée.
Serrone est là. Il me regarde avancer vers lui avec un petit sourire.
Je ne me rappelle que trop bien notre première rencontre. Finalement, je me réjouis de lui avoir déjà parlé. Je suis moins impressionnée pour cette seconde confrontation. Aujourd'hui, il porte une veste de cuir noire sur une chemise blanche. Cela crée un curieux mélange, entre le gangster et le chef d'entreprise. C'est exactement ce qu'il est : un homme d'affaires avec un management violent, reposant sur la terreur.
Je me demande s'il se comportera en gangster ou en entrepreneur. Va-t-il me gifler ou m'offrir un café ?
Je me remémore l'exclamation de Max quand je lui ai expliqué mon idée : « Tu es complètement tarée ».
Il a sûrement raison. Il m'a longuement embrassée avant que je ne descende de voiture. J'espère avec ferveur que ce n'était pas un baiser d'adieu.
Serrone me toise.
- La petite chérie de Max. Vous savez que vous m'intriguez. J'ai toujours vu Max avec des filles très sexy, mais sans cervelle, et vous êtes tout le contraire.
C'est un compliment à double tranchant. Je me dis que je n'aurai pas de café.
- Je viens vous demander de me rendre ma sœur.
Serrone me regarde comme un animal étrange.
- Pourquoi ferai-je cela, hein ?
- Pourquoi l'avez-vous enlevée ? Elle ne vous est d'aucune utilité.
Serrone s'assoit sur le canapé. Il doit se dire que ça menace de durer avec cette bécasse et ses questions stupides. Je reste bien droite, le menton haut.
- Vous mettez les pieds dans un monde dangereux, piccola. Je voudrais vous convaincre de ne plus tourner autour de mes affaires. E une cosa tra me e Max.
- Si c'est entre vous et Max, laissez ma sœur en dehors de ça. Elle n'est au courant de rien.
- Pour se lancer dans une vendetta, il faut être sans attaches. Quand vous avez de la famille, vous la mettez en danger. Vous n'êtes pas trop naïve pour le comprendre, je suppose ?
Je soutiens son regard et me demande quelle est la nature profonde de cet homme. Je ne sais presque rien sur lui, je le réalise, car j'ai posé peu de questions à Max. Peut-il être raisonnable ? Ou n'est-il qu'un criminel avide de sang et de pouvoir ? Il me semble que non. Ses yeux sont intelligents. Menaçants, mais intelligents.
- Je viens échanger ma sœur.
- Uno scambio ? Vous voulez échanger votre soeur contre Max?
- Non. Contre Berettini.
Il paraît désarçonné. Je précise:
- J'ai la preuve que Berettini vous trahit.
Serrone lève un sourcil. Avec des gestes très lents, je sors mon téléphone. Pour éviter que ses vigiles me le confisquent, je l'avais glissé dans mon soutien-gorge, espérant qu'ils n'oseraient pas me palper à cet endroit. J'ai eu raison.
Je le déverrouille et j'ouvre l'enregistreur.
- Si j'appuie sur « play », vous entendrez la voix de l'inspecteur Mallard, de Marseille. Il était en conversation avec votre bras droit. Ce qu'il dit est éclairant.
Serrone reste impassible, mais je capte la lueur d'intérêt et d'inquiétude dans son regard. Enhardie, je m'assois sur le fauteuil en face de lui. Pour qu'il me prenne au sérieux, je dois quitter la position de quémandeuse.
- Donnez-moi ce téléphone.
- Je veux voir ma sœur d'abord.
- Je la renverrai chez vous en toute sécurité, si vous laissez tomber Max et vos recherches.
- Montrez-moi qu'elle est en bonne santé. Si vous lui avez fait du mal, je ne m'engage à rien.
Serrone se met à rire.
- D'accord, piccola.
Il se lève et va à la porte. Derrière se tenait sa garde rapprochée. Je suis sûre que Serrone n'est jamais seul nulle part. J'entends « ramenez-moi la gamine » et je soupire de soulagement. Ariane est dans cette maison et capable de marcher. Max m'a assuré que Serrone ne lui ferait pas de mal, parce que les otages n'ont de valeur qu'en bonne santé, mais j'avais conservé des doutes.
Je patiente en me forçant à une complète immobilité. Ma nervosité doit rester indiscernable. J'ai l'impression de disputer la partie d'échecs de ma vie.
Serrone revient s'asseoir en face de moi et étend un bras sur le dossier du canapé. L'image même de la tranquillité d'esprit. Je me dis qu'il bluffe un peu, lui aussi. Berettini, son premier associé, le trahit : il a des soucis à se faire.
Serrone est un être vulnérable, comme les autres.
J'entends des pas et je me retourne. Ariane entre, poussée par un homme. Je me lève d'un bond et je marche jusqu'à elle. Tant pis pour la façade d'impassibilité.
- Ariane, tu vas bien ?
Ma sœur s'est illuminée en m'apercevant.
- Tess !
Je la prends dans mes bras. Ariane n'est pas entravée, ni ligotée, elle ne paraît pas meurtrie. Mais je sais que certaines blessures ne se voient pas de prime abord. Je me recule pour la scruter.
- Ils t'ont fait du mal ?
Ariane relève un visage fier.
- Non. Ils n'auraient pas osé !
Ma sœur ne semble pas particulièrement marquée par son kidnapping. Ses yeux flamboient de colère, mais elle sourit, toute à la joie de me retrouver. Pour l'instant, cela suffit à m'apaiser.
- J'attends votre preuve, intervient Serrone.
Je chuchote à Ariane : « je vais te sortir de là. » Je tends mon téléphone à Serrone. Pendant qu'il lance l'enregistrement, je prends Ariane par la main et je l'emmène s'asseoir à côté de moi sur le canapé.
Les sœurs Andreadis contre la mafia.
« Vous me garantissez que les lieutenants de Serrone y seront ? Alors je les ferai arrêter, et vous aurez le champ libre. C'est bien ce que vous voulez ? Serrone sans protection rapprochée, vous n'aurez plus qu'à finir le job.... »
La voix de l'inspecteur Mallard sort du haut-parleur. Serrone écoute attentivement jusqu'à la dernière phrase. « C'est bon, Berettini. Vous savez que vous pouvez compter sur moi. » Mallard avait raccroché ensuite. Serrone appuie sur stop et me rend le téléphone.
- Dites à Berettini de venir. Immédiatement.
Serrone se renfonce dans le canapé. Je serre très fort la main d'Ariane dans la mienne.
- Vous voulez un café, mesdemoiselles ?
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