37 - La pire trahison

  Je me fige sous la stupéfaction. Mue par un réflexe, je m'accroupis derrière le muret sur lequel s'appuie l'inspecteur.

    – Oui, c'est Mallard... Vous avez du nouveau de votre côté ?

    Je suis tout oreille, essayant de me convaincre qu'il s'agit d'un malentendu risible. C'est forcément un autre Berettini. Les noms d'origine corse ou italienne sont légion à Marseille après tout.

    Mallard écoute un instant. J'espère qu'il va parler davantage. Une pensée me traverse et j'appuie sur l'icône « enregistreur » du téléphone. Je veux absolument comprendre quel est le sujet de conversation de Mallard, déduire avec qui il parle. J'ai besoin d'être rassurée, quitte à jouer les espionnes. Si je me trompe lourdement, eh bien ce ne sera pas la première fois.

    Il exauce mon souhait.

    – Vous savez que je n'ai rien à voir avec la mort de vos deux associés, proteste-t-il soudain. C'est certainement ce type, ce Max Galardi dont je vous ai donné le nom.

    Et tous mes espoirs s'effondrent avec fracas. Croire que mon Max et Max Galardi sont deux personnes différentes relève du déni de réalité.

    – Non ! s'exclame Mallard. Aucune idée. Je n'ai aucune nouvelle de la gamine. Si je savais où elle était, je vous le dirais.

    Je ferme les yeux en me retenant au mur pour ne pas tomber. C'est le coup de grâce. La trahison de Mallard me laisse atterrée et furieuse en même temps. Mais je ne lâche pas mon téléphone. Je pense déjà à la police des polices. L'IGPN fait son miel des policiers ripoux !

    L'inspecteur écoute encore quelques instants puis reprend :

    – Bien sûr, je ferai cette descente mardi soir. Vous me garantissez que les lieutenants de Serrone y seront ? Alors je les ferai arrêter, et vous aurez le champ libre. C'est bien ce que vous voulez ? Serrone sans protection rapprochée, vous n'aurez plus qu'à finir le job....

    Il fait un bruit de gorge, une approbation semble-t-il, et il met fin à la communication. Il se retourne tout en rangeant son téléphone, mais il ne me voit pas car je suis complètement dissimulée par le muret. Il traverse la cour et repart par où il est venu.

    Je reste recroquevillée derrière mon muret. J'ai besoin de me remettre du choc. Jeanne me surveille quelques instants puis me rejoint.

    – Eh bien, que se passe-t-il ? Tu ne veux plus lui parler, à ton flic ?

    Je secoue la tête. Il vaut mieux que je ne lui parle pas. Je n'ai plus envie de lui parler, plus jamais.

    Je me relève, je secoue mes jambes engourdies. Mais mon cerveau me semble plus engourdi encore. Je n'arrive pas à y croire.

    Mallard travaille pour Berettini.

    Je sais bien que ça arrive. Des policiers corrompus, il y en a eu dans le passé, et certainement encore. Les membres des mafias achètent leur complicité.

    Mais Mallard ! J'ai tellement apprécié mon stage auprès de lui ! Il était tellement gentil, humain, et bon professeur ! Comment est-ce possible ?

    Encore sous le choc, je suis Jeanne vers la sortie.

    – Il faut qu'on ressorte sans se faire voir, dis-je. C'est très important.

    – Pas de souci.

    Jeanne m'entraîne dans un labyrinthe de coursives, où je me serais perdue sans elle, et nous débouchons derrière l'Évêché. Pas d'alarme, pas de questions. Comment la police peut-elle nous protéger si elle ne se protège pas elle-même?

    – Tu n'as pas l'air bien, remarque Jeanne. Tu veux aller prendre un remontant au café d'en face ?

    – Non. Ramène-moi, s'il te plaît !

    Jeanne ne pose plus de questions. Quand nous démarrons, je constate que mon ahurissement s'estompe.

    – Excuse-moi, Jeanne. Je promets que je ne te prends pas pour mon taxi. Je viens d'apprendre que l'inspecteur travaille pour un gang !

    Jeanne émet un rire goguenard.

    – Ouais, ça arrive assez souvent. C'est Marseille, bébé ! Quelle tristesse... Eh bien, garde tes distances, à présent. S'il apprend que tu es au courant, ce flic te fera disparaître !

    Je frissonne. Jeanne a encore moins d'illusions que moi.

    Il me faut encore un moment pour réaliser que j'ai également obtenu deux informations importantes : que le nom de Max est Galardi, à moins que ce ne soit le faux nom donné à Serrone. Et que Berettini s'apprête à trahir Serrone.

    Le code d'honneur des voyous est clairement un mythe cinématographique.

    Je demande à ma conductrice :

    – Tu t'appelles Jeanne Galardi ?

    Elle acquiesce. Cela signifie donc que le faux nom que Max a donné à Serrone, quel qu'il soit, a volé en éclats.

    Je me sens fatiguée soudain de cette avalanche de mauvaises nouvelles. Mais je refuse de m'apitoyer sur mon sort. Je dois anticiper ce que je dois faire.

    Jeanne me dépose chez sa mère, mais ne veut pas entrer.

    – J'ai déjà eu ma dose de reproches sur ma moralité aujourd'hui.

    – Je suis désolée. Tu es une fille extraordinaire. Merci pour tout !

    – De rien. C'était fun. Tu devrais demander à Max de buter ton flic ripou, si je peux me permettre un conseil.

    Me voilà de nouveau sous le choc. Je la regarde, elle me rend mon regard. En fin de compte, elle sait très bien ce que son frère fait de sa vie. Et elle en parle le plus calmement du monde, comme d'une occupation normale. J'ai l'impression d'évoluer sur une autre planète, en compagnie de ces deux-là.

    – Je ne veux faire buter personne, répliqué-je.

    – Tu es trop gentille. C'est lui qui risque de t'avoir en premier. Dis à Max de veiller sur toi, sinon je lui botterais les fesses !

    Elle démarre et s'éloigne. Je secoue la tête. La famille Galardi vaut le détour.

    Max n'est pas rentré. L'après-midi s'achève, l'heure du dîner se précise, et il n'est toujours pas là.

    Lucile ne manifeste aucune inquiétude, mais je trouve cela étrange. Depuis que nous sommes là, il n'a jamais raté un repas avec sa mère. Nous dînons en tête-à-tête, partageant une humeur un peu morose.

    Après le dîner, j'essaie de contacter Ariane parce que c'est notre rendez-vous quotidien, mais ma sœur ne décroche pas. Le téléphone sonne dans le vide avant de basculer sur messagerie. Je raccroche sans dire un mot. J'essaierai plus tard.

    Et Mallard est un traître. Dire que j'ai soupçonné Maître Orsini. Complètement à côté de la plaque, une fois de plus !

    Après le dîner, Lucile se sert un verre de vin rouge, m'en propose un que je refuse. Lucile se met soudain à raconter l'enfance de Max, le petit garçon qu'il a été. Max était gentil, affectueux, toujours désireux d'aider ceux qu'il aime. J'écoute, fascinée. Il y a beaucoup d'amour entre Max et sa mère, comme entre moi et Mélina. Mais sur Max et Lucile a pesé la présence maltraitante du père de Max. Je baisse le nez. Je suis terrifiée à l'idée que Lucile puisse deviner la vérité sur mon visage : que Max a tué son propre père.

    Avec le récit de Lucile, j'ai l'impression que cet homme est encore là, comme un fantôme démoniaque prêt à frapper. J'ai un frisson.

    Que Max n'en soit pas sorti indemne est compréhensible. Je devine que cela a eu un impact sur Jeanne et ses choix de vie, également. Émue, je pense à Max avec compassion.

    Lorsque Lucile achève son récit, il fait complètement nuit. Elle soupire et se lève soudain.

    – En réalité, je radote. Ne m'écoute pas, ma petite Tess. Peut-être que ma mémoire me trahit.

    Elle quitte la pièce. J'en profite pour rappeler Ariane, mais je n'ai toujours aucune réponse.

    Cette fois, je suis au bord de la crise de nerfs. J'appelle Claire, la copine qui l'héberge.

    – Oh, Tess ! je suis contente que tu appelles ! Ariane n'est pas revenue de la fac.

    – Quoi ? Mais il fait nuit !

    – J'ai appelé les copines du TD, elles ne l'ont pas vue. Pire, elles m'ont toutes assurée qu'il n'y avait pas cours aujourd'hui. Je ne sais pas quoi faire !

    Non non non non.

    Ce TD déplacé était un piège ?

    Pas aujourd'hui. Pas Ariane. C'est trop en une fois.

    Si Max ne se montre pas rapidement, je vais devoir mendier un calmant auprès de Lucile.

    Max, enfin, revient. Il se gare et il n'a pas fait deux pas dans la maison que je viens à sa rencontre, de la panique dans la voix.

    – Je n'arrive pas à joindre Ariane !

    Je m'attends plus ou moins à ce que Max me dise « encore ! » et tourne en dérision mon inquiétude. Mais non.

    – Je crois que nous avons un problème, renchérit-il.

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