34 - Révélations brûlantes
Avertissement : mention de crime
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Max continue à raconter, et c'est sa vie qu'il me livre, et enfin je peux voir par ses yeux.
– Je t'ai dit la vérité, j'ai passé ces quatre dernières années à suivre ce que tu devenais. J'avais peur que Berettini ne vienne finir le travail. S'il voulait te voir morte, et que j'avais échoué, il aurait pu agir lui-même. Mais il avait renoncé. Tu avais dit qu'il y avait quatre braqueurs, c'était faux, et ça a rassuré Berettini.
Cette erreur idiote m'a donc sauvé la vie ? J'ai un frisson rétrospectif.
– Et puis, à veiller sur toi de loin, évidemment j'ai voulu te parler. J'avais enfin pris ma décision : j'allais détruire la mafia de Serrone, en entier, et pas seulement la fuir. Alors c'est vrai, j'ai voulu me servir de tes relations avec la police et avec la justice. J'ai voulu t'utiliser, Tess. Je me disais même que c'était seulement ce qui me poussait vers toi. J'ai failli t'avouer que j'étais le tireur. Mais tu gardais une telle haine contre cet inconnu que je n'ai pas pu. J'ai menti, j'ai dit qu'il était mort. Tu te souviens de ta réponse ?
Il lève des yeux égarés vers moi. Bien sûr que je m'en souviens.
– J'espère qu'il est mort dans d'atroces souffrances.
– Tu seras contente de savoir que cette phrase-là m'a fait beaucoup souffrir, alors.
Je mords ma lèvre inférieure, honteuse, mais je ne vais pas présenter d'excuses. Il n'en attend pas, il continue :
– Et je suis tombé amoureux de toi. Ou peut-être que je l'étais déjà, et que je ne voulais pas me l'avouer. Tu es exactement la perfection que je ne mérite pas : honnête, courageuse, sérieuse, intelligente. C'est devenu pire : je devais garder mon secret, sinon j'allais perdre la relation fragile que j'avais nouée avec toi. J'avais prévu de tout te dire après l'arrestation de Serrone. J'espérais qu'à ce moment-là, avec la victoire, tu me pardonnerais peut-être ...
– Tu as essayé de me séduire bien avant...
– Ce n'est pas facile de te voir tous les jours et de ne pas essayer de te séduire. J'ai voulu aussi m'incruster dans ta famille, je l'avoue. Je voulais connaître Ariane, et aussi ta mère, et aussi tes amis grecs. Ça m'a fait mal quand tu me fermais la porte, que tu me rembarrais à chaque fois. Je ferai tout ce que tu voudras, tu ne le sais pas ? Je dois faire mes preuves. Demande-moi ce que tu veux, demande-moi de décrocher la lune, et je reviendrai avec elle.
Max se tait, et baisse à nouveau la tête. J'ai eu le temps de voir son visage désespéré.
Mes barrières s'abaissent doucement, l'une après l'autre...
Je lui tends la main pour le relever. Face à face, nous gardons le silence un moment, parce que nous ne sommes pas capables de parler, ni l'un ni l'autre. Quel drôle de duo nous formons... Mais c'est un moment confortable. Je réalise que je lui ai pardonné : à la fois d'avoir tiré, et de m'avoir menti.
– Tu es pardonné.
Son visage se relâche sous un intense soulagement.
Ne vient-il pas de dire qu'il ne me cacherait plus rien ?
– Qu'est-il arrivé à ton père ?
Je sais, j'ai tort d'en profiter pour lui extorquer ses secrets, mais...
– Il a été retrouvé brûlé vif dans sa voiture.
Je pousse une exclamation horrifiée.
Je sais que, dans le Milieu, on appelle ça un barbecue marseillais. Je crois que j'ai la réponse à une question que je me posais secrètement : le père de Max aussi fréquentait la pègre. Il avait dû se fâcher avec son propre patron ou être éliminé par un clan adverse.
– Il faisait partie de quel clan ?
– D'aucun clan, répond Max d'une voix brève. Il ne se mêlait pas de tout ça.
– Pourtant sa mort ressemble à une exécution.
– Tu as parfaitement raison, c'est une exécution. C'est moi qui l'ai exécuté.
Je fronce les sourcils.
– Ne plaisante pas avec ça.
– Je suis très sérieux.
Max, les mâchoires contractées, regarde loin devant lui.
– Tu n'imagines pas ce qu'il faisait vivre à ma mère, à Jeanne, à moi. Il ne savait pas parler, il hurlait. Il punissait. Il cognait. C'était l'horreur, de vivre avec lui. Il fallait que ça s'arrête. Surtout pour Jeanne, il fallait que ça s'arrête.
Je le regarde d'un air interrogateur.
– Elle a dû avorter deux fois.
Oh quelle horreur. Je sens monter une vague de haine pour cet homme que je n'ai jamais connu, et qui était coupable de tant d'abominations. Jeanne, si belle et si gentille.
Je regarde Max et je vois sa souffrance. Il ne fait pas semblant. Je ressens alors une profonde compassion pour lui, une affection ardente qui m'envahit et que je ne repousse pas.
– Lucile le sait ?
– Non. Jeanne et moi, nous l'avons toujours protégée du pire. Jeanne a sacrifié son corps pour détourner la violence de notre père.
J'ai envie de pleurer. Je me retiens, parce que Max voudrait me consoler, et ce soir ce doit être dans l'autre sens...
– C'est toi qui as allumé le feu ? murmuré-je.
– J'ai mis du Xanax dans sa bouteille. Et puis je l'ai installé au volant et j'ai arrosé d'essence. J'avais son briquet.
Comme il n'ajoute rien, je demande :
– Quel âge avais-tu ?
– Quinze ans.
Je me rapproche de lui et je l'entoure de mon bras, comme il a fait pour moi. Je veux lui montrer que je comprends, que je souffre avec lui. Nous restons longtemps immobiles.
– Tu ne fuis pas en courant ? demande Max d'une voix rauque, sans me regarder. Tu n'es pas dégoûtée par le psychopathe que je suis ?
– Tu n'es pas un psychopathe. Tu es un homme qui souffre.
Il passe une main désorientée dans ses cheveux, qui se dressent dans toutes les directions. Il a l'air perdu et très jeune, très loin de sa façade arrogante et nonchalante. Car ce n'est bien qu'une façade. J'en ai la preuve sous les yeux. Je peux deviner à cet instant le petit garçon qui était terrifié par son père, jusqu'à le haïr, jusqu'à le tuer.
– Pourquoi sers-tu Serrone ? demandé-je doucement.
Cette question, je lui ai posée, plusieurs fois. Il m'a toujours envoyé bouler. Mais c'est différent, ce soir.
– J'étais un gamin perdu et immature, dit-il avec une voix sévère. C'était le chaos dans ma tête. Je m'étais éloigné de ma mère et de ma sœur parce que je n'arrivais plus à les regarder dans les yeux après ce que j'avais fait.
Il s'essuie les yeux, qui ont laissé échapper quelques larmes. Il reprend, avec un ton très peu assuré :
– J'ai rencontré des types qui travaillaient pour Serrone. Ils m'ont amené vers lui. Il m'a accueilli les bras ouverts. Il m'a flatté. Il m'a dit qu'il me comprenait.
– Tu lui as dit, pour ton père ?
– Je lui ai dit quelle ordure il était, et qu'il était mort, c'est tout. Mais je crois bien qu'il a flairé le reste. Il a beaucoup d'intuition. Il m'a intégré à sa famiglia.
Encore ce mot. Et je devine que pour Max, l'essentiel se situe là. Un père de substitution, une nouvelle famille quand il fuyait la sienne... Entre son vrai père et son père de substitution, Max ne pouvait pas tomber plus mal. Quant à Serrone, il s'est dit qu'un type assassin de son père ne reculerait pas à tuer de parfaits inconnus. Selon ses critères, c'est un beau recrutement.
– Serrone t'a proposé une nouvelle famille, observé-je. Il t'a offert de l'acceptation, de la compréhension. C'était ça dont tu avais besoin.
Max hoche la tête. Soudain, ses larmes débordent et roulent sur son visage. Il se cache derrière ses deux mains.
– J'ai tellement honte de moi. Tellement honte de ce que j'ai fait. Il a fait de moi un assassin. Je suis pire que lui.
– Ne dis pas ça.
– C'est la vérité ! s'écrie-t-il avec désespoir. Je crois que lui n'a pas de sang sur les mains !
Il s'essuie de nouveau les yeux, mais je crois voir ses larmes se tarir, à présent. Je préfère cela.
Mais il n'est pas au bout de sa confession. Ce soir, il veut vider son cœur.
– Je déteste ce que j'ai dû faire. Je déteste avoir tué des gens. Je regrette tellement.
Je le fixe éperdument. J'ai besoin de savoir si c'est vrai.
– Tu as toujours dit le contraire. Je me souviens de tout ce que tu m'as dit.
– Je me souviens aussi. « Je n'ai aucun remords », ai-je dit. Je t'ai menti. Je suis rempli de remords. Je me déteste d'avoir agi comme ça. Ceux que j'ai tués ne le méritaient pas. Pas même cet imbécile de magistrat corrompu jusqu'à la moelle. Même mon père ne méritait pas d'être brûlé vif. Il méritait la prison, ça oui ! Mais pas cette mort atroce.
Il secoue la tête.
– Ni lui ni les autres...
Je le crois.
Je suis peut-être folle, mais je le crois. Je vois son visage bouleversé, je plonge dans ses yeux hagards, j'écoute attentivement les accents de sa voix. Il ne ment pas.
Et ça me fait énormément de bien d'entendre ses paroles. Je crois que cela lui fait du bien aussi de les prononcer.
Cette fois, il tourne la tête vers moi, et il me regarde comme s'il ne m'avait jamais vue. Ses yeux sont arrimés aux miens. Je ressens un peu de gêne et je resserre mon étreinte autour de lui. Il prend ma main dans la sienne et y dépose un baiser.
– Merci.
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