29 - Un pied dans l'enfance de Max
Nous roulons une partie de la nuit. Max a quitté les routes principales depuis longtemps, pour se replier sur des petites routes, mal éclairées. Bientôt je ne peux plus me repérer.
— Où sommes-nous ?
— Dans le massif de la Sainte-Baume.
Cela explique l'absence totale de lumière. Seigneur, j'ai horreur de rouler la nuit en zone rurale, ça me stresse. Évidemment, il y a beaucoup de choses qui me stressent... Je voudrais avoir mon téléphone et aller sur maps, mais Max m'a enjoint de laisser mon smartphone chez moi. Soudain je réalise pourquoi.
— Oh voyons, il n'y a que la police qui a le droit de tracer les gens par leur smartphone !
— À ce que j'en sais, Serrone n'a pas de contact dans la police, mais je ne sais pas tout depuis que j'ai été éjecté du premier cercle.
Je me tais. Je n'ai guère envie de parler à l'homme à côté de moi. La soirée a fait voler en éclats ce que je croyais savoir de lui et la confiance que je lui accordais. Il a failli me tuer et il m'a menti. Cela fait beaucoup à la fois.
Je me demande ce que je fais en compagnie d'un type pareil. Je suis censée finir mes études de droit, travailler dans un cabinet d'avocats, épouser un garçon diplômé de mon milieu, et vivre dans une jolie villa avec deux enfants, un chien et une pelouse à tondre le week-end. À quel moment est-ce que ça a mal tourné ?
Lors d'un braquage de banque quatre ans auparavant, voilà tout.
Je suis très tendue. Cependant, le contrecoup de l'adrénaline fait son effet : je finis par m'endormir.
Je rêve encore de ma mère, qui me dit que tout va bien. Cette fois, j'ai conscience que ce n'est pas réel, je lui rétorque : « Non, tout ne va pas bien ! ». Puis Max apparaît tout à coup, et ma mère ne semble pas étonnée de sa présence. Il me tend la main, mais je ne la prends pas. « Je t'ai sauvée », insiste Max. Je veux lui balancer ses quatre vérités, mais je ne sais plus lesquelles. Pourtant je suis sûre que j'ai quelque chose à lui reprocher, mais je ne sais plus quoi.
Je me réveille quand la voiture s'engage dans une allée de gravillons.
— Nous y sommes, dit Max.
— Où ça ?
— Dans le parc régional du Verdon. Autant dire, au milieu de nulle part.
Il arrête la voiture et descend. On n'y voit pas grand-chose. Il y a les contours sombres d'une maison basse devant moi. Max marche d'un pas décidé et frappe à la porte. Je reste en arrière, encore désorientée. Il s'écoule de longues minutes avant que quelqu'un ne se manifeste. Max lance alors :
— C'est moi, Maman.
La porte s'ouvre toute grande. Une femme sort et prend Max dans ses bras.
Cela me touche au cœur. Je vois un véritable amour s'exprimer devant moi. Max se recule, échappant à l'étreinte.
— Maman, est-ce que je peux rester quelques jours ? Je voudrais aussi que tu héberges ma copine, Tess.
Je retiens un cri de dénégation. J'aurais préféré la cousine, mais il est évident que c'est impossible. Résignée à jouer mon rôle, je m'avance.
— Bonsoir, madame, je suis très heureuse de vous connaître.
— Oh, qu'elle est mignonne ! Et si polie ! Je ne suis pas madame, je suis Lucile. Rentrez, rentrez.
Nous passons la porte et nous nous retrouvons dans un couloir étroit qui mène à la salle à manger. Une table pour quatre, deux fauteuils et une télévision sur un buffet constituent tout le mobilier.
— Maxime, tu me fais toujours des surprises. Tu aurais pu prévenir !
Je suis tellement déboussolée que je suis incapable de la décrire. C'est une femme, plus très jeune, serrée dans un peignoir. C'est tout ce que je suis capable d'enregistrer.
— Tu sais bien que je ne préviens jamais, Maman.
Je regarde autour de moi. Il n'y a pas de livres en vue, ni aucun tableau. Tout a l'air si utilitaire ici, tout le contraire de chez moi.
— Vous voulez manger quelque chose ?
— Tess, tu as faim ?
Je m'oblige à sortir de mon engourdissement.
— Non, merci, madame.
— Rien, merci, Maman. Je crois que Tess est épuisée. Est-ce que tu veux bien qu'on aille dormir ? Je te promets qu'on aura tout le temps de discuter demain.
— Bien sûr. Maxime, tu sais où est ta chambre. Et tu installes cette jeune fille dans la chambre d'amis. Je te rappelle que chez moi, seuls les couples mariés partagent une chambre !
— Oui, Maman, je sais bien. Suis-moi, Tess.
— Je vous souhaite une bonne nuit, madame.
— Elle est toute mimi ! Bonne nuit, ma petite, dormez bien !
Je suis Max, réalisant que je suis incapable d'une pensée cohérente. Ma somnolence dans la voiture me laisse encore dans le brouillard. Max reprend le couloir de l'entrée et pousse une porte sur sa gauche, qui donne sur une chambre, absolument minuscule.
— Désolé, c'est ça la chambre d'amis.
Il y a un lit à une place qui occupe à lui seul les trois quarts de l'espace. Les volets de la petite fenêtre sont déjà fermés.
— Ça me va très bien, dis-je en m'asseyant sur le couvre-lit en crochet.
Je suis dépourvue de toute énergie. Cette soirée a été épouvantable du début à la fin.
— Tant mieux, dit Max. Maintenant, je dois te préciser un détail : l'autre porte que tu vois là est celle de ma chambre. Les deux pièces sont en enfilade. C'est comme ça, même si ce n'est pas pratique.
— Tu veux dire que pour ressortir, tu dois traverser ma chambre ?
— C'est ça. Si tu préfères, tu prends mon lit et je garde la chambre d'amis. C'est toi qui traverseras ma chambre pour sortir...
Je lui lance un regard irrité.
— Garde ta chambre, ça ira comme ça.
— Parfait. Je te montre la salle de bains et je te laisse tranquille.
Nous reprenons le couloir et nous traversons la salle à manger. La porte de gauche mène à une salle de bains, qui est elle-même un couloir : un lavabo, une baignoire-sabot et une cuvette en enfilade. Je reste interloquée par la baignoire profonde mais courte : je n'en ai jamais vu.
— La maison est vieille, dit nonchalamment Max.
Il semble un peu mal à l'aise, cependant. Je déclare calmement :
— C'est très bien. Rien ne manque.
— Tu as des serviettes de toilette propres dans ce placard. Bonne nuit.
Max quitte la pièce. Quelques instants plus tard, je l'entends discuter avec sa mère de l'autre côté du mur.
Je fais une toilette rapide, je regrette de ne pas avoir de brosse à dents, avant de sourire. J'ai failli mourir et je m'inquiète d'une brosse à dents. Je regagne la chambre d'amis sans avoir croisé Max ni Lucile. Je les entends parler et je m'efforce de ne pas écouter. Pourtant, ma curiosité est très forte. Je m'interroge sur la présence de sa sœur, puisqu'il l'a mentionnée.
J'ôte mes vêtements, je garde mon slip et j'enfile un long t-shirt que j'ai roulé en boule dans mon cabas. Max m'a dit de me charger du moins de choses possibles. Il fallait partir vite. Pour le reste, je verrai demain. Tout peut attendre demain.
Je sombre dans le sommeil et je n'entends même pas Max revenir et traverser pour rejoindre sa chambre.
Le lendemain, au réveil, j'ai un instant de panique en ne reconnaissant pas les lieux. Puis je me souviens. Je suis chez la mère de Max, apparemment dans la maison de son enfance. Je renfile les vêtements de la veille avec un soupir ; chez moi, je me change tous les jours sans exception. Ariane me traite de Lady Macbeth de l'entretien.
Ariane. Pourvu qu'elle aille bien. Pourvu que Maman ne fasse pas de crises de panique chez Christos. Sans portable, je me sens coupée de tout.
J'ouvre la fenêtre et les volets de bois. Dehors, il y a un jardin avec une corde à linge, puis derrière le grillage, un champ... ou peut-être un pré ? La citadine que je suis ne peut pas se prononcer. Je fais mon lit avant de quitter la petite chambre.
Je me sens mal à l'aise en prenant le couloir vers le salon. Je vois, par la porte de droite ouverte, Lucile attablée devant un journal. Je m'avance et Lucile relève la tête pour me sourire.
— Bonjour, Tess. Tu veux déjeuner ?
— Je prendrais bien du thé, si vous avez ça.
— Du thé si « tu » as ça, corrige Lucile. Oui, j'ai ça, ma petite Tess trop polie. Assieds-toi.
Je me trouve dans une cuisine qui abrite une table et deux chaises, en plus d'une cuisinière, un frigo et un évier. Là encore, la pièce est petite ; trois personnes s'y tiendraient difficilement. Pendant que Lucile verse l'eau chaude, je demande des nouvelles de Max. Il dort encore, d'après sa mère. Je décide de savourer mon thé sans plus m'inquiéter de rien dans l'immédiat. Je vois ma propre curiosité reflétée dans les yeux de Lucile. Nous avons des choses à nous dire, toutes les deux.
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