28 - Repli stratégique
Ariane regarde une série, avachie sur le canapé. Il n'est pas encore vingt-deux heures, alors que j'ai l'impression d'avoir vieilli de plusieurs années pendant ce début de soirée.
— Ariane, il va falloir quitter l'appartement pour quelques jours.
Ariane se redresse comme un ressort. Elle dit simplement :
— Explique.
Alors je reprends tout depuis le début, mon rendez-vous avec Max, mes découvertes, mes rencontres, jusqu'aux événements de la nuit. Ariane ne m'interrompt pas une seule fois. À la fin, elle se contente d'un commentaire.
— Tu t'es lancée dans un truc qui te dépasse.
— Grande vérité.
Nous échangeons un regard. Ariane se redresse et prend les choses en main, comme elle sait le faire en période de crise.
— Moi je peux aller chez une copine. Claire sera d'accord. Le problème, c'est maman. Mais je suis persuadée que Christos nous aidera.
— Christos ?
— La solidarité de la communauté grecque. Je sais qu'on peut compter dessus. Mais toi, Tess, où vas-tu aller ?
— Très bonne question. Si seulement je le savais.
Ariane va téléphoner à Christos, pendant que je vais réveiller Mélina avec douceur. J'ai déjà le cœur serré. Mélina ne sort presque jamais. Comment vais-je lui dire ?
Elle ouvre les yeux, me reconnaît et me sourit. Elle est lucide, comme elle l'est la majorité du temps, et c'est déjà bien. Je ne veux pas lui mentir pour la convaincre de partir d'ici, mais je ne peux pas lui révéler la vérité non plus.
— Maman, nous avons un problème de fuite d'eau...
Je ne sais même pas pourquoi j'ai dit ça, c'est sorti spontanément. Je ne voulais pas mentir, c'est réussi. Enfin, je ne suis plus à une contradiction près. Mélina se lève et s'habille sans protester. Ariane surgit.
— C'est bon, Christos l'attend.
— Nous allons chez Christos ? s'étonne Mélina. Son appartement est bien petit pour nous toutes.
— Pas nous toutes, corrige Ariane. Toi seulement. Christos a promis de te chouchouter. Nous passerons te voir souvent, d'accord ? Tess et moi allons chez nos copines. Mais pour s'imposer comme ça, il faut nous séparer.
Bien joué, Ariane. Mélina trouve son raisonnement logique et ne proteste pas. Elle connaît Christos et sa femme, qui vivent juste au-dessus du restaurant dont nous sommes des habituées. Que la protection de l'Olympe soit sur eux !
Si Mélina remarque qu'il n'y a aucune inondation à l'horizon, elle n'en fait pas mention. Nous l'accompagnons chez Christos. Le restaurant est encore ouvert, il y a du monde, mais sa femme interrompt son travail pour emmener Mélina à l'étage. Je charge Ariane de remercier pendant une bonne heure, car il faut bien ça avec les Grecs, et je me sauve en courant. Ma soirée n'est pas finie.
* * * * *
— Mon Dieu, Tess, c'est encore pire que ce que j'imaginais...
Je baisse la tête devant le regard consterné de l'inspecteur Mallard. Je l'ai appelé et il m'a rejointe rapidement sur le cours Lieutaud, même s'il est vingt-trois heures. Comme je lui avais promis, je lui ai tout raconté à lui aussi, absolument tout depuis le début.
— Comment se nomme ton informateur ?
— Max.
— Ce n'est pas un nom.
— Je n'en ai pas d'autres.
— Je te dirais bien qu'il s'est fichu de toi, mais c'est bien pire. Il t'a réellement mise en danger.
Je me fais plus petite encore. Mallard est terriblement désapprobateur. Sa colère semble sur le point d'éclater.
— Tu aurais dû me dire tout ça depuis bien longtemps. Tu me déçois beaucoup, Tess. Si tu veux travailler pour la justice, tu ne peux pas te comporter comme ça, c'est irresponsable. Bon, où est ce Max maintenant ?
— Aucune idée.
— Tu as son numéro ?
— Non.
— Son adresse ?
— Non.
— Une adresse mail ?
— Non.
— Quand le revois-tu ?
— Aucune idée.
Mallard grommelle quelque chose d'indistinct.
— Je m'en charge à partir de maintenant. Tu rentres chez toi et tu ne bouges plus, c'est clair ? Je t'appellerai.
Je hoche la tête comme une petite fille. J'ai rendez-vous avec Max dans une heure avec mon sac pour quitter Marseille.
Je quitte Mallard avec soulagement. Je me demande pourquoi je lui ai menti sur ça, après avoir tout confessé. Peut-être pour le punir de m'avoir traitée de gamine irresponsable. Je deviens mesquine. Ou très vexée par son « Tu me déçois beaucoup ».
Au point de rendez-vous, j'ai un coup au cœur en voyant Flavia approcher en compagnie de Max. Depuis quand l'Italienne est-elle dans le coup ?
Cette soirée peut-elle être encore pire qu'elle ne l'est jusqu'alors ?
Flavia me considère avec le mélange habituel d'arrogance et de dédain. Je lui rends son regard.
— Flavia a de mauvaises nouvelles, dit Max de but en blanc.
Quelqu'un comme Flavia peut-il avoir de bonnes nouvelles ? Je retiens mes commentaires acerbes et je me concentre sur la suite.
— Je ne sais pas exactement ce que sait Paolo, déclare Flavia en secouant ses cheveux. Mais Berettini est sur vos traces. Il a compris ce que tu faisais, Max. Si tu le croises, il te descendra.
— Il peut toujours essayer, réplique Max de sa voix implacable.
— Je n'arrive pas à croire que tu sois assez stupide pour t'en prendre à Paolo et à sa clique, dit Flavia. C'est suicidaire !
— Tu sais très bien pourquoi.
— Si tu avais attendu un peu, Paolo t'aurait rendu ton poste !
Au moins, il est clair que Flavia est au courant de tout. « Un secret entre toi et moi », avait dit Max. Là aussi il s'est bien moqué de moi.
— En tout cas, tu dois partir te planquer, Max.
Max hoche la tête. Il me fait signe de le suivre. Flavia lui envoie un coup d'œil désespéré.
— Max, tu m'appelles ?
— Plus tard. Je compte sur ton silence.
— Bien sûr, dit Flavia, la voix enrouée.
Elle m'avait ignorée jusque là. Cette fois, elle me lance un regard de haine pure, comme si j'étais la responsable de ce désastre. Selon son point de vue, je le suis en effet. Si Max ne m'avait pas approchée, il ne serait pas en danger. J'ai une bouffée de culpabilité, mais je la repousse rapidement. Je me sens déjà assez coupable comme cela, je suis en train de gâcher la vie de ma mère, de ma sœur, de Max aussi. Cela fait beaucoup pour moi, surtout en une soirée.
Flavia reste immobile sur le boulevard alors que Max marche vers son véhicule. Il m'ouvre la portière. J'attaque sans monter:
— Pourquoi as-tu tout raconté à Flavia ?
— Parce que j'avais besoin qu'elle se renseigne sur ce qui se disait sur moi en haut lieu, si j'ose dire. Tu l'as entendue, Berettini a tout compris, ce qui veut dire qu'il va tout raconter à Serrone. Ariane est à l'abri ? Et ta mère ?
— Oui, les deux.
— Bien. Je t'emmène avec moi. Monte, s'il te plaît.
J'obéis, mais quand Max attache sa ceinture, je reviens à la charge :
— Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu fais confiance à Flavia, si proche de Serrone.
— Flavia est une gentille fille. Elle ne fera rien contre moi, ni contre toi.
Je lève les yeux au ciel.
— Tu ne sais pas de quoi est capable une fille par jalousie.
— Pas Flavia. Je suis un bon juge des caractères.
J'ai failli rétorquer « moi aussi », mais j'ai refermé ma bouche immédiatement. Je me suis trompée sur Max, et peut-être bien sur Maître Orsini, alors je ferais mieux de me taire.
— C'est la réalité, insiste Max. Il y a des filles gentilles qui sont des filles bien, comme toi. Et puis il y a des filles gentilles qui ont un côté garce, comme Flavia. Je sais que tu n'en as pas l'habitude. À propos de fille gentille qui a un côté garce, prépare-toi à rencontrer ma sœur.
Je le regarde avec des yeux ronds. Max démarre et prend la route de l'est vers le Var.
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