22 - Leçons de pouvoir

     Max et moi nous éloignons suffisamment de Serrone pour que Max puisse me tirer à l'abri des regards derrière un des plus hauts palmiers.

     — Bon sang, Tess, depuis quand parles-tu italien ?

     Il a l'air soucieux. Lui aussi doute visiblement de la pertinence de mon intervention linguistique.

     — C'était ma LV3 au lycée, bafouillé-je avec la voix rauque.

     — Ça aurait été mieux de faire semblant de ne pas comprendre !

     — Peut-être bien, dois-je reconnaître. Pourquoi m'as-tu baptisée Teresa, grands dieux ?

     — Inutile d'attirer son attention sur ton prénom. Il ne manquerait plus qu'il se rappelle du braquage du Crédit Agricole.

     J'inspire et j'expire lentement, à plusieurs reprises. Je retrouve des couleurs.

     — J'ai l'impression d'avoir parlé au diable.

     — Pas loin.

     Ses yeux verts me dévisagent.

     — Je n'aurais pas dû t'emmener avec moi, murmure-t-il. Serrone t'a parlé, et j'ai le sentiment que tu es en danger maintenant.

     — C'est moi qui ai insisté.

     — Je n'aurais pas dû. Je déteste l'idée que tu puisses être une cible quand je ne suis pas avec toi pour te protéger.

     Je peux voir son regard passer de mes yeux à ma bouche. Il approcha sa main de mon visage et repousse une mèche derrière mon oreille.

     — J'aurais dû réfléchir aux conséquences bien avant....

     Je fais un pas en arrière.

     — Est-ce que Serrone a une famille ?

     Son visage se contracte.

     — Toujours Serrone, gronde-t-il.

     Puis il a un sourire bref et me répond :

     — Non. Juste une famille éloignée.

     — Tu peux me montrer Berettini ?

     Il se récrie :

     — Il est absent. C'est pour ça que je t'ai emmenée aujourd'hui. Tu n'as pas envie que Berettini se souvienne de toi, je t'assure.

      Moi-même, je me souviens trop bien de sa voix. « Tue-la ». En effet, peut-être me reconnaîtrait-il, et je ne le souhaite pas !

     — Tu étais en train de m'expliquer que Serrone s'occupait du port de Marseille...

     — Je te raconterai une autre fois. On s'en va, à présent.

     — Et tu ne vas plus prétendre que Flavia n'était pas ta petite amie ?

     — Était, Tess. Était.

     Nous sortons de la propriété. Je jette un dernier regard à la maison, une oasis dans Marseille, un havre de paix. Pas pour longtemps, je m'en fais la promesse. L'argent que Serrone extorque va lui brûler entre les doigts. Sa belle maison va échoir à un autre propriétaire. Sa cohorte d'amis, dont certains étaient sur la liste qu'il a volée lors du braquage de la banque, vont l'abandonner.

     J'ai un frisson de dégoût en me remémorant son sourire hypocrite.

     Max se méprend.

     — Tu as froid ? Prends ma veste.

     Il retire sa veste, me la pose sur les épaules en plus de la mienne. Je m'installe à ses côtés dans la voiture. La senteur boisée de son parfum m'enveloppe comme une couverture réconfortante. Après le stress de ma confrontation avec Serrone, je relâche la tension et je ferme les yeux, blottie dans son vêtement et son odeur.

    * * * * *

     — Je veux une arme, dis-je de but en blanc à Max.

     Nous sommes dans un café, un autre, dans un quartier différent. J'ai compris que Max n'a pas d'habitudes, il se rend rarement deux fois au même endroit. C'est certainement une manœuvre de défense. Le mafieux Farid Berrahma a été tué dans un café, après tout. Max me regarde avec un mélange de surprise et d'amusement.

     — Tu as pris goût à tes cours de tir ?

     — Je crois que nous prenons de plus en plus de risques. J'ai fait un cauchemar après avoir rencontré Serrone.

     — Il produit cet effet à beaucoup de monde.

     — Et tu ne seras pas toujours là. Je veux pouvoir me défendre.

     Max me considère un moment, la tête un peu penchée, comme s'il réfléchissait.

     — C'est entendu.

     Il se lève et règle nos deux consommations, comme toujours.

     — Je t'emmène sur un stand de tir.

     — Légal ?

     — Pour commencer, oui. Inutile d'abattre un innocent promeneur...

     Il m'emmène dans le 12e arrondissement au nord-est du centre, dans une zone arborée et paisible, mais résidentielle. Me voilà très étonnée. Comment est-ce possible qu'il y ait un stand de tir aux Trois-Lucs ? C'est un hobby bruyant, que j'imagine davantage à l'écart de la ville, au milieu de la garrigue. Je pense aux riverains, dans leurs jolies maisons avec jardin, le rêve de beaucoup de monde. Ils doivent considérer le stand comme une aberration dans leur quartier calme et tranquille. Surtout si les mafieux de tout poil viennent s'entraîner ici.

     Nous dépassons deux stands de tirs avant que Max stoppe devant un troisième. Décidément, je vais de surprise en surprise. Ce n'est plus une zone résidentielle, c'est la salle de sport des mafias marseillaises.

     Max m'adresse un sourire en coin.

     — Si tu t'inquiètes pour les riverains, tu as raison. Ils font des pétitions.

     — Le bruit ?

     — Et aussi parce qu'ils trouvent des balles dans leurs jardins.

     — Comment est-ce possible ?

     — Je ne sais pas. Des débutants comme toi, peut-être ?

     Je pousse un cri indigné, ce qui le fait rire.

     Sur le parking, Max jette un coup d'œil autour de lui puis il ouvre son coffre et en retire un révolver. Je reste médusée.

     — Combien d'armes as-tu dans cette voiture ?

     — J'ai toujours des armes de secours, en cas de besoin.

     — La police adorerait ouvrir ton coffre !

     Max rit.

     — Sûrement. Mais j'ai une voiture discrète, je respecte le Code de la route, je présente bien. Aucune raison que je sois arrêté, contrairement à ces petits branleurs qui sillonnent le département.

     Il y a un vrai mépris dans sa voix. Je sais déjà qu'il se considère comme différent des amateurs que l'on recrute pour mille euros. Je me demande à quel point il a de l'ambition pour sa carrière si spéciale.

     À l'accueil, Max parle à l'employé, verse une somme d'argent et m'entraîne vers le stand. Curieux, n'ai-je pas besoin d'une licence ?

     — Le nom de Serrone fait des merveilles ici, explique Max. C'est pour ça qu'on est là.

     Il prend des casques antibruit sur son chemin. Il me place bien droite, bras tendus devant moi, la crosse appuyée contre ma paume. Je réalise que c'est un révolver, pas un pistolet. Le barillet me déstabilise un instant, puis je l'oublie.

     — Pour les gens qui n'ont pas l'habitude des armes, cela peut être perturbant d'en tenir une, dit tranquillement Max à mon oreille. Pour moi, une arme est un outil. Parfois, on a besoin de professionnels qualifiés pour faire un travail particulier, comme un plombier ou un couvreur. Ils viennent bien sûr avec leurs outils. Ils sont bons avec leurs outils. Si tu penses à une arme en ces termes-là, c'est plus facile de s'y habituer et d'être confortable avec ça.

     Je regarde par-dessus mon épaule. Max me juge de la tête aux pieds et me fait rectifier la position.

     — Plus tu t'habitues à porter et à manier une arme, plus tu seras à l'aise. Cela deviendra ta zone de confort.

     — Comme un policier ? dis-je en levant les sourcils.

     — J'ai rencontré des policiers qui tirent abominablement. Ils n'étaient pas du tout à l'aise avec une arme, ça crevait les yeux. Pourtant, le secret, c'est évidemment l'entraînement. Avec un entraînement régulier, on devient efficace et à l'aise. Par régulier, je veux dire deux ou trois fois par semaine. Avec une arme et de l'entraînement, tu seras efficace. Mais cela entraîne des responsabilités : celle de ne pas faire n'importe quoi avec ton outil. Ton outil est aussi un instrument de pouvoir.

     — Tu te considères comme un professionnel avec un outil ?

     — Absolument. Je suis un professionnel. Et je demande d'être respecté en tant que tel. Serrone n'avait aucun respect pour moi et pour mon travail.

     Sur une impulsion, je lui demande :

     — Est-ce que tu veux te débarrasser de lui pour prendre sa place, Max ?

     Il me regarde avec horreur.

     — Jamais de la vie ! Je ne veux pas être le chef du gang, je veux quitter le gang ! Ne me dis pas que tu as cru...

     Si, j'ai cru. Je mets le casque antibruit et je me concentre sur la cible pour ne pas croiser son regard blessé.

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