19 - Un vrai cauchemar
Avertissement: mention de crime, scène à la moralité douteuse.
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Je tiens l'arme de Max bien serrée dans ma main. Quelle curieuse sensation. Je déteste ça, et en même temps je me sens plus forte. C'est sans doute pour cela que tant de gens ne peuvent s'en séparer...
— C'est ça, approuve Max. Tu as la bonne posture. Tu veux tirer ?
— Tirer ? dis-je, effarouchée.
— Tu peux tirer sur lui. Tu ne lui feras plus rien.
Je regarde le cadavre de Santos à mes pieds, bouche bée devant la suggestion de Max.
— Il t'aurait descendue sans battre un cil, dit Max. C'était un vrai tueur. Vas-y, tire.
Je reste silencieuse et immobile. Je réalise avec étonnement que j'ai en effet envie de tirer. J'ai déjà été mise en joue. Et si j'étais celle qui presse la détente, cette fois ?
J'appuie sur la détente. Le bruit et le recul, me font sursauter. Mais le Glock reste bien niché dans ma main, et le cadavre tressaute sur le sol.
Max applaudit.
— Mon père a été abattu, dis-je soudain.
Max interrompt son geste, abasourdi.
— Il a été abattu par erreur dans la rue. Une victime collatérale, a dit la police. Comme moi, sauf que j'ai survécu, et pas mon père.
J'inspire profondément et, lentement, je baisse le bras qui tient encore le Glock. Je ne parle jamais de la manière dont Stefanos Andreadis est mort. Tout le monde croit confusément qu'il était malade, peut-être de chagrin que ses toiles ne se vendent pas. Mais la réalité est qu'il a connu une mort brutale et injuste, inattendue et cruelle. C'est cela qui a terrassé Mélina, comme un ricochet de cette violence. Elle ne s'est jamais remise d'avoir perdu son mari qui, dix minutes avant, lui disait « je reviens ».
— Je hais la violence, asséné-je. Mais si je dois l'utiliser, alors je le ferais.
Max me considère en silence. Je lui rends son arme, qu'il range soigneusement. Son Glock nous a sauvés la vie à tous les deux. Mais sans les armes, la mafia, le braquage, nous n'aurions pas été dans cet endroit à cet instant.
— Pourquoi tu fais ça ? demandé-je doucement.
Il a un geste d'impuissance.
— Je te raconterai une autre fois.
Une autre fois, plus tard, c'est tout ce qu'il sait dire.
— Comment se fait-il que tu travailles pour Serrone, insisté-je, alors que tu te méfies de lui depuis le départ ? Tu as gardé l'arme qui a tué le journaliste, tu as fait un double des clés de la cache d'armes. Pourquoi ?
Il hésite, il se passe une main dans les cheveux.
— Depuis le braquage, dit-il en me regardant, j'avoue que je me méfie. Jusque là, j'étais juste un gamin de vingt-quatre ans trop content de faire partie d'une famiglia, oui, même de ce genre-là. Et puis on m'a demandé de me faire engager dans cette banque jusqu'à l'attaque. Serrone et Berettini m'avaient juré qu'il n'y aurait pas de victime.
— Berettini a voulu me faire tuer.
— Cela m'a fait un choc. Depuis, je... je prends des précautions. Je me méfie de tout ce qu'on me dit.
— Celui qui a failli me tuer est mort, lui rappelé-je. C'est ce que tu m'as dit. Comment est-il mort ?
— C'est moi qui l'ai tué, me répond-il fermement.
— Tant mieux, dis-je d'une voix sourde.
Max a une crispation du visage. Il est sûrement en train de se dire qu'il a créé un monstre.
Alors que nous repartons, je lui demande :
— Que vas-tu faire du corps de Santos ?
Il hausse les épaules.
— T'inquiète, je gère.
J'imagine bien. Balancé dans la mer, ou dans les falaises au Cap Canaille, à l'est des calanques. C'est là que la mafia se débarrasse des corps. Curieusement, les sites touristiques n'en font pas mention...
* * * * *
Je me réveille en sursaut, le pyjama trempé et collant à ma peau. Cela m'arrive trop souvent pour que je m'en étonne. Il est rare que je connaisse des nuits sans rêves. Même les somnifères, même les anxiolytiques n'entravent pas la course éperdue de mon cerveau, que je voudrais pourtant mettre en pause. Mes rêves sont toujours étranges, au mieux, et souvent ils ne sont que des cauchemars purs et simples.
Je me lève et j'ôte mon pyjama. Passant la main sous ma poitrine, je m'aperçois que je n'ai pas de cicatrice. Où est-elle passée ? Elle n'a pas pu s'estomper en une nuit !
Puis je me souviens : j'ai rêvé que je recevais une balle de révolver, mais cela n'était pas arrivé. Ma peau est intacte. J'ai rêvé mon coma, mon réveil à l'hôpital. « Tant mieux » me dis-je avec soulagement en me rendant à la cuisine. J'ai besoin d'un thé brûlant pour me réconforter. Un grand mug de thé au citron m'apaise toujours.
Dans la cuisine, ma mère boit un café en tournant les pages du journal « La Provence », auquel nous sommes abonnées depuis toujours. Je m'immobilise sur le seuil de la cuisine.
— Maman ?
— Oui ma puce ?
— Mais qu'est-ce que tu fais là ?
— Où veux-tu que je sois ?
Ma mère me sourit, avec son air espiègle et familier. Je passe une main sur mon front, confuse.
— J'ai fait un cauchemar épouvantable, cette nuit. J'ai rêvé que tu étais malade. Que tu ne quittais presque pas ta chambre.
Ma mère se met à rire.
— Ma puce a trop d'imagination ! Tu vois, je suis là, et je vais bien !
Je ferme les yeux, envahie d'un intense soulagement. J'ai donc rêvé toutes ces circonstances épouvantables. La réalité est bien plus banale : je suis juste une étudiante ordinaire qui n'a pas failli mourir lors d'un braquage dans une agence bancaire ; ma mère est là, en pleine forme. Tout va bien. Quel bonheur, mon Dieu ! Ariane aussi va être contente. Elle a tellement pleuré quand Mélina a décliné après le meurtre de son mari. « Tess, nous sommes seules », avait-elle dit avec une angoisse tellement vive que j'en avais frissonné.
« C'est la réalité que j'ai sous les yeux », je me dis avec fermeté. « La réalité, c'est que tout va bien. »
Cependant, j'ai beau me répéter cela, mon impression de malaise s'amplifie.
« Je veux que ce soit la réalité ! Oh, je vous en prie, mon Dieu ! Quand je vais me réveiller, je veux que ce soit ça, la réalité ! » Je joins les mains en regardant ma mère. Je veux garder cette réalité...
Je me réveille en sursaut. Pendant un instant, je ne sais plus où je suis. Je prends quelques secondes pour faire le point. « Je m'appelle Tess, j'ai vingt-quatre ans, nous sommes samedi... » Et puis tout remonte à la surface.
Je passe la main sur ma poitrine ; mes doigts rencontrent la cicatrice ronde et boursouflée, laissée par la balle qui m'a frappée quatre ans auparavant. Et ma mère est toujours dans sa chambre, sans toujours réaliser que son mari est mort et que ses filles grandissent livrées à elles-mêmes.
Je garde les yeux ouverts, fixant le plafond. C'est ça, la réalité. L'autre n'était qu'un rêve. Je rêve souvent de la réalité que je voudrais, mais qui n'est pas la bonne. J'espère que ce sera différent à mon réveil, mais ça ne l'est jamais.
Saleté de cerveau, d'inconscient ou de sur-moi, ou de je ne sais quoi...
Je n'ai pas fait ce genre de rêve depuis un moment. Ce sont sûrement les derniers événements qui ont provoqué ce retour. Être tenue en joue par une arme à feu, une nouvelle fois. Le fait de m'immerger dans un monde d'armes à feu, de victimes et de bourreaux.
Je ne suis peut-être pas faite pour intégrer la police, en fin de compte. Je réagis mal à ce genre de stress.
Un nouveau rendez-vous avec ma psy, peut-être ?
Non. Être traitée de fille trouillarde, ça va bien cinq minutes.
Je sors du lit. Il fait encore nuit. Je doute cependant de pouvoir me rendormir avant le matin. Je gagne le salon et j'ouvre mon ordinateur portable. Autant se mettre à travailler pour penser à autre chose... Mais mon travail actuel fait un peu trop référence à des armes, ces temps-ci.
Et j'ai moi-même tiré un coup de feu, pour la première fois. Sur un homme. Sur un homme mort, certes, mais cela m'a plus affectée que je n'aurais cru.
Qu'est-ce qui m'a pris ?
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