14 - Une passion pour la criminologie
Nous sommes de nouveau en route, pour une destination plus lointaine cette fois. Je ne l'admettrai pas devant lui, mais je fais assez confiance à Max pour monter dans sa voiture sans avoir le doigt sur l'application « appeler la police ». Toutefois, je vérifie toujours que la portière n'est pas verrouillée de l'intérieur et que je peux l'ouvrir moi-même. Une fois assise, je fais toujours le geste de la rouvrir avant de la refermer.
Cela semble beaucoup amuser Max. Je lui annonce :
— J'ai donné la balle et l'arme à un inspecteur de la PJ.
— Et alors ?
— Tout est parti à l'analyse balistique. J'en saurai plus bientôt.
— Que sais-tu de la balistique ?
— Je sais que si c'est bien l'arme qui a tiré la balle qui a failli me tuer, la police le saura. Par les rayures. Comme dans l'affaire Marcel Barbeault.
— Qui ça ?
— Un des premiers tueurs en série modernes, entre 1968 et 1972 au nord de Paris.
Max me regarde avec une mimique impressionnée.
— Ton idole, c'est Christophe Hondelatte ? Et je parie que tu as vu beaucoup d'épisodes de « Faites entrer l'accusé » ?
— Pas beaucoup, corrigé-je. Tous sans exception.
Je m'enfonce confortablement dans le siège passager, le coude posé sur la portière. L'entrevue avec l'inspecteur au sujet de l'arme a été plus épique que le compte-rendu succinct que j'ai fait à Max.
— Comment ça, c'est l'arme du braquage ?! s'est écrié l'inspecteur Mallard.
J'ai eu un air coupable, j'en suis sûre. Mallard m'a regardé avec un mélange d'ébahissement et de méfiance, au point que je me suis demandé si je n'allais pas filer en garde à vue. Mallard a saisi la boîte de sa main gantée et l'a ouverte. Il a regardé l'arme, il a fait des commentaires à voix basse pour lui-même, puis il a ramené son attention sur moi.
— Naturellement, il y a tes empreintes dessus ?
— Sur la boîte, oui. Pas sur l'arme. Je ne voulais pas toucher cette chose. Et voici la balle qui m'avait blessée, à l'époque.
Je lui ai tendu la balle. Mallard a esquissé un sourire.
— Tu peux la garder, ce n'est pas la vraie.
— Pardon ?
— Tess, ma poulette, la balle est une pièce à conviction. C'est nous qui l'avons, bien sûr. Mais après être sortie du coma, tu as dit que tu la voulais absolument, que ça te permettrait de guérir, etc. C'était une obsession. Les médecins nous ont dit que refuser pourrait entraver ta guérison. Alors on t'a donné une autre balle.
Heureusement que j'étais assise, parce que ça m'a coupé les jambes. On m'a mené par le bout du nez depuis quatre ans ? L'inspecteur que j'admire a osé me mentir ainsi ? J'ai émis un soupir de déception. Mallard m'a fait un sourire d'excuse, puis a embrayé :
— À présent, peux-tu m'expliquer pourquoi tu crois que c'est l'arme en question ? Et comment l'as-tu obtenue ?
J'ai répliqué, renfrognée :
— Non, je ne peux pas l'expliquer. Chacun a ses secrets, après tout.
— Tess...
— Envoyez cette chose à l'analyse scientifique, s'il vous plaît.
Mallard m'a fait la morale pendant dix minutes, me disant que le travail de police devait être laissé à la police, mais il a pris l'arme. Je n'ai plus qu'à attendre la suite. Pour cela, j'ai besoin des explications de Max.
Je le fixe alors et je le questionne :
— Pourquoi avais-tu cette arme en ta possession ?
— Berettini m'a demandé de la détruire, répond Max, les yeux toujours rivés sur la route. Je l'ai gardée. J'avais l'impression qu'elle serait utile un jour. Tu vois, j'ai eu raison.
— Berettini, le chef de votre commando ? Il y aura des empreintes dessus ?
— Non, on avait tous des gants. Il n'y aura que tes empreintes si tu l'as manipulée.
— Bien sûr que non. Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas la toucher.
Max rit.
— Tu as déjà utilisé une arme ?
Je secoue négativement la tête.
— Tu devras apprendre si tu entres dans la police. Cela n'a pas l'air de t'enchanter. Mais si tu choisis le barreau, alors tu devras sûrement défendre des criminels à un moment ou à un autre...
Je fais une grimace, mais je garde mes pensées pour moi. C'est une remarque pertinente, dont je devrais tenir compte pour mes futurs choix de carrière. Je lance un regard de côté au tueur chevronné à côté de moi. Il devrait me terrifier, m'horrifier, mais ce n'est plus le cas. Je suis sensible à son charisme. Il dégage une force tranquille, un danger sous-jacent qui devrait me rebuter, mais ce n'est pas le cas. Le vrai danger qui vient de lui, c'est qu'il est charmant à bien des moments.
Nous avons péniblement quitté l'agglomération saturée d'embouteillages et nous avons pris des routes plus petites, mais plus fluides vers le nord.
— Tu ne rêves pas d'une voiture plus luxueuse que ton Opel, monsieur le tireur de la mafia ?
— Figure-toi que non, rétorque Max. Il faut savoir être discret. Les Lamborghini ne le sont pas tellement ! Rien que le bruit qu'elles font... Bref.
— Alors que fais-tu de ton salaire ?
— Depuis quand travailles-tu pour le fisc ?
Puis Max agite la main.
— Désolé. Je ne voulais pas dire ça. C'est une question normale. Évidemment, tu as raison, j'ai acheté des trucs de luxe. Mais j'ai aussi donné de l'argent. A ma mère, surtout.
J'ouvre la bouche pour l'interroger sur sa mère, voilà un élément qui m'intéresse grandement, mais Max poursuit :
— Bien sûr que ça me plaît d'avoir une vie facile. De loger dans des supers hôtels. Je ne vais pas te mentir, c'est une des raisons pour lesquelles je faisais ça.
— Un travail honnête, moins payé, mais moins dangereux... Tu n'étais pas intéressé ?
Max détourne le regard de la route pour me toiser.
— Tu n'es pas en train de me faire la morale, j'espère ? Rien ne m'intéressait. Je veux de l'argent. Je ne sais rien faire. Et puis, je suis un peu accro à l'adrénaline. Donc, voilà.
— Le respect de la vie humaine, tu as déjà entendu cette formule ?
— Oui et elle est fausse, riposte-t-il. Les gens sont méprisables. Toute l'humanité est méprisable.
La voix du jeune homme a été très sèche et même agressive. Je ne tiens pas à le mettre en colère, donc je garde le silence. Inutile de le provoquer. J'ai bien conscience de ce qu'il est capable de faire. La vie humaine n'a aucune valeur pour lui.
— Comment fais-tu, avec ta mère, puisqu'elle n'est pas capable de s'occuper de toi ? demande Max.
La question survient tellement à l'improviste qu'elle me laisse bouche bée un instant.
— Ariane et moi savons nous débrouiller.
— Je suis sincèrement désolé pour vous deux.
— Comment sais-tu ce qui se passe chez moi, de toute façon ? Tu espionnes ?
— Non, pas la peine. Tes amis grecs sont tellement bavards...
Je regarde par la vitre, exaspérée. Je sais que Christos nous adore, mais si on lui offre un verre d'ouzo, il ne se retient plus.
— Ça a été dur pour ta sœur et toi, dit Max. Vous êtes devenues des adultes responsables vraiment tôt.
Il semble compatir. Je sens les larmes me monter aux yeux et je lutte pour les retenir. Je ne me montrerais pas faible face à lui. Il est plus que temps de détourner la conversation.
— Tu as mentionné ta mère. Tu as une autre famille ? Des frères et sœurs ?
— Une sœur.
Je lui laisse le temps de développer sa réponse, mais rien ne vient. Rendue un peu audacieuse par les questions personnelles posées par Max, j'insiste :
— Tu as encore ton père ?
Max tourne vers moi un visage contracté.
— Non.
Le sujet est visiblement délicat. Je renonce. Du coin de l'œil, je vois que la main de Max se crispe sur le volant. Le sujet de la famille est beaucoup plus dur pour lui que pour moi. Je devine un traumatisme, mais je ne pousse pas plus loin mon investigation.
Max garde les yeux sur le rétroviseur depuis une bonne minute.
— Je crois que nous sommes suivis.
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