13 - Menaces

 avertissement: scène à la moralité discutable.

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  Je lève la main pour sonner. Ariane se tient à côté de moi, rongeant l'ongle de son pouce.

     Un pas retentit et la porte s'ouvre.

     Monsieur Landovski, éminent maître de conférences en histoire du droit, se tient sur le seuil. Il nous voit et hausse les sourcils avec surprise.

     Je ne l'ai jamais eu en cours, c'est à peine si je me souviens de l'avoir croisé dans les couloirs. Il a sans doute une cinquantaine d'années, il est enveloppé ; ses cheveux châtains sont clairsemés sur son crâne. D'après mes renseignements, il n'est pas marié et n'a pas d'enfants. Il n'a pas de casier judiciaire non plus, merci à l'enquêteur de l'Evêché qui m'a laissé utiliser l'ordinateur central.

     — Ma sœur et moi voudrions vous parler d'un malentendu, dis-je calmement.

     Je suis tout à fait convaincue qu'il n'y a aucun malentendu, mais cet individu a le droit de se défendre et de présenter son point de vue.

     En tout cas, il nous fait signe d'entrer.

     Il vit dans une jolie maison proche d'Aubagne. L'enseignement verse un meilleur salaire que je ne le pensais. En revanche, les titulaires d'une thèse de droit ne brillent pas par leur courage. Landovski nie évidemment toute accusation d'agression sexuelle.

     — Mademoiselle votre sœur m'a fait des avances que j'ai évidemment repoussées. Je suis son professeur, dit-il avec un sourire faux.

     Cela fait bondir Ariane.

     — Je ne vous ai jamais fait d'avances ! Non, mais, je rêve ! C'est vous qui m'avez sauté dessus !

     — Mademoiselle, dit-il froidement, je vous conseille de mesurer vos paroles si vous voulez être encore une étudiante parmi nous.

     — Et moi je vous conseille de ne pas menacer ma sœur, dis-je avec le même ton froid.

     — Vous n'avez aucune chance contre moi. Je suis un professeur respecté. Essayez donc, et personne ne vous croira.

     — Ah oui ? Moi je suis prête à parier que ma sœur n'est pas la seule !

     Je le vois froncer les sourcils. Mais j'aurais dû me douter qu'il en fallait beaucoup plus pour déstabiliser un prédateur.

     — Essayez, répète-t-il. Je détruirai votre réputation à toutes les deux. Vous pouvez faire une croix sur votre diplôme final. Toutes les deux !

     Je réplique :

     — Nous verrons.

     Combien d'étudiantes se sont trouvées dans la même situation qu'Ariane, au fil des ans ? Un flot d'insultes me vient en tête, mais je les retiens. J'ai un atout que les autres filles n'avaient pas.

     Je me détourne et je marche vers la porte d'entrée d'un pas décidé. Le prédateur doit croire que je me retire, vaincue, mais j'ouvre largement la porte. Juste derrière se tient Max. Je lui fais signe d'entrer.

     Le visage de Max se fend d'un sourire en coin. Il espérait bien que je ferais appel à lui si la « conciliation » échouait.

     Il entre dans la maison comme si elle lui appartenait.

     — Oh, vous croyez que votre petit copain va m'effrayer ? jette le professeur avec arrogance.

     Cependant ses yeux s'écarquillent quand Max déplie un couteau d'une longueur peu commune. Il tente de filer par l'arrière de la pièce, mais Max bondit. Il est très vif, très assuré. Il saisit le professeur par derrière et appuie le couteau tout contre sa gorge. Landovski, tétanisé, ouvre la bouche sans produire aucun son.

     — Maintenant, tu vas bien écouter ce qu'on te dit, murmure Max avec le plus grand calme.

     Je regarde l'homme droit dans les yeux. Il est blême, il a les yeux écarquillés. Cela ne lui est jamais arrivé avant, d'être menacé ainsi. C'est drôle, ça m'est arrivé à moi, qui n'ai rien fait pour. Il est temps qu'il voie ce que ça fait.

     — Vous éviterez de nuire à ma sœur. C'est bien clair ? Hochez la tête.

     Le professeur s'exécute, ce qui laisse une trace rouge sur son cou là où le couteau appuie férocement.

     — Vous éviterez aussi de nuire à quelque étudiante que ce soit. C'est bien clair aussi ?

     Landovski laisse échapper un son qui ressemble à un coassement. Ariane vient à son tour se planter devant lui.

     — N'oubliez pas que nous savons où vous vivez. Vous ne parlerez de ça à personne. C'est toujours bien clair ?

     J'envoie un sourire empli de fierté à ma petite sœur.

     Max enchaîne :

     — Ne croyez pas que je sois incapable de vous faire du mal. Beaucoup de mal. À partir de maintenant, vous serez un enseignant irréprochable. Si jamais j'apprends qu'a eu lieu le moindre incident... Vous serez une victime de plus dans cette ville. Après tout, Marseille est la capitale du crime. Un de plus, un de moins... Pour prouver mon engagement, je vous laisse un petit souvenir.

     Il glisse le couteau le long de la gorge du professeur. Une plaie superficielle se met à saigner. Landovski pousse un cri. Max le projette en avant, et l'homme vient s'affaler sur le sol.

     — Vous garderez une petite cicatrice, dit Max. Soyez bien sage. Sinon, un jour, vous ouvrirez la porte et je serai juste derrière. Je vous trancherai la gorge avec le plus grand plaisir.

     Après avoir brandi son couteau une dernière fois, il le range posément dans sa poche. Il exsude la confiance, la puissance. Il me coupe le souffle.

     Mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Je ne peux pas le trouver attirant à cet instant. Il ne doit pas l'être.

     — Let's go, girls, lance-t-il nonchalamment.

     Il se dirige vers la porte, suivi par deux jeunes filles qui marchent la tête haute, se sentant fortes pour une fois.

     Je sors et c'est alors que je me sens un peu secouée par la scène. Je déteste la violence, je jure que c'est vrai. Pourtant, c'est moi qui ai initié celle de ce matin. C'est à ma demande que Max a joué son rôle de tueur en puissance. Il l'a fait avec maestria. Je suis sûre que si j'avais demandé la mort de Landovski, Max aurait utilisé le couteau pour lui trancher la gorge. Et cela ne lui aurait posé aucun problème de conscience.

     « Tu ne vaux pas mieux que lui », me dis-je. Mais pour Ariane, je peux taire beaucoup de mes scrupules.

     — Ne fais pas cette tête, Tess, dit nonchalamment Max. C'était bien ce que tu voulais ?

     Prise en flagrant délit. Je hoche la tête en silence. Max me considère gravement, comme s'il attendait quelque chose.

     — Merci, dis-je.

    Ariane a toujours été la plus exubérante de nous deux et elle ne s'embarrasse pas de détails. Elle prend Max dans ses bras.

     — Merci ! Tu es mon héros !

     Max se met à rire.

     — Tout le plaisir fut pour moi, princesse !

     Voilà exactement ce que je crains, que ce soit un plaisir pour lui. Ariane le lâche puis lui tend la main.

     — Je respire mieux et ça, ça n'a pas de prix. Merci, du fond du cœur.

     Max lui serre la main solennellement, avant de me jeter un regard de côté.

     — Au moins, j'ai la confiance de l'une des deux. C'est un début.

     Je reste sans réaction. Peut-être devrais-je montrer davantage de gratitude. Quelque chose me paralyse. « L'hypocrisie sans doute », souffle ma voix intérieure.

     Un sentiment de culpabilité m'envahit. Je n'ai jamais été quelqu'un de malhonnête. L'intégrité est l'une de mes valeurs. Mais cette fois, j'ai agi par pur égoïsme, en utilisant Max pour obtenir ce que je voulais. Suis-je une mauvaise personne ? Se pourrait-il que je ne sois qu'une hypocrite, prêchant la morale tout en agissant de manière contraire ?

     Je ferme les yeux et je récite une prière silencieuse, implorant le pardon de je ne sais qui ou de je ne sais quoi. Je dois trouver un moyen de me racheter à mes propres yeux. Je dois assumer mes responsabilités et faire face aux conséquences de mes actes. Je ne ferai plus jamais ça, je ne demanderais plus rien de ce genre à Max ou à qui que ce soit. Je dois retrouver ma tranquillité d'esprit et préserver mon sens de la morale.

     Ariane monte en voiture. Max ferme galamment la portière derrière elle et se rapproche de moi.

     — Tu sais que je l'aurais tué si tu me l'avais demandé, n'est-ce pas ?

     — Oui.

     — Alors tu sais que je te dis la vérité. Tiens-toi prête. Je te donnerai de nouvelles preuves.

     Je m'apprête à monter en voiture. Max me retient par la taille et chuchote :

     — Tu vois, tu as besoin de moi. Nous avons besoin l'un de l'autre.

     La chaleur m'envahit soudain, recouvre chaque parcelle de mon corps. Je ne réponds pas et je le repousse.

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