Partie 3
Ana revint, encore et encore. Un jour elle était bleue, un autre elle était jaune. Elle lui fit découvrir le monde entier avec ses mots, elle le sortit de la coquille vide dans laquelle la maladie et la solitude l'avait enfermé.
Entre deux de ces instants magiques, ils discutaient de tout et de rien, faisaient connaissance. Elio rattrapa son retard avec la petite fille, qui partageait avec lui toutes ses leçons. Ainsi, il découvrit la lecture, la poésie. Il détesta Balzac, adora Maupassant, survola Baudelaire, dévora Prévert. Il se révéla être un petit garçon curieux de tout, avide de connaissances, mais pas très loquace. Il parlait peu, et jamais sans avoir réfléchi auparavant. Quand son amie se lançait dans de grands discours sans queue ni tête, il l'écoutait avec un petit sourire, la tête inclinée sur le côté. Un petit bout d'homme calme, posé, mais assoiffé de savoir.
Ana aimait tout autant apprendre, mais pour le reste, elle était son parfait contraire. Son tempérament de feu, sa langue bien pendue et son franc-parler firent rire plus d'une fois son nouvel ami. Jamais elle n'hésitait à dire ce qu'elle pensait, elle était un véritable rayon de soleil dans la vie du petit malade. Et puis surtout, elle avait une voix en or. Quand elle parlait des couleurs et du monde, on aurait dit que la Terre entière vivait dans ses mots. Elle évoquait un arbre ? On entendait le bruissement des feuilles. Un animal ? Il était là avec eux dans la pièce.
Ils n'avaient qu'une dizaine d'années, mais leur lien dépassait l'imaginable. Ce n'était pas de l'amour non, mais une amitié si forte, si belle et si sincère qu'elle aurait pu faire trembler le monde. Ils conversaient des heures entières, sans que personne n'en soit témoin.
Mais il y avait un sujet qu'Ana elle-même n'osait aborder.
La maladie d'Elio.
Était-ce si grave ? Allait-il s'en sortir ? Les larmes lui montèrent aux yeux un jour où elle se posait ces questions pour la énième fois.
- Ana ? Tout va bien ? demanda le petit garçon, inquiet.
- Elio... dit Ana en baissant la tête. Tu vas encore rester combien de temps ici ?
Il soupira. Le temps qu'il passait avec la petite fille réparait son âme, mais il sentait bien que son corps se dégradait toujours autant.
- Ana, je ne veux pas te mentir, dit-il enfin, je ne m'en sortirai sûrement pas. Les médecins ont dit que je n'atteindrai probablement pas ma quinzième année.
La petite rousse releva la tête et affronta le regard de son ami, retenant ses larmes avec la dignité qui donnait l'impression qu'elle avait grandi trop vite.
- Je ne veux pas que tu meurs.
Elle avait presque chuchoté, mais l'emploi du mot mourir fit sursauter le garçon.
- Je ne veux pas que tu meurs, Elio !
Cette fois-ci, elle avait crié.
- Ana, je suis tellement désolé...
Il pleurait lui, sans aucune retenue.
- Peut-être... articula t-il avec difficulté, peut-être qu'on ne devrait plus se voir.
Ana se figea, et Elio ne vit pas venir la gifle magistrale qui lui brûla la joue.
- Ne redis jamais une chose pareille. Jamais.
- Ana, je...
- Si c'est pour dire de telles bêtises je ne veux même pas t'entendre. C'est plutôt toi qui va m'écouter. Tu es mon ami, Elio, le meilleur que j'ai jamais eu. Tu comptes énormément pour moi. Tu ne mourras pas, parce que je ne te donne pas l'autorisation de me laisser toute seule.
Le petit garçon ouvrit grand la bouche, abasourdi. Un silence plana quelques instants, avant qu'Ana n'affiche de nouveau un grand sourire d'enfant, comme si tout était oublié.
- À la prochaine, Elio !
Elle était presque déjà partie quand il se secoua.
- Attends ! Tu seras quoi la prochaine fois ?
La petite fille eut un sourire en coin.
- La prochaine fois, j'aurai une surprise pour toi !
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