🦇 𝔔𝔲𝔢 𝔫𝔬𝔱𝔯𝔢 𝔳𝔬𝔩𝔬𝔫𝔱𝔢́ 𝔰𝔬𝔦𝔱 𝔣𝔞𝔦𝔱𝔢 🦇

______________ ⚰️ ______________


Vu de loin, ce putain de manoir semble presque abandonné.

Couvert de plantes grimpantes à moitié crevées, complètement bouffé par les caprices météorologiques, c'est à se demander comment il tient encore debout. Les lourdes planches et roches qui le constituent, les tuiles épaisses qui le protègent, sont toutes branlantes et menacent d'engloutir son porche préservé par une antique pergola.

Étonnamment, les étages n'ont pas l'air trop impactés : les fenêtres et les balcons sont quasi intacts. Ça m'épargnera au moins la tannée de dégager les larges baies ornées de décorations en bronze, figurant des... chauves-souris. Saloperies.

Je m'avance, rassemblant ma détermination. Je suis bien conscient que la mission de ce soir est cruciale. Je vais devoir faire preuve de rigueur, utiliser chacun des enseignements dispensés par mes prédécesseurs...

Me montrer à la hauteur de la réputation de l'Église Astrale.

Que mon nom soit sanctifié.

Les feuilles desséchées craquent sous mes semelles renforcées. Grâce à elles, je ne sens aucune des aspérités de ce jardin miteux : les silex, les bâtons... les os. Même si je les aperçois du coin de l'œil, je fais de mon mieux pour les ignorer. Je ne peux pas me permettre de prier pour mes Frères et Sœurs décédés maintenant.

Le tonnerre gronde tandis que j'atteins le cimetière, au milieu duquel se dressait auparavant un immense saule pleureur. À présent, seul son tronc décharné se tend encore vers la lumière, égayé de pauvres ramures qui ont sans doute essayé de s'en sortir. C'est un spectacle lamentable, sublimé d'une façon atroce par les centaines de tombes qui parsèment cette partie de la propriété. Je crois que je ne m'y habituerai jamais.

On ne peut pas apprivoiser la froideur de la mort – la vraie, celle qui ne se relève pas.

Je trace ma route, luttant contre les frissons désagréables qui me parcourent l'échine.

Les nuages sont d'une opacité impressionnante, à un tel point que je peine à apercevoir la lune. Celle-ci luit d'un rouge sanguin, renvoyant sur ces terres une lueur de fin du monde. Pour une fois, je n'en mène pas large.

J'atteins le point que j'ai noté quelques jours plus tôt : l'arrière de la baraque. S'il m'intéresse autant, c'est grâce à la position de ses fondations qui s'élèvent de telle sorte à former une piste d'escalade, certes particulièrement biscornue, mais qui constitue une aubaine en or massif pour moi. Je suis sur la bonne voie et cette architecture brisée par le temps me le prouve.

Que mon règne vienne.

Je vérifie une ultime fois que mes armes sont bien accrochées à ma sacoche, puis me décide à entamer l'ascension. Je m'efforce de ne pas songer à ce qui m'attend de l'autre côté, lucide quant aux effets nuisibles de telles pensées. Le vent se lève au moment où ma main droite se saisit d'une prise camouflée par le lierre. Mon tempérament étant ce qu'il est, je ne ressens aucune crainte à l'idée de tomber. Non, ce qui m'inquiète...

Non. Je ne peux pas me permettre d'éprouver le moindre doute, aussi minime soit-il.

Une fois que ce sera fait, je pourrai enfin accéder au plus haut statut de notre organisation – celui qu'aucun de mes ancêtres n'a su atteindre.

Pape... Mon rêve de toujours.

Que ma volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

L'Église Astrale est toute ma vie. J'y suis né et y ai été élevé, bercé par les litanies du Clergé rendant hommage à mon Cardinal de père.

Notre religion n'a pas de dieu ou de déesse au sens propre du terme. En réalité, elle a été fondée par l'un de mes lointains ascendants, pourvu de cet ego surdimensionné spécifique à notre famille. Il souhaitait être honoré par des fidèles suffisamment naïfs pour le considérer comme un être supérieur... Finalement, on pourrait comparer sa création à une banale secte.

Notre Église n'a plus rien à voir avec ça. Certes, nous continuons à profiter de l'admiration de nos camarades, mais nous disposons surtout de réels pouvoirs : force surhumaine, habileté au combat, endurance hors normes. Des atouts qui se sont inscrits dans nos gènes et que nous cultivons dès le plus jeune âge. Impossible de nous comparer au commun des mortels – nous sommes ce qui se rapproche le plus du divin.

Je vous donne aujourd'hui la paix astrale.

Je suis le dernier des miens – ce qui me vaut des emmerdes ô combien chronophages. Comme si j'avais le temps de m'occuper de ça : jérémiades, tentatives de renversement et de corruption, prières stupides au sujet de ma descendance... Pour ce que j'en ai à foutre! Moi, ce que je veux, ce que j'exige, c'est de devenir de façon irréfutable le chef suprême. À part ça, rien ne compte. Rien.

Quand mes doigts effleurent la pierre froide du premier balcon, je perçois une nouvelle fois le son caractéristique du tonnerre... Les éléments semblent décidés à rendre mes actes de cette nuit tragiques. Que va-t-il se produire au moment où je sortirai mes lames? Le ciel se fendra-t-il en deux? Bah, peu importe. Rien ne peut me blesser. Je suis Black Star, fils de White Star. Je suis au-dessus de tout.

C'est dans mon sang, dans ma tête et dans mon âme. Impossible qu'il en soit autrement après tant de siècles de culte.

Je me hisse sur le rebord et pose enfin pied à terre. Il ne me reste plus qu'à entrer en fracassant l'une de ces baies vitrées bancales, parsemées de fractures en forme de toile d'araignée. Sans hésiter une seconde, je procède en un coup de coude, guère impressionné par les bris de verre qui tentent de s'immiscer sous le tissu de ma soutane – elle a en effet été conçue pour résister aux combats les plus brutaux. Une belle innovation qui, en plus de rehausser mon teint mat et mes cheveux bleus hérissés, me confère une allure sainte qui n'est pas pour me déplaire. Il est important à mes yeux de conserver une certaine distinction. Ainsi, je n'ai même plus besoin d'ouvrir la bouche : mes iris vert sombre et mon coûteux pendentif d'étoile crucifiée suffisent à me démarquer au milieu de mon troupeau.

J'entrebâille les battants et m'immisce à l'intérieur du bâtiment. Une odeur d'humidité et de renfermé m'agresse d'emblée, me faisant froncer le nez. On se croirait presque dans l'un de ces foutus mausolées que mon paternel s'obstinait à me faire visiter.

« Ils sont nombreux à aimer ces environnements. Ils leur permettent de camoufler leur puanteur pourrissante. »

Je régule ma respiration et démarre mon exploration sans plus tarder.

Comme je me l'imaginais, l'intérieur est aussi abîmé que l'extérieur. Les tentures carmin qui s'étendaient vraisemblablement du sol au plafond autrefois sont désormais raccourcies par les mites, laissant transparaître les murs parsemés de fissures plus ou moins importantes. Des meubles boisés au vernis écaillé s'étalent le long du couloir, couverts d'une couche de poussière épaisse et humectée qui forme de petits tas disgracieux sur leurs courbes. Seuls des bibelots brisés les ornent encore, rescapés des multiples cambriolages organisés par la population des villages voisins.

Comment pourrais-je leur en vouloir, après les carnages effroyables commis par les propriétaires du lieu?

Je ne pardonne pas à ceux qui ont versé le sang.

« Ce sera à toi de terminer le travail, Black Star. Il n'en reste plus qu'une poignée, dissimulée dans ce type de cryptes. »

Et je m'en suis occupé sans sourciller, m'attelant même à la tâche d'une main experte et enjouée, sans aucune pitié pour ces monstres. Les hurlements des rares rescapés rendus fous par le traumatisme vibraient encore trop fort dans mes tympans.

« Une fois que ce sera fait... Tu pourras le tuer. Il ne vaudra plus rien sans ses sbires. »

Il savait qu'il allait mourir.

« Tu deviendras le Pape Astral. D'accord? Pour nous tous. »

La morsure infligée par le maître de ces saloperies s'était gravement infectée, l'emportant en quelques jours.

Je n'avais que quinze ans lorsqu'il a été canonisé – ma formation venait à peine de se terminer.

Maintenant, j'ai vingt-deux foutues années au compteur, et je suis prêt à accomplir son ultime volonté.

Je vous délivre du Mal.

J'atteins le vestibule et m'y arrête un court instant, afin que ma vision s'habitue à l'obscurité. Les fenêtres ayant jusque-là permis à la lune de me guider sont ici entravées par des branches mortes colmatées et des éclaboussures inidentifiables. Il me faut donc redoubler de prudence et ne surtout pas me laisser surprendre.

Je poursuis mon exploration et me dirige presque instinctivement vers une large porte gravée de ces chauves-souris sordides. Je n'hésite pas et l'entrouvre, résolu à attaquer le premier si mon flair se révèle aussi fiable qu'à l'accoutumée.

Bingo.

Un feu crépite faiblement dans une cheminée non moins délabrée que le reste de la pièce. Les bibliothèques qui la jouxtent sont tellement penchées et gonflées par la moiteur ambiante que les livres qu'elles abritaient sont amassés en tas à même le sol. Les fauteuils qui entourent l'âtre sont eux-mêmes à moitié pourris, creusés de fins sillons gris. Je n'ose imaginer quelles bestioles répugnantes grouillent dans les déchirures de ces vieilleries...

Finalement, je m'intéresse à l'élément central.

Un cercueil.

Les flammes se reflètent sur sa surface noire et lisse, au revêtement rongé par les années. Il n'est pas dans un état aussi pitoyable que ceux des précédentes créatures que j'ai affrontées, mais il crie clairement son épuisement.

À l'intérieur de cette horreur repose mon ennemi.

Death The Kid, le dernier des vampires.

« Sors de là, ordure. » le sommé-je sans tergiverser davantage, oubliant toute discrétion. « Qu'on en finisse. »

J'investis les lieux, faisant sournoisement bouger ma besace remplie d'armes au potentiel mortel. Je savoure déjà ma gloire future.

Peu avant son trépas, le créateur de l'Église Astrale s'est intéressé de très près à l'espèce des buveurs de sang. Il a vite saisi la problématique qu'elle représentait et, dans un élan de bonté, a lancé la mission que je m'apprête à achever... Celle d'en tuer tous ses membres. D'un point de vue extérieur, cette décision peut être perçue comme un acte généreux. Cependant, j'ai parfaitement conscience de la réalité : il ne cherchait qu'un peu plus de reconnaissance de la part du genre humain.

Manque de bol, il y est passé avant d'avoir pu récolter les lauriers de son hypocrisie.

Je persiste à affirmer que, depuis, nous avons changé. Nous aimons l'attention, les louanges, les titres honorifiques... Mais personne ne peut prétendre que nous ne nous vouons pas sincèrement et entièrement à la cause. C'est elle qui nous offre le mérite après lequel nous courons nos vies durant. Quel intérêt de bénéficier de tant d'admiration sans raison valable?

Je souhaite être vénéré pour ce que je suis : le libérateur de l'humanité. Celui qui a accompli l'acte suprême de la quête. Sans ça, je me fiche bien de mon accession au rang de Pape – surtout en sachant que le seul l'ayant occupé avant moi était cet enfoiré de vieux. Moi, je veux en être digne.

« Tu te décides à bouger ou je te crame direct? » m'agacé-je en constatant l'absence de réaction de la sangsue.

Death The Kid est le fils de celui qu'on surnommait le Shinigami – le Dieu de la Mort. Assassin et victime de mon père, il est plus que probable qu'il ait laissé derrière lui un rejeton au moins aussi puissant que lui. J'aime le voir comme la cerise sur le gâteau, la conclusion parfaite du bordel que sont nos existences.

Le combat des fils qui clôture celui de leurs pères.

« Tu digères, mec? T'as bu le sang de qui, cette fois? » poursuis-je en ricanant.

Ma patience s'étiole au fil des minutes. Pourtant, je refuse catégoriquement de céder à la facilité du pieu dans le cœur. Je tiens à affronter ce connard face à face.

« Inutile de jouer les charognards effarouchés. Tu devras bien sortir de ta boîte à un moment ou à un autre. »

« C'est toi qui fais tout ce bruit? » déclare soudain une voix dans mon dos.

Je sursaute et me tourne vers elle, me flagellant intérieurement de ne pas m'être placé de façon à surveiller mes arrières. Je dois me reprendre, c'est maintenant!

« Je commençais à perdre espoir. » le raillé-je en m'emparant d'une de mes lames.

« Ce n'est pas si terrible que ça. » rétorque-t-il aussitôt. « On vit même plutôt bien sans. »

« Tu me fais quoi, là? T'essaies de sauver ton cul en pleurnichant? »

« Ton incertitude suinte de tous tes pores, imbécile. Je serais idiot de ne pas me servir de cette faiblesse. »

Comment ose-t-il m'attribuer ce mot? Moi, faible? Il se pourrait que je me montre plus expéditif que prévu, au final.

« Je suis ici pour te buter. » lui rappelé-je en serrant les dents. « Évite de faire le malin, ou ma méthode risque de devenir beaucoup plus douloureuse. »

« Tu parles, tu parles, mais le couteau à beurre que tu tiens ne bouge pas. » remarque-t-il platement.

Techniquement, ce type n'est pas la chair de la chair du Shinigami. De ce que j'en sais, il a été transformé au cours de sa vingtième année, il y a très longtemps. Pourtant, plus je l'observe, et plus je constate que les topazes qui lui servent d'yeux ont la même intensité que celles de son paternel... Mais ce n'est pas qu'une question de couleur.

Serait-il capable, par malheur, d'éprouver des sentiments?

« Pourquoi tu ne tentes rien, toi? » l'interrogé-je, trop intrigué pour relever sa pique.

« En quoi ça m'aiderait? » rétorque-t-il.

Son physique a un je ne sais quoi qui me perturbe. Ses cheveux bruns courts, barrés de trois mèches blanches situées sur le côté gauche, m'évoquent les représentations graphiques du Shinigami. De mémoire, il me semble qu'elles sont appelées les Lignes du Styx – une manifestation étonnante qui désigne le maître de l'espèce vampirique. À terme, elles auraient dû se poursuivre jusqu'à la droite de son crâne.

« Je sais pas, tu pourrais au moins essayer un truc avec un de tes charmes! » m'agacé-je alors. « Tu me prends pour un demeuré? Son Altesse ne me trouve pas assez menaçant? Parce que, si c'est ça, je... »

« Tais-toi, s'il te plaît. » me demande-t-il en levant une main sévère. « Je n'ai pas l'intention de me battre. »

Hein?

« Tu me charries. »

« Absolument pas. »

« Tu te fous de perdre ton immortalité? »

Il se contente de hocher la tête. Je n'ai pas rêvé : des émotions traversent ses prunelles! C'est la première fois que j'assiste à un tel phénomène... J'ai tué des centaines de ses semblables, en ai torturé autant afin de leur extorquer des informations, et jamais je n'ai décelé la moindre trace d'humanité en eux!

Ils sont incapables de ressentir quoi que ce soit, bordel! C'est inscrit dans tous les foutus bouquins que j'ai lus au cours de mon apprentissage!

« Mais c'est pas possible! » crié-je, bouleversé. « Ma famille et moi avons buté l'entièreté de la tienne, abruti! Tu devrais me haïr et chercher à me déchiqueter! »

Ses traits fins ne tressaillent pas tandis que je m'énerve contre lui. Ils sont d'une symétrie parfaite, rehaussés par ce grain de peau extraordinaire propre à son espèce.

Il serait sans doute encore plus beau sans cette mélancolie qui l'accable.

« Et pour quelle raison? » objecte-t-il à nouveau. « Tu viens de le dire : je n'ai plus de famille. Ça vous aura pris plusieurs siècles, mais vous avez enfin réussi. Mes félicitations. »

« Vous étiez dangereux pour les mortels. » me justifié-je malgré moi. « Vous l'avez toujours été. »

« Je ne peux pas te contredire. » admet-il. « Nous avions nos torts. En revanche, si je puis me permettre : vous avez agi comme les monstres que nous sommes, ni plus ni moins. Vous n'avez pas cherché à communiquer avec nous, ni à trouver un compromis viable pour nos deux camps. C'était tellement plus simple de détruire, au final. »

Je me paralyse d'un coup. Les prières que je psalmodiais jusque-là dans un coin de ma tête font silence, et je me retrouve dans la peau d'un jeune adulte indécis que je méprise d'avance. Cette saloperie de chauve-souris a réussi à atteindre cette minuscule part de mon être que mes parents se sont évertués à emprisonner dès ma petite enfance. Honnêtement, je n'avais même plus conscience de son existence. Je suis néanmoins persuadé d'une chose : je la déteste.

Elle vient de m'attraper par le colback pour me mettre le nez dans le tas de cadavres érigé par les nôtres depuis la création de l'Église.

Je refuse de la laisser faire.

« Ferme ta gueule. » fulminé-je. « On aurait dû autoriser tes ordures de proches à s'enquiller l'hémoglobine de la population mondiale? »

« Que je sache, vous n'avez jamais tenté d'exterminer les autres humanoïdes nuisibles. Mais, je comprends : il vous fallait un prédateur remarquable, histoire d'asseoir votre glorieuse légende. »

Car c'est à moi qu'appartiennent le règne, la puissance et la gloire.

« Inutile de chouiner. » lâché-je, refusant de poursuivre ce débat stérile. « Finissons-en maintenant, Death The Kid. »

« Tu as raison. »

Puis, presque nonchalant, il commence à déboutonner sa chemise.

« Mais qu'est-ce que tu fous? »

« Je te prépare le terrain. »

Les plis du tissu appâtent mon regard, qui se pose instinctivement sur les pectoraux dévoilés par ses gestes minutieux.

En tant que Cardinal en titre, il m'est formellement interdit de ressentir de l'attirance pour qui que ce soit, excepté ma future femme. Je me dois de construire un couple capable d'enfanter...

Merde.

« Bats-toi, je t'en prie. » soufflé-je.

Mes jointures craquent tandis que je serre mon arme plus que de raison.

« Je t'ai déjà donné ma réponse. »

Il s'approche de moi. Les flammes de l'âtre, prêtes à s'éteindre, s'amusent de leurs lueurs sur sa peau d'une pâleur de mort. Ma respiration s'accélère. Est-ce à cause du dénouement que j'ai tant espéré ou de... lui?

« Je refuse de tuer quelqu'un qui ne se défend pas. » murmuré-je.

Mon palpitant résonne dans l'intégralité de mon corps. Je ne m'attendais pas à ça. Ce n'était pas le plan. Mon projet était parfaitement calculé, j'imaginais ce combat depuis des semaines...

« Je suis une sangsue. » me rappelle-t-il. « Je ne suis pas quelqu'un. Donc vas-y. Sans rancune. »

Je déglutis péniblement. Une chaleur terrible se répand en moi, sans que je sois apte à l'apaiser. Malgré tout, je parviens à lever mon poignard. Les gravures du créateur de l'Église me brûlent les doigts ; le saphir incrusté dans le pommeau me juge. C'est le moment. Je ne peux pas faillir.

Je deviendrai le dernier Pape, récolterai les richesses dues à mon triomphe. Et je serai...

Seul.

Désespérément seul.

Le Death The Kid des humains, en somme.

Putain de merde!

Dans un élan de colère, je me décide à viser le cœur de mon rival, pointe vers lui. Un pas, un simple pas, et tous mes rêves d'enfant se réaliseront...

Les miens, vraiment? Ou ceux de mes ancêtres?

« Quelque chose à ajouter? » demandé-je.

Je n'arrive pas à me détacher de ces pierres dorées. Nous faisons à peu près la même taille, il ne doit donc rien rater de mon foutoir intérieur.

« Profite de la suite, Black Star. » me souhaite-t-il alors.

Ma main se détend toute seule dès ces mots prononcés.

« T-tu utilises ta magie mentale, là? » paniqué-je.

L'objet létal s'écrase sur le parquet dans un bruit retentissant.

« Non... Qu'est-ce que tu as? »

« Je peux pas faire ça! Je peux pas! »

Je le repousse brutalement, la tête en vrac. Je suis incapable de penser convenablement, mes beaux principes s'effritent.

« Pourquoi j'y arrive pas? Pourquoi il a fallu que tu me foutes la gueule dans ces conneries? » braillé-je en frappant ma poitrine, yeux exorbités.

Ma voix résonne dans le bâtiment. Si je continue, peut-être qu'il s'effondrera?

« J'étais bien! J'allais clôturer cette putain d'histoire! Régenter l'Église! Accomplir ce pour quoi mes parents sont morts! T-tu... Tu fais chier! »

« Il n'aura pas fallu grand-chose. » remarque-t-il. « Tu remettais en cause bon nombre d'éléments avant même de me rencontrer, c'est évident. »

« N'importe quoi! Je sais qui je suis et ce que je dois faire! Je suis l'être qui touche au divin! Et toi, tu... tu es l'abomination qui doit retourner à la terre! »

J'ai bien appris ma leçon, papa. T'es fier de moi, pas vrai?

« Essaie de te calmer, d'accord? » me somme-t-il en s'approchant, bras tendus. « Si tu le souhaites, je peux te proposer un... arrangement? Qui te permettrait de passer outre tes contradictions? Je te rassure afin d'effacer ta culpabilité et toi... tu exauces ma dernière volonté. »

Il n'est plus qu'à quelques centimètres. S'il était encore vivant, je percevrais sûrement son souffle sur mes lèvres.

« C'est-à-dire? » le pressé-je.

« Traite-moi comme l'un des tiens. Fais-moi me sentir comme un humain. »

Mon cerveau lâche les rênes.

« Je n'ai jamais cessé d'éprouver des émotions. » m'explique-t-il, confirmant ainsi mes réflexions antérieures. « Et là, maintenant, mon clan n'est plus. Je n'ai plus personne pour combler ce manque affectif que nos pères ont provoqué. »

Sa peau, si claire...

« Toi, tu es capable de comprendre. »

Elle doit être si douce...

« Oublions qui nous sommes, Black Star. Laisse-moi profiter de ton humanité, et je t'offrirai la renommée dont tu rêves tant. Soyons juste... deux âmes en résonance. »

« P-parce que t'as encore une âme, toi? »

« Comme n'importe quel être vivant de ce monde. »

Sa main droite se pose sur mon torse. Ma soutane ne suffit pas et je ressens ce mouvement telle une explosion qui me fracasse de l'intérieur.

« Tu veux que je te le prouve? » chuchote-t-il.

« Je serais curieux de voir ça. »

Je sais que c'est terminé dès que j'esquisse le pas de trop vers lui – qui colle mon corps au sien. Entre nous, sa paume est prisonnière.

« Que ta volonté soit faite, Cardinal. »

Je crois mourir quand ses lèvres glacées rencontrent les miennes.

Mon cœur se désagrège lorsque j'approfondis ce baiser sans tarder, avec cette rudesse qui caractérise chacun de mes gestes. Je ne me souviens déjà plus de la personne que je suis censé être, ni de celle que je m'apprêtais à devenir.

Je suis étonné par le toucher de son épiderme, d'une fraîcheur et d'une délicatesse incomparables. J'entreprends de l'explorer en faisant glisser mes mains sur son torse, en en prenant les mesures de mes doigts abîmés. J'effleure quelques zones apparemment sensibles, qui me valent des gémissements quasi inaudibles. Qui aurait cru qu'un vampire serait en mesure de savourer un tel instant? Certainement pas moi...

Mais je ne croyais en rien d'autre qu'en leur sauvagerie.

Il coupe net mes réflexions en passant ses bras autour de mon cou, avide d'une plus grande proximité. Je la lui accorde volontiers, m'emparant de ses hanches afin de les plaquer contre les miennes. J'ai envie de le soulever là, contre un mur, et de lui faire subir les gestes appris dans les étreintes interdites des fidèles suffisamment attirants pour mériter mes faveurs. Ici, rien ni personne ne pourra me reprocher ma sexualité – certainement pas lui.

L'excitation la plus pure traverse mes veines quand l'accès quémandé à sa langue m'est alloué. Je crève de son contact, grogne quand il ose s'écarter de moi dans le but de découvrir un nouvel angle de ma bouche. La tendresse de ses baisers mêlée à ma fébrilité crée un mélange qui me détruit. Je le veux tellement fort que j'en déchirerais mes vêtements juste pour occasionner de délicieuses frictions. Je prie pour que cet instant dure le plus longtemps possible.

Pour les siècles des siècles.

« Black Star... »

Sa supplique m'achève. Je nous sépare et lui tourne le dos, lui désignant vaguement la fermeture discrète de mon habit.

« Enlève-moi ça. Dépêche. »

Je l'entends s'exécuter. Une fois libérée, mon échine se crispe quand le froid de l'air ambiant effleure le léger voile de sueur qui commençait à s'y former.

« Sacrilège. » susurre Death The Kid à mon oreille en se collant à mes reins. « Tu n'es pas supposé être un saint, ou quelque chose du genre? »

Je m'empresse de dégager le reste de ma tenue et plante mes malachites dans ses topazes. J'ai besoin de me lier à lui et de goûter à l'âme qu'il prétend posséder. Je me fiche des conséquences, je réclame juste... lui. Mon antithèse absolue.

« Tu veux que je te montre la grâce d'un dieu? »

« J'attends. »

Je m'empare à nouveau de ses lèvres et les mordille sans vergogne. Il faut que je me retienne, ou je risque de le bouffer tout cru à même le sol. À vrai dire, je ne sais pas vraiment où le porter. Tout ici est dans un état déplorable...

Une idée profane me traverse alors l'esprit. Je ne prends pas la peine d'y réfléchir à deux fois et la mets immédiatement en pratique. J'entraîne mon amant vers l'endroit où ma soutane est étalée et, dans un élan symbolique, l'emporte avec moi. Ce n'est pas confortable, loin de là, mais je n'en ai sincèrement rien à foutre. Seul le fait que je le surplombe compte désormais.

« Tu veux faire ça avec nos pantalons? » se moque-t-il en tirant doucement ma crinière bleue.

Je réponds à sa requête implicite et balance sans délicatesse ses chaussures avant de détacher sa ceinture. Je l'aide à se dévêtir complètement puis, impatient de profiter pleinement de la vue, je réitère avec mes pompes épaisses et le froc léger que je porte toujours.

« Eh bien, vous travaillez dur à l'Église Astrale... »

Une faim intense brille dans ses pupilles dilatées. Je ne peux retenir un petit rictus satisfait, conscient de la musculature imposante que je possède. Il la parcourt de ses doigts sans mot dire puis, entreprenant, se relève un peu pour parsemer mon torse de baisers.

Je tire profit de l'instant sans contenir mes expirations rendues particulièrement bruyantes par le désir. J'éprouve le besoin pressant de faire de même sur chaque parcelle de son corps ivoire, mais décide de lui laisser une chance de m'apprivoiser. Il n'est pas comme les autres. Je ne peux pas le considérer comme ces faux-culs qui m'entourent et dont je me servais jusque-là sans vergogne pour calmer mes pensées salaces.

« C-comment on fait? » demandé-je en tentant de regagner ses lèvres.

« Ne change rien. Prends-moi comme un humain lambda. »

« D'accord. »

J'entreprends d'explorer le bas de son corps, impatient.

« Vous pouvez... avoir une érection, donc? »

Il pouffe en constatant ma stupeur.

« Notre sang est froid mais il est toujours là, Black Star. »

J'acquiesce sans réclamer de détails. À la place, je caresse sa verge sur toute sa longueur, appréciateur. Ses partenaires d'antan devaient passer de bons moments, avec ça!

Je commence à esquisser des va-et-vient, savourant chaque gémissement à peine contenu. Je le vois promener une main tremblante dans ses cheveux, l'autre sur le point de cacher son visage.

« Regarde-moi. » lui ordonné-je sans m'arrêter.

« C-c'est gênant de... » proteste-t-il.

« Kid. S'il te plaît. »

Interpelé par ce surnom, il ose enfin. Bien.

Je m'empare dès lors de ses cuisses et les écarte pour me glisser entre elles. J'aimerais le pénétrer dès maintenant, mais je ne veux pas lui faire mal. Aussi, dans un geste peu délicat, j'humecte abondamment mes doigts de salive et les dirige vers son entrée. Je m'assure de son consentement d'un regard et m'insère lentement. Sans doute par réflexe, il prend une inspiration aussi profonde qu'inutile quand j'entreprends de le préparer.

Ses yeux se voilent d'un plaisir dont je suis infiniment fier. Je l'accentue en entourant son sexe de ma main libre, le frustrant de mes actions langoureuses. Je perds de plus en plus la raison... Il faut que je sois en lui. Ma propre érection en devient limite douloureuse.

« Black Star... » geint-il.

Sa bouche entrouverte est un putain d'appel à la luxure.

« Viens. Je t'en supplie, viens. »

« Tu es sûr? »

« Oui. Putain, oui. »

Oh, il en devient carrément vulgaire...

Je le relâche et me positionne de façon à pouvoir le pénétrer. Il hoche la tête et, d'un élan mesuré, j'entre en lui.

C'est la sensation la plus incroyable qui soit. J'en gémis bruyamment, comme aspiré par une spirale de plaisir trop intense pour m'en dégager seul. Je me penche au-dessus de Kid, les mains de chaque côté de son visage, et commence à bouger. Je veux voir chacune de ses réactions.

« Black Star, Black Star... Ne t'arrête pas... »

« Jamais... Aah, bordel... »

Il saisit mon crâne et me force à me coucher sur lui. En appui sur mes coudes, je l'embrasse en empoignant ses mèches brunes, avalant chacune de ses prières. Je me rends compte que je ne pourrai peut-être plus vivre sans... ça. L'intégralité de mon être ne le supporterait pas. C'est bon, trop pour être réel.

Pour le coup, je me sens vraiment comme une divinité.

Je ne le tuerai pas. Je ne pourrai pas. Je refuse de...

« Plus vite... S'il te plaît... »

Ce murmure s'est échappé de notre millième baiser et, ravi, j'obéis. Je me replace en surplomb et accélère, mettant plus de force dans mes impulsions. Les claquements provoqués par nos chairs me font trembler. Je sens que...

« Kid, si je continue comme ça, je vais... »

« M-moi aussi... »

L'orgasme me percute avec violence. Je retiens difficilement un cri de plaisir pur, chaque muscle contracté par l'infinité de sensations que me fait éprouver le vampire. Une fois libéré, je m'assure qu'il a également obtenu satisfaction, et constate en effet que c'est le cas. En revanche, je ne vois pas de...

« Je ne peux plus me reproduire. » m'apprend-il avec un sourire comblé. « Donc non, je n'éjacule plus. »

Ma curiosité contentée, je m'effondre sur son torse en reprenant mon souffle.

« C'était tellement parfait... » soupiré-je d'aise.

« C'est vrai... » approuve-t-il. « Merci, Black Star. »

« Pourquoi tu me remercies? On a fait ça à deux, que je sache. »

« Ne recommence pas à râler, tu veux? »

« Moi, râler? »

Nos chamailleries se poursuivent jusqu'à ce qu'un bâillement m'échappe.

« Oh. J'avais oublié l'impact des orgasmes sur votre métabolisme. » ricane Kid en gratouillant mes cheveux.

« Ferme-la... »

« Dors. Je veille sur toi. »

« D'accord... »

Je ne songe même pas aux éventuels sévices qu'il pourrait m'infliger pendant ce temps, et me laisse porter par mon épuisement.

« Et si on restait ensemble? »

Les mots sont sortis tous seuls. M'en apercevant, j'écarquille les yeux en rougissant comme un gamin, surpris.

Le réveil a été si doux que j'en ai oublié l'espace d'un court instant la bâtisse dans laquelle je me trouve. Là, à même le sol, dans les bras de mon amant, je me sens plus libre et heureux que je ne l'ai jamais été.

Mais là, merde! D'où elle sort, cette niaiserie?

« Tu n'envisageais pas de me tuer, hier? » plaisante Kid en me repoussant gentiment.

Je me stabilise sur mes coudes et me force à ne pas baisser les yeux. Maintenant que c'est lâché...

« Disons que... les choses ont un peu changé, tu vois. » le taquiné-je maladroitement.

« Tu veux me garder pour recommencer dès que tu en auras envie, c'est ça? »

« Quoi? Non! C'est juste que... »

J'inspire, j'expire. Je suis tellement pas doué pour ça...

« Écoute, je... J'ai des tonnes de trucs à me reprocher. » me lancé-je. « Mais ce qu'on vient de vivre ensemble, c'est... Tu te rends pas compte de l'impact que ça a eu sur moi. J'en ai marre de la haine et de la violence, Kid. Si tu... »

« J'ai tué beaucoup des tiens sur ordre de mon père, tu sais. Comme toi. » m'interrompt-il. « En réalité, sa mort a été une sorte de... soulagement. Bon, je t'avoue que j'aurais préféré ne pas finir seul, mais on ne va pas trop en demander. »

Son rire me fait vibrer de l'intérieur.

« Que les fidèles aillent se faire foutre! » déclamé-je alors. « Je veux tout recommencer... Avec toi. »

« Avec un... vampire, donc? »

« Oui, mais pas que. »

Un silence ému s'installe brièvement avant que je trouve le courage de poursuivre :

« Tu sais ce qu'on devrait faire? Dissoudre définitivement l'Église Astrale, et... »

« E-et? »

« En fait, je... J'y ai pas réfléchi plus que ça. »

« T-tu... souhaites être avec moi? »

« J-je crois que oui. Je veux te connaître et apprendre à t'aimer, tu vois? Juste... panser nos plaies en oubliant le passé. On n'a plus de familles, toi et moi. Alors, Kid... »

Bouche bée, il attend la fin.

« T-tu... veux bien devenir la mienne? »

Ses iris dorés se voilent d'incompréhension. En même temps, ça sort un peu de nulle part, je dois bien l'admettre.

« Tu renoncerais à la quête de tes ancêtres? » murmure-t-il. « Au rang de Pape Astral? »

« Ouais. Carrément. » confirmé-je aussitôt. « On est les uniques survivants du conflit et, si tu acceptes de me laisser une chance, je... »

« Oui. »

« Oui? »

« Oui. C'est oui, Black Star. »

Il se redresse en manquant de m'assommer, puis se jette dans mes bras.

« Je te promets d'apprendre à t'aimer aussi. » me garantit-il. « Je trouverai une solution respectueuse du vivant pour me nourrir. Je... Je t'offrirai l'immortalité. »

Je le serre contre moi.

« Que notre volonté soit faite, Kid. »


______________ ⚰️ ______________


*dédicace à l'ado que j'étais* → T'as vu, on l'a fait! 💜

🔥 ET VIVE LE DEATH THE KID / BLACKSTAR, BORDEL 🔥

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top