N I N E


Une semaine. Cela faisait une semaine que Darcy vivait enfermée dans le laboratoire-observatoire de Tromsø, en colocation forcée avec un dieu supposément maléfique qu'elle avait à peine vu, et c'était ahurissant de constater à quel point ce dernier obnubilait toutes ses pensées. Elle aurait préféré s'en moquer et pouvoir faire comme s'il elle n'en avait rien à faire, mais la vérité était que toute cette situation titillait beaucoup trop sa curiosité pour qu'elle envisage de laisser tomber. Depuis la petite crise d'anémie de Loki, deux jours auparavant, c'était à peine s'il elle avait échangé un regard avec le Dieu.

Il apparaissait de temps à autre, le temps de squatter les douches une dizaine de minutes ou de simplement venir chercher à manger, et retournait s'enfermer dans sa bibliothèque sans daigner lui accorder un coup d'œil. Sa tendance à la menacer et à pousser des gueulantes s'était comme évaporée, et Darcy se retrouvait à communiquer avec un bloc de glace imperméable à toutes ses remarques. Bien sûr dans un premier temps elle avait voulu se montrer coopérative et aussi sympa que possible, compte tenu de son épuisement psychologique à rester enfermée, mais le mépris qui irradiait de lui en toutes circonstances avait fini par la pousser aux hostilités.

En d'autres termes, il se comportait comme un vrai connard. Il faisait comme si elle n'était pas là, l'assassinait du regard lorsqu'il l'a croisait, la toisait chaque fois qu'elle osait lui adresser la parole, et se montrait tout aussi loquace qu'une porte de prison. Darcy ne savait pas d'où était venu ce soudain changement de caractère, mais cela était loin de lui plaire, et elle se mettait très sérieusement à penser qu'elle ne tiendrait jamais plus de trois jours en compagnie d'un abruti de si haut niveau. C'était bien connu, Darcy Lewis détestait qu'on la prenne de haut.

Elle avait donc pris la très raisonnable décision de se montrer aussi mauvaise que possible avec lui, en espérant que ses remarques auraient le mérite de le faire réagir. Elle n'était pas stupide, elle savait qu'il était dangereux, mais elle savait aussi que maintenant il était humain, et que sa survie dépendant de la sienne. Il ne pouvait donc pas s'en prendre à elle, et c'était une garantie qui offrait à Darcy la possibilité de se détendre un petit peu lorsqu'il n'était pas dans les environs. Elle devenait vulgaire, autant dans son apparence que dans son comportement ; l'antithèse même de la bienséance. Et ça tombait bien, parce qu'elle n'avait jamais été du genre à se conformer aux attentes de ce type.

Elle était donc tranquillement avachie sur le canapé de la salle de repos, à surfer sur internet avec son téléphone, sans se soucier d'à quel point elle devait avoir l'air pathétique dans ce sweat-shirt ultra large. Depuis qu'elle avait réussi à bidouiller son chargeur pour l'adapter aux prises européenne, et à cracker le code du wifi, elle se sentait revivre. Elle se doutait bien que ses installations ne tiendraient pas très longtemps, mais tenait à en profiter au maximum tant que cela durait, parce que malheureusement pour elle, il n'y avait vraiment rien à faire d'intéressant dans ce foutu labo et elle sentait l'ennui la gagner un peu plus tous les jours.

Bon sang, elle était là depuis une semaine et pourtant avait l'impression que cela faisait une éternité.

Poussant un soupir lasse, elle laissa son regard divaguer à l'extérieur. Le seul vrai avantage de cette pièce était qu'elle recelait le confort minimum du plus misérable studio du monde, mais surtout qu'elle possédait une gigantesque baie vitrée donnant sur la mer. L'observatoire étant éloigné de l'agglomération et perché au sommet d'une falaise, en sortant par cette fenêtre, il n'y avait que deux mètres de terre séparant le bâtiment d'un précipice plongeant sur les remous marins. Il n'y avait rien dehors sinon l'horizon nuageux et des vagues, mais c'était une bouffée d'air frais qui permettait à Darcy de s'évader pour au moins quelques minutes.

Elle fut cependant ramenée à la réalité en entendant la porte d'un placard se refermer, et rencontra avec surprise la silhouette de Loki venant chercher sa collation du jour. Il portait une veste de complet noire se voulant élégante mais de mauvaise qualité sur un t-shirt blanc définitivement trop grand, qui lui donnait pourtant une allure élégante en dépit de leurs conditions de vie. Pendant un instant Darcy se demanda où diable il avait pu dénicher des fringues pareils, quand elle s'était contentée des grandes chemises et des pulls d'hommes, avant de se souvenir des faireparts qu'elle avait aperçus dans certains casiers. Moqueuse, elle se sentit obligée de faire une remarque.

« Tiens Cerveau givré, ça faisait un bail ! T'as finalement trouvé la porte de la bibliothèque ? »

Loki ne répondit rien, se contenta d'un regard noir, et Darcy put sans difficultés imaginer les insultes à son encontre défiler dans la tête du Jotun. Il s'apprêtait à repartir lorsqu'il repéra Harry Potter à l'école des sorciers sur la table du coin cuisine, et y jeta un coup d'œil intéressé. Comme si elle n'était pas là, il ramassa le livre et reprit son chemin en direction de la porte.

Fronçant les sourcils, Darcy se redressa.

« Merci Batman, ça me fait plaisir de voir que tu me demande l'autorisation avant de piquer mes affaires »

Loki l'ignora royalement, et quitta la pièce.

« Dites moi que je rêve... » murmura la jeune femme entre ses dents.

Se levant, elle enfonça son béret bordeaux sur sa tête et remonta ses étroites lunettes rouges sur son nez avant de le suivre dans le couloir.

« Eh, tête de glaçon ! Tu pourrais ne pas m'ignorer quand je te parle ? »

Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle lui aurait couru après et lui aurait bien fait tâter de son caractère. Mais son téléphone se mettait à sonner, et Darcy n'avait vraiment pas la foi de se frotter à l'irritabilité du dieu maintenant. Elle garderait ça pour plus tard.

Retournant à la salle de repos, elle chopa son téléphone avant la dernière sonnerie et décrocha, s'affalant sur le canapé avec un soupir agacé. Au bout du fil, Jane esquissa un sourire compatissant.

« Tout va bien, Darcy ? »

« Hmm... Tout roule excepté que Loki est un vrai trou de cul à qui j'en mettrais bien quelques unes, si tu vois ce que je veux dire... »

Jane tiqua. Darcy était plutôt du genre vicieuse en général, toujours pleine de sarcasmes et de repartie, et l'astrophysicienne devinait que son amie commençait en avoir sérieusement marre en l'écoutant jour après jour lui répéter la même chose.

« Je comprends que tu sois à bout Darcy, mais ne prends pas le risque de t'en prendre à lui. Qui sait ce dont il est capable, même sans pouvoirs... »

Darcy grogna.

« Je sais, Jane, je sais. Alors, des nouvelles de l'extérieur ? Tu campes toujours dehors ? »

« La journée seulement. Thor m'a forcé à trouver un hôtel après que ma tente ait pris feu accidentellement »

« Accidentellement ? Tu veux pas plutôt dire que tu y a mis le feu en oubliant que tu te préparais à manger ? Parce que ce serait pas la première fois que ça arrive, entre nous. Tu te rappelle de l'incident du toasteur ? »

À l'autre bout du fil Jane devint rouge tomate, et Darcy le devina à son silence gêné. Passant une main lasse sur ses sinus, mais esquissant pourtant un sourire, Darcy se sentit obligée de lui faire la morale.

« Tu te surmène trop Jane »

« Mais il faut bien qu'on te fasse sortir de là et— »

« Jane. Je sais très bien que t'es un génie et tout ça, mais là c'est clairement pas de ton ressors. C'est pas avec tes accélérateurs à particules et tes équations que tu vas faire craquer une malédiction divine lancée par Jesus ou je ne sais qui, tu n'y peux rien du tout »

« Odin » corrigea Jane d'une petite voix « c'est juste que je ne supporte pas de te savoir seule avec... »

« Le Dieu psychopathe ? »

« Ouais... »

Darcy haussa les épaules avec nonchalance.

« Crois moi, tu le trouveras moins dangereux quand tu verras la tronche qu'il tire devant une spatule de cuisine »

« Tu agis trop naturellement Darcy... »

Darcy leva Les yeux au ciel, sérieusement agacée.

« Pour l'amour du Christ, Jane, je sais ! Je sais que je ne peux pas lui faire confiance, je ne suis pas idiote au point de me jeter dans la gueule du lion la tête la première ! »

Gardant le silence un instant, Jane finit tout simplement par étouffer ses marmonnements dans ses bras.

« Je sais, tu as raison... je suis désolée, je suis juste fatiguée, je ferme à peine l'œil depuis une semaine et maintenant que le SHIELD veut débarquer, je me sens complètement dépassée par les événements... »

Darcy compatissait. Après tout, elle connaissait la nature anxieuse de Jane, et elle savait que coupler de l'inquiétude avec son infernal mode sciences était la pire idée du monde. Déjà qu'elle était capable de sauter trois repas et d'oublier de dormir lorsqu'elle était concentrée sur ses calculs, si en plus elle se mettait à paniquer pour elle au point de s'en trouer les neurones, elle finirait tout simplement par faire un burn-out. La dernière fois que c'était arrivée c'était lorsque Thor était reparti, et Darcy ne voulait pour rien au monde que cela ne recommence. Elle se fit donc la promesse de faire croire à Jane que tout allait merveilleusement bien à l'intérieur, quand bien même les choses tourneraient mal à un moment ou un autre.

Elle lui devait bien ça, après tout ce que l'astrophysicienne avait fait pour elle (même si Jane lui devait quand même une fière chandelle pour l'avoir empêché de mettre fin à ses jours malencontreusement de façon quotidienne. Avec elle, griller un toast relevait vraiment d'un défi Koh-Lanta)

« Écoute Jane, tout va très bien, je te le promet. Maintenant arrête de t'inquiéter, et prends quelques jours pour te reposer. Aucun de nous n'ira nulle part de toute façon, et tu sais aussi bien que moi que Loki ne peut pas me faire de mal »

Le silence lui répondit, le genre de silence très caractéristique d'une Jane convaincue.

« Bon...je te fais confiance Lewis. Mais au moindre truc tu me téléphone »

« Promis Foster. Je vais raccrocher, ma batterie me lâche »

Jane la salua comme on dirait au revoir à un soldat partant au front, et lorsque Darcy mit fin à la communication, le silence mortuaire qui régnait dans l'observatoire eut vite fait de lui saper le moral. Le temps s'était obscurci au dehors, et l'orage grondait, comme pour lui rappelait que sa vie prenait le même tournant qu'un navire en pleine tempête. Un frisson la parcourut, et la jeune femme se leva, enroulant le plaid en laine qui traînait sur l'accoudoir autour de ses épaules, avant de quitter la salle.

Elle avait juste envie d'aller dormir, et d'espérer qu'à son réveil tout cela n'aurait été qu'un cauchemar. Une fois de plus.

Parce qu'elle sentait qu'elle en aurait encore pour un très long moment...

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