E I G H T
La première chose qui vint à l'esprit de Loki lorsqu'il reprit connaissance, c'était qu'il avait vraiment froid. La seconde se matérialisa sous la forme d'une migraine tambourinant contre ses tempes, et d'un fourmillement désagréable à travers tout son corps. La dernière, qu'il constata seulement après avoir réussi à ouvrir les yeux, fut qu'il était complètement nu.
Pourquoi diable était-il nu ?
Non sans difficulté, il se redressa, et massa sa mâchoire avec un râle mécontent. Il était allongé en plein milieu du couloir, seulement couvert par un torchon, et se sentait dévoré par des termites imaginaires, un grand trou noir ayant avalé ses derniers souvenirs. Tout ce dont il se rappelait était de son reflet dans le miroir de cette crasseuse salle d'eau midgardienne, et d'un éclat lumineux le paralysant tout entier. Il ne lui fallut qu'une seconde de plus pour en déduire les événements, et un monstre de colère rugit au fond de ses viscères à en faire trembler ses mains. S'il avait encore eu ses pouvoirs, qui sait les dégâts qu'il aurait pu causer par un simple cri enragé. Mais sa magie n'était plus là, plus complètement, et la seule solution à court terme qu'il trouva pour extérioriser cela fut de planter son poing dans le mur.
Darcy, depuis la salle de repos où elle s'était réfugiée dans tous ses états une dizaine de minutes plus tôt, sursauta en entendant le vacarme provenant du couloir. En une seconde elle avait attrapée la première chose qui lui était tombée sur la main, et le balança à l'aveugle dans le couloir avant de claquer la porte et de la verrouiller. Loki, stupéfait, esquiva la cuillère en bois d'un pas et sentit son sang bouillir dans ses veines. Il était un Dieu, bon sang ! Tambourinant à grand renfort de poings contre la porte, il se mit à hurler des insanités divines comme un diable, ce que Darcy ignora superbement.
« TU AS ENCORE USÉ DE TON OBJET MALÉFIQUE SUR MOI ! » s'égosilla-t-il, et sentant un malaise palpable l'engourdir, Darcy serra son taser contre sa poitrine, le regard résolument fixé sur la poignée.
« C'est ta faute, espèce de malade ! On vous élève comme des nudistes à Asgard ? Où t'as vu qu'on se baladait nu comme ça, sérieux !? »
Loki, donnant un coup si violent dans la porte que Darcy craignit que celle-ci ne sorte de ses gonds, sentait presque ses cheveux sales se redresser sur son crâne.
« Vermine mortelle... je suis un DIEU ! Tu vas regretter ton geste jusqu'à l-...»
La suite de sa menace fut avalée lorsqu'il sentit la première goutte de sang s'échouer sur ses lèvres, et son goût métallique iriser sa peau. Se redressant, il passa ses doigts sous son nez, et regarda la trace d'hémoglobine avec curiosité. Soudain la voix de Thor refaisait surface dans son esprit, plus méprisable encore qu'elle ne l'avait jamais été.
Ne pense même pas à la menacer... Si tu la touche, tu mourras.
Et ce satané sortilège montrait enfin ses différents visages, confirmant toutes les affirmations que Thor avait formulées jusqu'à présent. Loki ne saignait pas par hasard, il saignait parce que pendant une seconde, il aurait été vraiment capable d'étrangler l'humaine à mains nues, tant la rage qui s'accumulait au fond de lui était poussée à exploser au contact de cette mortelle. Mais Loki connaissait les limites, désormais. Il ne les connaissait que trop bien.
Donnant un dernier coup rageur dans la porte, qui n'eut pour mérite que de lui arracher un souffle coléreux, il fit volte face et traversa le couloir en sens inverse. À chaque pas il maudit Odin, Thor, Frigga, Asgard et Yggdrasil tout entier, avant de s'effacer par la première porte sur sa droite. Il était un dieu, et cet affront envers lui ne resterait certainement pas impuni. Il le jura sur la couronne de Jotunheim.
Une seconde plus tard, la porte des douches communes claquait à en faire trembler le bâtiment, et Darcy s'autorisait enfin à expirer tout l'air qu'elle contenait dans ses poumons depuis plus d'une minute. Lentement, son regard descendit vers son fidèle Taser, et elle soupira en se laissant tomber sur la chaise. Plus que deux recharges à dispositions.
Et dire qu'ils n'étaient là que depuis quatre jours...
Ça promet !
~•~
Loki, de son côté, dépensa tout le temps qu'il passa à se laver (c'est à dire plus d'une heure et demie) en réflexions et à apaiser ses nerfs irrités. Plus il y réfléchissait, et plus il se rendait compte que son plan n'avait aucune chance d'aboutir, et que l'idée que son évasion se ferait aussi facilement tenait plus de la chimère que de l'opportunité. Il n'arriverait jamais à s'immiscer dans la vie de la mortelle suffisamment pour la détruire de l'intérieur, tout simplement parce qu'il la trouvait insupportable. Elle avait le don inouï de le pousser vers la rage d'un simple mot, et il savait que cette capacité à faire ressortir ses pires tares rendait tout contact impossible. Il ne pouvait pas non plus lui faire peur, pas suffisamment en tout cas pour forcer Odin à la faire sortir d'ici, ni la prendre en otage ou tenter de la blesser.
La malédiction qu'Odin avait lancé sur lui (puisqu'il refusait d'envisager que Frigga soit devenue si vicieuse à son égard) commençait enfin à dévoiler tous ses aspects, et cela était très loin de ravir le Jotun. En plus d'être confiné sur Midgard et réduit à la condition humaine, sa vie se retrouvait inexorablement liée à celle de la terrienne qui partageait son oxygen. Si le sang se mettait à couler de son nez lorsqu'il pensait à la menacer, alors c'était la mort qu'il risquait en s'en prenant à elle. Et une vie d'insecte n'était pas un sacrifice suffisant pour la sienne, et certainement pas pour son honneur. Il allait devoir trouver autre chose.
Baissant lentement les yeux vers son armure échouée sur le sol carrelé, il plissa les paupières, et fit glisser son regard jusqu'à la pochette contenant les vêtements midgardiens qu'il avait à disposition. Il avait passé tellement de temps à se fixer dans le blanc des yeux, face à son reflet dans le miroir, que tout son corps avait eu le temps de sécher sans qu'il n'ait rien eu d'autre à faire que de rester immobile. Les balafres sur son visages s'étaient estompées, les larges ecchymoses sur son torse avaient foncé, et passaient d'un bleu violacé à un jaune verdissant, tachetant son épiderme d'éclats glauques. Il guérissait plus lentement, pâtissait encore des dégâts qu'on lui avait infligés à New-York, et sentait qu'il en aurait encore pour un bon bout de temps avant que la tendance ne s'inverse.
Et c'était bien connu, Loki n'était pas doué pour attendre après autre chose que la destruction.
Un brin agacé, le Jotun enfila les vêtements sans même accorder la moindre importance à leur aspect, et quitta la pièce, abandonnant son armure cabossée derrière lui. Une minute plus tard il avait gravis les escaliers et s'était cadenassé dans la bibliothèque, ne partageant sa compagnie qu'avec les astres ouverts au télescope et les étagères de livres. Il optait pour le silence, se transformait en roc. Il sentait que le choix ne lui appartenait plus, et qu'il allait devoir passer une éternité coincé entre ces quatre murs. Tant pis s'il y passait le restant de sa vie, maintenant qu'elle n'était plus qu'un clignement de cil. Il laisserait les années s'écouler.
Après tout, Odin finirait forcément par se manifester.
Une heure plus tard, Darcy, qui avait trouvé le courage de s'aventurer à l'étage malgré les événements récents, déposa un bol de céréales au pied de la porte de la bibliothèque, en prenant soin de laisser juste à côté la brique de lait entamée et l'une des six boîtes de cornflakes qu'elle avait dénichées dans les placards. Elle ne tenait pas à ce que son colocataire particulier lui refasse le coup de la sous-alimentation, mais ne tenait pas vraiment non plus à avoir une vraie conversation avec lui pour le moment. Elle frissonna. Des images déconcertantes de sa nudité semblaient être gravées dans sa mémoire, de façon permanente. La jeune femme se contenta donc de frapper un coup hésitant contre le mur, et se pencher vers la serrure.
« Je t'ai laissé à manger devant la porte cerveau givré. Et si tu sors tout nu encore une fois, je te tase les couilles sans la moindre hésitation. Juste pour que tu le sache »
Aussitôt que sa phrase fut terminée, elle quitta l'étage, et se planqua dans les escaliers simplement pour voir combien de temps il mettrait à ouvrir la porte. Et lorsque Loki se décida finalement à sortir de sa tanière, le regard qu'il posa sur son repas du soir fut l'un des plus hilarants que la brune n'avait jamais vu. Son expression fut d'ailleurs si mémorable que Darcy fut obligée de se mordre le poing pour ne pas éclater de rire.
Voilà une histoire qui va plaire à Jane...
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