Tyrannie de l'horloge

La marche du temps, quelle affliction ! Inhumaine est notre condition ; mais la condition humaine, elle, demeure. Qu'advient-il lorsqu'on meurt ? Les morts ne racontent pas d'histoire, et ils se targuent d'en garder le secret.

Paupières closes, ils sont paisibles : que voient-ils donc ? Rien qui n'attire la prose des carcasses miscibles. Retourner à la terre, quelle idée ! Pour mieux se terrer avec leurs odes, les morts font de vieux os. Dans leur joli linceul, il fait si noir ! Pourtant, les sanglots sont muets.

La vie s'étend, encore, l'étang des âmes toujours change d'eau, tous se reflètent dans son flot ; qu'il est limpide ! L'encrier se vide, et bientôt, la page blanchit. Qu'est-ce que la mort, sinon la fin d'un récit ? Tous ces récits perdus dont le souvenir s'efface et disparaît dans l'abysse obscure des esprits qu'on oublie. Les morts s'égarent dans les ténèbres ; comme leur mémoire, quelle plaie !

Einstein disait : "Le temps est relatif !" Puisqu'il en est ainsi, l'Homme est relatif. Il n'est pas être, il est effervescence. Un médicament à la solitude de l'Univers ; de l'éphémère, il est l'émolument. Sans lui, tout est rien. Lorsqu'on périt, une étoile s'éteint : pourquoi ? Une vie perdue est un monde fichu - qu'on impute ce crime au solipsisme ! -, et le ciel nocturne en pleure. Vénus s'est laissé choir ; mais il en a trop vu sous sa volute pour s'en vanter.

Les heures, vous dîtes ? Minute. Compter les minutes m'occupe, et je m'occupe pour ne pas avoir à compter les heures. Ah, ça ! Les calendriers me donnent la nausée. Je suis bien lotis en grégorien, puisque si je me rends à Riyad ou à Pékin, je gagne quelques années ! Mais, immobile, je vieillis toujours. Je me ride, je me rouille, je m'oxyde ! Chaque respiration me condamne un peu plus. Demain, mon visage ne sera plus le mien ; et alors, celui d'hier me paraîtra lointain. L'impression de n'avoir jamais été et que je serai toujours ; pourtant je sais ce qui m'attend.

Je flotte dans ce monde flottant ; chez les samouraïs, on dit que vivre, c'est mourir ; moi je dis que mourir, ce n'est pas vivre. Thanatos me juge du coin de l'œil et Cronos a mangé ses enfants. Ne peut-on voir que l'Homme est son dîner ?

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Tags: #poésie