Chapitre 9

                                                           NICO

    Une heure plus tard, montre en main, je repartis vers la cuisine. Il s'affairait, concentré autour du plan de travail. Des effluves de viande grillée embaumaient la pièce quand je passai la tête par l'entrebâillement de la porte. Une salade, digne d'une famille de vingt lapins, et un plat contenant des côtes de bœuf étaient posés sur le comptoir. Il se pencha pour ouvrir le four et en sortit ce qui ressemblait à une tarte aux pommes avec les bords plutôt cramés qu'il lâcha sur la gazinière en grimaçant.

    Je n'en avais pas demandé autant... Ou peut-être que si, tout compte fait.

    Ce jeune homme m'interpellait. Cela allait même au-delà de ça, il me subjuguait. Il était habillé comme un SDF, mais portait ses vêtements défraîchis comme un prince. Son visage était d'une beauté que j'avais rarement vue chez un homme, à part dans les magazines qui traînaient chez les dentistes. Mais c'étaient surtout ses répliques et son air déterminé qui m'intriguaient. Je n'aurai pas hésité une seconde à le virer de chez moi après avoir percé deux bâches, mais il n'attendait que ça, et quelque chose d'inexplicable m'avait retenu.

    Il m'amusait et cette façon qu'il avait de répondre sans baisser les yeux...

    Je l'admirais. Oui, c'était ça, de l'admiration.

    Peut-être que le repas serait mauvais, vu la fatigue qui semblait peser comme une chape de plomb sur ses épaules, mais après tout, il n'avait pas promis que ce serait bon.

— Cela fait une heure, je lançai en entrant dans la pièce. Le dîner est prêt ou je dois y mettre les mains ?

— Mettre les mains où ? répondit-il en se retournant d'un air alarmé. Manquait plus que ça !

    Son visage se renfrogna aussitôt.

— Pas sur toi, ne t'inquiète pas ! m'esclaffai-je avec entrain. Je vois que c'est prêt !

    Je jetai un coup d'œil sur le repas et piochai un morceau de tomate avec les doigts dans le saladier.

— Quand je dis quelque chose, je tiens parole, m'avertit-il en secouant un doigt devant lui. Maintenant, fais quelque chose d'utile et emmène tout ça à l'endroit où tu comptes dîner avec tes invités.

    Et en plus il me donnait des ordres. Je me mordis la joue pour ne pas éclater de rire.

— Moi ? Je demandai en me désignant d'un air épouvanté, comme s'il venait de dire une folie.

— Non, le voisin, rétorqua-t-il avec ironie. Évidemment ! tu ne prétends tout de même pas que je vous serve !

— Mais si ! Je vais payer cher pour ça !

— Tu as un problème de surdité, pas vrai ?

— Mes oreilles fonctionnent très bien, merci, répondis-je en croisant les bras tout en m'appuyant contre la table.

— Alors c'est pire que je ne le pensais, tu es dur à la comprenette.

    J'éclatai de rire. Je commençais à dépasser les limites de mes forces pour aujourd'hui, et j'optai pour ne plus discuter et céder à moitié.

                                                                                    JUSTIN

   Tout en échange d'une douche et d'un lit...

   J'avais mangé une tomate et un œuf dur que j'avais préparé à part avec un morceau de pain et j'étais repu.

— Nous emmenons ça tous les deux et c'est tout, je proposai. Après vous vous servez et vous ramassez !

—C'est de bonne guerre, concéda-t-il avec un sourire en coin.

— Alléluia, il y a encore de l'espoir pour toi, j'ironisai en prenant le saladier.

—N'y crois pas trop...

    Alors que j'emboîtais ses pas, je ne cessai de l'admirer. Pour deux raisons. La première, pour la facilité avec laquelle il leva le plat de viande qui pesait un âne mort d'une seule main. La seconde, et celle qui m'énerva le plus, parce que ce type était un monument de testostérone...

— Tu vas continuer à mater mon cul ? demanda-t-il brusquement sans se retourner.

—Pour commencer, je ne regardais pas ton cul, ou du moins, pas exclusivement. En plus, ce n'est pas de ma faute si tu es tellement grand qu'il tombe presque pile devant mes yeux.

    J'essayais de me justifier tant bien que mal.

— Je crois que la plupart de la population ici, ce soir, est plus grande que toi au cas où tu ne l'aurais pas remarqué !

— Tu es conscient que tu vas manger ce que j'ai cuisiné, hein ? Je l'avertis.

— Ne me le rappelle pas !

    Nous entrâmes dans la salle à manger. Je ne me retins pas de siffler en voyant la déco. Je voulais juste l'embêter, parce que dans mes souvenirs, la maison que j'allais habiter était bien pire que celle-ci.

    Autant d'argent et si mauvais goût, mon dieu... !

— Un problème ?

— Pour moi non, répondis-je en posant la salade sur la table.

    Je constatai avec plaisir que Tic et Toc avaient dressé le couvert... pour quatre.

— Il y a un autre invité ? je demandai à Lionel.

— Non, pourquoi ?

— Parce que vous êtes l'équivalent de deux personnes chacun, mais ça ne justifie pas quatre assiettes quand il n'y a que trois bouches à nourrir.

    Devant ma constatation, les deux mastodontes éclatèrent de rire.

— Tu nous plais toi, dit-il avec sincérité. Il n'y a personne d'autre. Nous pensions que tu nous ferais l'honneur de dîner avec nous et nous en raconter un peu plus sur toi. Ce que tu fais avec les animaux, surtout.

— Quelqu'un a pensé qu'ici c'était chez moi ? L'interrompit l'autre nigaud.

— Allez patron, ne me condamne pas à ma triste solitude, ajouta Lionel d'un air théâtral.

— Depuis quand trois personnes ensemble sont dans la solitude, répondit l'autre.

— Depuis que toi et Sylvain parlez de vos affaires pendant les repas, affirma Lionel

— Il a raison concéda Sylvain.

— Votre opinion ne compte pas répondit Nico.

— Ni la tienne, je murmurai, provoquant que trois paires de sourcils froncés se tournent vers moi. Je vous remercie pour la proposition, mais je suis crevé, j'ai marché longtemps hier et je n'ai pas dormi depuis plus de vingt heures. Je veux juste prendre une douche et me reposer, si possible. Je regrette, mais merci beaucoup.

— Oh, nous ne savions pas, lança Sylvain avec regret.

— Et toi, pourquoi fais-tu travailler ce gamin après ce voyage ? demanda Lionel en s'adressant à Nico.

— Et comment voulais-tu que je le sache, hein ? se défendit-il en se décalant de la cheminée contre laquelle il était appuyé.

En l'entendant, je lançai des flammes par les yeux.

— Je sais pas... j'arrivais peut-être d'ailleurs. Ta chienne et mon sac à dos auraient dû te donner une piste. Ou peut-être que par ici, vous avez l'habitude d'apporter un bagage avec vous pour acheter du pain ? Je balançai en croisant les bras sur ma poitrine.

— Tu sais, ça fait à peine une heure et demie que je te connais, et j'ai déjà mal à la tête. Allez, assieds-toi et mange avant d'aller te reposer, je plaisantais.

— Non, merci. Dis-moi ou je peux dormir et crois-moi, nous en serons soulagés tous les deux pendant douze heures, au moins.

— Choisis la chambre que tu veux, elles sont toutes en haut, répondit-il d'un ton exaspéré.

Sans réfléchir, après avoir dit au revoir à ses deux invités, et un bonsoir au patron, je récupérai mon sac à dos que Jean-Pierre avait posé dans l'entrée et je montai les escaliers comme un chien de chasse à la recherche d'un lièvre.

    À la merde les formalités ! Il me fallait un lit tout de suite !

    La première chambre était fermée. À l'intérieur, j'entendis la voix du vieil homme qui riait et les jappements de Zoé. Je filai jusqu'au fond du couloir et poussai la seule porte qui était entrouverte. Il me suffit de voir le lit énorme qui trônait dans la pièce pour que je me jette dessus en faisant la planche, me défaisant de mes vêtements et de mes chaussures le plus vite possible.
Je crois que je dormais déjà.

    Quel bonheur ! J'étais tellement épuisé que j'étais incapable de me relever pour prendre une douche.

    Le lit était juste parfait, le matelas comme j'aimais, et ça sentait bon...

    Je murmurai, en me recroquevillant de plus en plus sous les draps. Là, je devais reconnaître que l'hystérique s'y connaissait en literie. La déco de la maison était un désastre, mais pour choisir les matelas...

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