Chapitre 47 ÉPILOGUE
L'ÉTÉ DE MA VIE.
NICO
J'ai toujours cru que le bonheur complet n'existait pas. Que nous devions nous satisfaire d'une succession de moments heureux, entrecoupés de routines et de quelques moments un peu plus médiocres. Je croyais aussi que quand on vivait un moment spécial et particulier dans notre vie, nous n'en étions réellement conscients que plus tard, quand des années s'étaient écoulées et que nous nous souvenions avec nostalgie de temps meilleurs. Il ne m'aura fallu que huit mois pour que ces idées s'envolent.
Le bonheur complet existe. Je le vis à chaque instant.
Juin arriva dans le Gers, chaud et par surprise. En à peine quelques jours, nous étions passés d'un printemps maussade et frais à une chaleur insupportable qui me fit regretter de ne pas avoir la clim dans la maison. Et au milieu de ce changement brusque de saison, il y avait lui. Lui et moi. Comme un couple bizarre, dysfonctionnel et difficile à comprendre pour les autres, mais qui pour nous s'emboîtait comme les deux pièces d'un même puzzle.
Deux hommes qui sans le savoir avaient passé leur vie à se chercher.
Juillet s'écoula entre travail et sorties. Justin passait par-dessus tout. À mes yeux, il n'existait que lui, comme s'il était le seul homme de la planète.
Si les saisonniers ou Jean Pierre ne se rendaient pas compte qu'à la moindre occasion je m'esquivais pour le rejoindre, c'est parce qu'ils ne voulaient pas le voir. Peut-être parce qu'ils pensaient que nos différences physiques et de caractère ne nous mèneraient pas bien loin. Et pourtant, ils avaient tort. Jamais je n'avais été aussi certain d'être avec l'homme qui remplirait ma vie. Il était tombé comme un cheveu sur la soupe. Un ouragan qui avait balayé sur son passage toutes les peurs et les réticences idiotes de Nico Barjac.
Le dimanche, nous partions à Toulouse comme deux touristes. Ou plutôt, comme s'il était le touriste et moi le guide qui lui montrait chaque recoin de la ville rose.
On dormait peu. On souriait beaucoup, s'embrassant comme deux adolescents bien cachés dans des recoins ou personne ne pouvait les voir. Pas par peur, mais simplement parce que notre vie privée n'appartenait qu'à nous.
Nous nous embrassions sans retenue parce qu'il nous était impossible de nous retenir. C'était simple.
En août, une vague de canicule s'abattit sur plusieurs départements. J'arrosais mes champs plusieurs fois par jour, ce qui m'obligeait à surveiller les culture de près et à disposer de moins de temps pour Justin.
Si le temps changeait et tournait à la pluie et aux orages, les maladies attaqueraient les cultures.
Je pensais qu'il se passerait beaucoup de temps avant que Justin ne se sente à l'aise pour se promener nu devant moi. Que chaque jour, il y aurait peut-être un petit progrès de plus. Mais non, il s'était lâché tout de suite après avoir maintenu cette cicatrice cachée tant d'années. Comme un enfant incapable de se défaire des petites roues de son vélo et qui, subitement, avait compris qu'il pouvait pédaler sans aide et sans tomber.
Je lui rappelais constamment qu'aucune partie de lui ne pouvait ne pas me plaire.
J'avais de la compassion pour ce qu'il avait subi. Comment ne pas ressentir de l'empathie pour les victimes de ces agressions gratuites et écœurantes. Néanmoins, avec Justin, mieux valait ne rien montrer. Il était bien capable de mal interpréter ma peine et de croire que c'était de la pitié.
Au milieu de tout ça, il y avait nos moments tendres, aussi tendres que peuvent les vivre deux personnes qui ont enfin ouvert la vanne pour laisser entrer l'autre. Pour comprendre que nous avions l'air très différents, mais qu'au fond, nous étions très semblables.
Il y avait eu des doutes aussi, au début.
Lui, par méfiance envers moi, ce que je comprenais. Je faisais mon possible pour lui prouver tous les jours qu'il était unique à mes yeux.
Moi, parce que j'avais renoncé à ma vie de célibataire dans laquelle j'étais bien encore à trente-sept ans.
- Salut, mon cœur.
Justin sortit de la salle de bains, encore mouillé, avec une simple serviette ceinte autour de ses hanches minces. Cette simple vision me rappela les instants plus tôt.
- À quoi tu penses ? me demanda-t-il d'un air inquiet.
- À toi. À moi. À nous.
- Et quelle est ta conclusion ?
- Je crois que je vais mourir demain quand je vais retourner au travail.
- Oui, mais nous avons encore tout le dimanche pour profiter. Et demain, je serais là, me dit-il avec un sourire suffisant.
- Oui, c'est vrai.
J'agrippai un pan de la serviette et l'obligeai à s'asseoir sur mes genoux.
- Qu'est-ce que tu veux faire cet après-midi ? Lui demandai-je.
- Rester au lit est une option ?
- Tout dépend des extras que ça inclue.
Nous faisions l'amour pendant des heures. Lentement parfois, tendrement, pour nous savourer. À d'autres, c'était dur et cru, avec ses dents plantées dans mon cou et mes ongles laissant des sillons sur la peau de son dos.
Avec le cœur sur un plateau, prêt à ce que l'autre le brise s'il le voulait, mais certains qu'aucun de nous ne le ferait.
- Je peux te demander quelque chose, me dit-il en passant ses doigts sur la courbe de mon menton.
- Si c'est un truc sexuel, tu dois me trouver un défibrillateur avant, répondis-je en souriant.
- Je parle sérieusement.
Et c'était vrai, parce que son expression était imperturbable.
- Dis-moi.
- Au grand jamais je ne veux que tu sois avec moi par pitié. C'est compris ?
Je soupirai. Ses doutes revenaient de temps en temps.
- Pitié ? Je ne crois pas que tu aies besoin de ma pitié ni de celle de personne. Je me calai contre sa poitrine et lui donnai un baiser rapide. Je t'aime, c'est aussi simple que ça, Justin.
***
Il était plus de dix-neuf heures quand je rentrai à la maison à pied. Le thermomètre ne baissait pas en dessous de 30 degrés.
Je poussai mes pas, profitant du peu d'ombre que m'offraient les chênes qui bordaient le chemin. Et quand je levai en l'air mon portable à la recherche de réseau pour voir s'il m'avait appelé, j'entendis son rire derrière moi, mélangé aux mille sons qu'offrait la campagne, mais si propre à lui.
Ainsi allait notre vie depuis que nous nous étions installés ensemble chez mon grand-père en attendant que sa maison soit réhabilitée. Avec un rythme infernal pour moi dans l'exploitation, et le calme, enfin, quand la nuit commençait à tomber et que les tracteurs étaient rangés dans le hangar avant de me poser.
Il se mit à courir pour me rattraper.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je suis allé jusqu'au silo, mais tu étais déjà parti. Je suis venu à ta rencontre. Tu n'es pas content de me voir ?
Je le serrai contre moi, l'embrassai et défis le bun qu'il avait sur le haut de sa tête. Il se coiffait n'importe comment la plupart du temps.
- Nous ne partirons jamais d'ici, me dit-il en regardant les alentours. C'est tellement beau la campagne.
- Tu as raison. Mais peut-être que dans quelques années nous aurons besoin de commodités, qui sait ?
Il hocha la tête en souriant.
- Tant qu'on sera tous les deux, peu importe.
Justin travaillait dans un cabinet vétérinaire d'Auch, mais c'était un contrat précaire. Ça n'avait pas d'importance, il allait enfin se dédier à sa passion. Nous avions agrandi l'écurie en cassant le mur qui séparait les box de l'ancienne étable des vaches. Quand les travaux de la maison seraient terminés, il pourrait accueillir plus de chevaux en pension et se mettre à son compte. Il avait déjà reçu pas mal de demandes, Alain Floissac et Julien lui avaient fait une belle publicité avec Tempête qui avait rejoint son propriétaire.
Julien s'était installé avec Jordan à Lyon et d'après son père, il avait rencontré une femme avec laquelle il semblait heureux.
Tant mieux pour lui.
Cet hiver, nous allions boucler nos valises et partir dans le Montana un mois entier.
- C'est pas trop risqué l'avion ? Demandai-je pour la centième fois.
- Si, très, mais mourir en communauté, je trouve ça sympa, pas toi ?
- Justin !
Lester Prescott nous avait invités dans son ranch et Justin voulait apprendre un peu mieux ses techniques. J'en profiterais pour voir son élevage de bovins et de chevaux. J'étais pressé de savoir comment travaillaient les agriculteurs américains.
Mais cette histoire d'avion...
- Le bateau c'est plus sûr, non ?
- Non ! T'as peur, Nico ?
- Bien sûr que non !!!
À notre retour, j'accepterais l'offre (devant l'insistance de Justin), d'un petit stade de rugby du coin pour devenir l'entraîneur d'une équipe de filles. Une façon de reprendre avec la pratique du sport qui m'avait tant apporté et enseigner à d'autres ce que j'avais appris durant mes années de joueur professionnel.
Il était là, marchant à mes côtés, avec ce sourire pérenne sur les lèvres qui ne le quittait plus, la peau bronzée et les cheveux avec quelques mèches qui avaient pris un ton plus clair sous le soleil du Sud-Ouest. Quand je repensais à toutes ces années que j'avais passées dans l'obscurité, je me demandais si je devais en pleurer ou en rire. Il m'avait suffi de le rencontrer pour comprendre que ce que je fuyais n'était pas une honte. Si j'avais été aveuglé par la peur de la vie au grand jour, j'avais fini par comprendre que je ne devais pas continuer à oublier la mienne.
- Tu sais que j'adore te voir en short. Mais fais attention, tu vas te faire sucer par les moustiques, lui dis-je en désignant ses bras tout rouges.
- Si je dois me faire sucer, autant que ça ne soit pas les bras, répondit-il en se grattant.
J'éclatai de rire.
Il ne changerait jamais, et pour être honnête, je ne le souhaitais pas. J'aimais trop le Justin que j'avais rencontré devant ma porte un jour de septembre, deux ans plus tôt.
Les débuts n'avaient pas été faciles. Il paraît qu'ils ne le sont jamais. Mais dans notre cas, vivre ensemble huit mois après notre rencontre, tous les deux chargés d'un sac de plomb qui nous pesait sur les épaules, avait compliqué un peu les choses.
Des heures entières d'engueulades suivies des réconciliations d'usage. Pas facile de renoncer à notre parcelle d'indépendance pour céder une part de nous à l'autre et apprendre à cohabiter.
Si je n'étais pas facile, il ne l'était pas non plus.
Nous ne savions pas ce que nous réservait l'avenir. Nous savions simplement que le plus beau que la vie nous avait offert était entre nos mains en entrant l'un dans la vie l'un de l'autre.
Grâce à deux bâches...
Le choc d'être tombé sur quelqu'un qui au premier abord m'avait irrité.
Nous n'oublierons jamais ce que nous étions avant d'en arriver là. Moi je resterais à vie le Nico Barjac destiné à devenir une star du XVI de France et dont le rêve s'était envolé à cause d'une blessure au genou. Quant à Justin, il n'oublierait sans doute jamais non plus le dégoût qu'il avait inspiré un jour à la bande de tarés qui avaient fracassé sa vie en prenant celle de son meilleur ami.
Tant que nous en parlerions, rien ne pourrait nous séparer.
- Rentrons, lui dis-je en repoussant la mèche qui lui barrait le front.
- Oui, me répondit-il dans un soupir.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Regarde ce buisson de ronces, il est tout fleuri. Il va être blindé de mûres. On ira chercher pépé, il doit m'apprendre à faire les confitures, j'adore la confiture de mûres.
- Arrête, il va encore nous réclamer des alouettes à manger !
Pépé, qui se portait toujours comme un charme à quatre-vingt-seize ans. Et qui me recevait les bras ouverts quand je lui rendais visite à la maison de retraite. Il avait fini par prendre ses marques et comprit qu'il avait besoin d'attentions que je n'étais pas apte à lui donner. Il n'acceptait pas que Justin m'accompagne le voir, mais il était bien content de venir passer le week-end avec nous, tant qu'on ne faisait pas des trucs «d'homosexuels», comme il disait, quand il était là.
La bonne blague !
Évidemment, nous lui avions juré qu'il n'avait pas à s'inquiéter de ça...
- Je préfère qu'il demande des alouettes que l'entendre encore pleurnicher au sujet de son bouc.
J'éclatai de rire.
Armand... Parlons-en. Justin lui avait changé le nom quand il s'était aperçu qu'il n'avait aucune chance de remplir les chèvres. Pépé s'était fait avoir en beauté. Il l'avait acheté à des gitans pour trois francs six sous, mais il était castré. Ils s'étaient bien gardés de le lui préciser. Depuis, Justin l'appelait morte-couille.
- Je dois te dire quelque chose, je suis allé voir Jean-Pierre au silo tout à l'heure.
- Et alors ?
- Si tu me jures de ne pas gueuler, je te le dis, sinon je me tais, me lança-t-il, mimant avec ses doigts une fermeture éclair sur la bouche.
Je fronçai les sourcils.
- Je le jure, répondis-je en levant la main, me demandant ce qu'il avait encore fait.
- J'ai voulu essayer le bras... tu sais, celui pour aspirer le maïs dans la benne et... j'ai percé une bâche.
- Quoi ? criai-je.
- Tu vas être encore obligé d'amortir, Nico Barjac ! me lança-t-il en éclatant de rire.
FIN
Petit mot de l'auteur
Eh bien voilà, l'histoire de Justin et Nico, pour le 2ème défi proposé par quark30 est terminée.
Après des heures et des heures d'écriture. Après avoir perdu plus de 20 000 mots en cours de route (merci à mon ordinateur qui m'a lâché avant d'enregistrer mon dossier 😁), et quelques galères qui sont venues se greffer en plus, le mot FIN est enfin posé.
Je remercie quark30 pour les beaux sujets proposés. Dominique Manzocco, pour son implication et les corrections, et les membres du jury, pour leur implication et leur lecture.
Merci pour tout ce travail.😘
À tous ceux et celles qui m'ont lu, merci infiniment pour l'intérêt que vous avez témoigné à Justin et à Nico. Pour vos commentaires qui m'ont permis d'avancer et vos votes.
Que ferait un auteur sans ses lecteurs ? Rien. 😊😘
Désolée de vous avoir fait râler parfois. Je ne sais pas écrire une histoire sans y ajouter un évènement douloureux. Tout simplement, parce que l'homophobie est partout et devient de plus en plus violente.
C'est ma façon à moi de la dénoncer. Je ne veux pas me voiler la face.
Merci encore à tous ❤️❤️❤️😘
Et à bientôt.
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