Chapitre 4

                                            NICO

— Comment comptes-tu faire avec pépé ? Me demanda Monique en bouclant sa valise. Je ne peux pas t'aider, il refuse de venir s'installer chez moi !

    Ma sœur était venue passer trois jours à la maison pour essayer de le convaincre de s'installer chez elle quelque temps. Rudolf son mari, leur fille Lily qui n'avaient pas pu l'accompagner et son travail l'attendaient en Alsace.

— Trouver quelqu'un d'autre ?

— Ça va être compliqué, il est insupportable !

— Je verrai bien. Entre lui et la difficulté pour trouver du personnel qui n'a pas peur de transpirer et de se salir les mains, je suis au bout du rouleau.

— Écoute, il ne veut pas aller en maison de retraite et je sais que tu refuses de l'y obliger, mais tu dois lever le pied. Tu n'as même plus le sport pour te changer les idées !

    Je regardai ma sœur filer vers la cuisine en haussant les épaules. J'avais arrêté de jouer au rugby après une blessure qui m'avait conduit droit à l'hôpital. Mes genoux ne supporteraient pas une lésion supplémentaire. Et peut-être aussi parce que j'étais trop vieux. Il fallait laisser la place aux jeunes. Je faisais toujours partie du comité directeur qui gérait les équipes d'adolescents. J'assistais aux réunions, je m'occupais des sélections et allais voir les matches le dimanche quand mon travail me le permettait. Les petits étaient très bien placés au niveau régional.

    Le rugby avait été toute ma vie. J'adorais retrouver l'ambiance festive du club. Cela me maintenait loin de ma routine et de mes soucis quand j'en avais le temps. Mais il était hors de question de faire passer mon grand-père en dernier. Cela faisait des années que je n'étais pas parti en vacances, je ne savais même plus ce qu'était prendre une semaine entière de repos. J'y songeais encore moins depuis que pépé était patraque. Lui qui avait toujours été fort comme un roc, se calfeutrait dans sa chambre de laquelle il refusait de sortir. Une dépression de vieux comme disait Marcel, le médecin du village qui exerçait toujours à 74 ans faute de remplaçant.

    Cette ferme était dans notre famille depuis quatre générations. Elle avait appartenu à mon père qui la tenait de mon grand-père qui l'avait héritée du sien. Une vie de paysans au tout début. Il me racontait, qu'autrefois, pour améliorer l'ordinaire, ma grand-mère faisait des fromages au lait de vache ou de chèvre qu'ils vendaient dans les foires en plus des légumes et des poulets. Les œufs frais, les canards et les oies destinés à leur propre consommation leur avaient assuré des assiettes pleines à table.

    À l'époque, ils étaient presque considérés comme des privilégiés. Mais à quel prix. Un travail harassant. La terre était travaillée à la charrue, tirée par des chevaux ou des bœufs. Une vie harrassante jusqu'à l'achat de leur premier tracteur en 1960. Combien de fois, de son vivant, mon père ricanait, me disant que la nouvelle génération d'agriculteurs n'avait pas à se plaindre quand je rentrais en sueur à la maison après une dure journée de travail.

    Lui, qui dès son plus jeune âge, avait participé pendant les vacances scolaires, comme tous les enfants du coin au fauchage des foins liés manuellement en bottes et qui accompagnait ma grand-mère tous les samedis faire les marchés pour y vendre leurs produits.

    Les tracteurs, aujourd'hui climatisés et équipés de lecteurs CD, avaient remplacé les vieux Massey Fergusson, et faisaient le travail à notre place. Sinon, des exploitations aussi importantes que la mienne n'auraient jamais vu le jour. La grande majorité des producteurs de céréales étaient sociétaires d'une CUMA. Il n'était plus nécessaire d'acheter du matériel hors de prix que je n'utilisais qu'une fois par an. Comme la grosse moissonneuse-batteuse dont je me servais pour les récoltes.

    La culture du maïs et des tournesols me permettait de maintenir l'exploitation sur pied. Les prix s'envolaient après transformation, mais nous n'en étions jamais les véritables bénéficiaires. C'était surtout le silo pour sécher les céréales dans lequel j'avais investi une somme faramineuse qui me faisait gagner de l'argent. La production des 30 hectares d'asperges ne serait pas rentable cette année. J'avais dû stopper le ramassage mi-mai alors que la saison battait son plein. Les saisonniers partaient les uns après les autres. Le travail était trop fatigant. Nous devions ramasser tous les jours pour éviter que les pointes ne deviennent violettes ou vertes au soleil, ce qui me faisait perdre pas mal d'euros du kilo. Les asperges ne connaissent ni dimanches ni jours fériés.

    Exploitant agricole était une vocation, un plaisir malgré les difficultés et les heures consacrées, mais pour rien au monde je n'aurais changé de vie.

    Mon père lui, n'avait produit que du maïs. J'avais 15 ans quand il tomba gravement malade. Un problème pulmonaire dû, apparemment, aux pesticides qu'il épandait pour traiter les champs. Quand à ma mère, j'étais petit et l'avais très peu connue. Je vivais avec mon grand-père et ma grand-mère qui mourut, elle aussi, deux ans plus tard. Ma sœur, qui avait 5 ans de plus que moi, faisait des études de kinésithérapeute en Belgique et avait déjà quitté la ferme.

    Je me retrouvais seul avec pépé et ses animaux qu'il laissait l'été dans le parc qui bordait la maison pour brouter l'herbe, manger les ronces qui poussaient aux abords de la clôture et ainsi, éviter de tondre. Bref, avec une basse-cour. Des poules, quatre chèvres, et un bouc. Armand. Un animal belliqueux dont tout le monde se méfiait. Il me manquait du temps pour m'occuper d'eux, mais ils faisaient partie de l'endroit, c'était comme ça.

    Un voisin m'avait proposé de les prendre, mais devant la tristesse de mon grand-père, je n'arrivais pas à m'y résoudre. Pourtant, je n'avais qu'une envie, qu'il accepte au moins de donner ce fichu bouc qui ne servait à rien. Il était même incapable de monter les chèvres. Elles ne voulaient pas de lui, allez savoir pourquoi. En même temps, avec l'odeur qu'il dégageait, cela n'avait rien d'étonnant. Les lubies de mon grand-père me portaient sur le système, mais je n'avais pas d'autre choix que de me coltiner cet animal que je ne pouvais pas piffer. Il ne me portait pas dans son cœur non plus, mais plutôt au bout de ses cornes dès qu'il en avait l'occasion.

    Mais parlons du cheval incontrôlable qu'il gardait depuis presque cinq mois pour rendre service à mon ami Julien. D'après pépé, c'était de notre faute à Julien et à moi si ce cheval avait désarçonné son fils Jordan, alors pour lui éviter l'euthanasie, il avait préféré le recueillir. Le gamin se déplaçait en fauteuil roulant le temps de finir la rééducation de ses jambes brisées. L'animal était devenu dangereux et imprévisible. Je devais le sortir tous les matins et le ramener dans l'étable tous les soirs à mes risques et périls. Pépé le laissait brouter dans le pré de la propriété voisine qui ne nous appartenait même pas. C'était tout près, et l'hiver, quand la végétation s'endormait, on apercevait la maison  abandonnée depuis longtemps.

    Julien devait trouver une pension pour cet animal dans les plus brefs délais, parce que d'après ce que m'avait dit le notaire, la propriété n'était plus à vendre et l'héritier des Cassagne avait repris ses droits.

    Je n'avais pas besoin d'emmerdes supplémentaires.

    Aujourd'hui, était un jour comme les précédents. Pépé boudait dans sa chambre, pensant que Monique était venue parce que je voulais me débarrasser de lui. Son début de sénilité ne l'avait pas encore emmené dans l'oubli, loin de là, mais il restait prostré des heures à ruminer. Je le soupçonnais même d'exagérer son état. Dans ses pires moments, il me reprochait de vouloir l'abandonner. Ce n'était pas le cas, mais ses critiques injustifiées me faisaient beaucoup de mal.

— Arrête de te torturer Nico, j'entends ton cerveau d'ici !

— Ça passera, mais pour l'instant, je t'avoue que j'ai du mal, répondis-je en passant ma main derrière ma nuque.

—Pourquoi ne prends-tu pas une secrétaire pour la paperasse ?

    Pépé m'avait aidé du mieux qu'il avait pu avant d'être incapable de s'occuper de lui-même. Il se chargeait de l'administratif qu'il classait et déposait chez le comptable. Il gérait ses animaux, son potager et labourait quelquefois avant les semailles avec son vieux Massey qu'il adorait conduire et qu'il entretenait comme une pièce de musée. Une exploitation de cette envergure demandait beaucoup de travail. Même les mois creux, je devais traiter et préparer la terre pour les prochaines plantations.

— Pour l'instant, je gère.

— Comment tu vas faire ce week-end pour la réunion avec pépé ? Je ne peux pas rester, je reprends lundi.

Évidemment qu'elle allait repartir ! Elle s'en fichait pas mal des difficultés auxquelles je faisais face.

— Danièle et Jean-Pierre vont rester avec lui. En plus, il refuse de quitter sa chambre à l'étage. Depuis que je lui ai proposé d'aménager la pièce du bas, il boude. Je ne veux pas qu'il se casse la gueule dans les escaliers, bordel ! Le maïs, sèche dans le silo, mais il me reste quelques hectares de tournesols à moissonner. Je dois terminer demain si je veux aller à Toulouse pour la sélection des gosses.

— Et après ?

— Je vais donner ma démission du comité directeur, je pense.

Je passai ma main dans les cheveux en soupirant. J'allais laisser tomber la dernière chose qui me permettait de m'aérer un peu.

— Tu devrais attendre avant de tout lâcher comme ça.

— Non, c'est décidé.

— C'est vraiment dommage, Nico, je suis certaine que pépé est plus malin que toi, alors fais gaffe de ne pas te faire bouffer. Il cherche à se faire prendre en pitié ce vieux grigou !

    Elle n'avait pas besoin de me rappeler ce que je savais déjà. Il faisait la gueule depuis qu'on l'avait mis au régime et qu'il n'avait plus sa bouteille de rouge à table. Non pas qu'il abusait de l'alcool, mais deux bons verres de vin aux repas et un petit jaune à l'apéro ne lui avaient jamais fait peur. Ce que ma sœur ne savait pas, c'est qu'il avait fait des siennes quelques jours avant. Il avait pris la 4 L pour aller voir le cheval qu'il avait récupéré sans me demander mon avis et qui paissait dans la propriété voisine sans autorisation.

    Et qui allait avoir les ennuis si l'héritier des Cassagne faisait son apparition ? Moi !

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