Chapitre 36

    NICO

    Je poussai Greg quand il m'attrapa par le blouson pour m'obliger à m'arrêter. Je me tournai, serrant et desserrant mes poings pour éviter de le cogner.

— Nico attend, je voulais m'excuser et t'expliquer.

— Je n'accepte pas d'excuses, Greg. Faites ce que vous voulez, j'ai autre chose à faire que de perdre mon temps avec des gamins. Allez, oust, va jouer ailleurs. Ah, et autre chose, je ne veux plus entendre parler de tout ça, contente-toi d'effectuer ton travail au silo, sans plus. Et je ne tolérerais plus un seul retard le lundi matin après la cuite du dimanche !

— C'est moi qui aie eu l'idée, pas lui, et j'ai bien fait parce que tu ne le mérites pas ! L'entendis-je gueuler.

    Le lendemain matin, je plastifiais le champ d'asperges quand Jean-Pierre réapparût. J'allais cogner sur quelqu'un et ça n'allait pas tarder s'il venait remettre ça sur le tapis. J'avais déjà perdu un temps incroyable avec le dérouleur qui me déchirait le plastique tous les dix mètres. J'allais trop vite, je le savais. J'éteignis le tracteur et descendis le rejoindre sur le bord du fossé où il m'attendait avec un thermos de café.

— Un bon café, rien de tel pour bien bosser, me dit-il en me tendant un gobelet.

    Ça sentait déjà le roussi.

— Merci.

— Je n'aime pas te voir comme ça me lança-t-il, les sourcils froncés alors que je soufflais sur la boisson. Ça va ?

— Je vais bien, lui assurai-je en grognant.

— Nico, toi et moi nous connaissons depuis trop longtemps et je sais que c'est faux. Justin t'a dit la vérité, et je sais que ce n'est pas le moment, mais Danièle et moi voudrions que tu sois le parrain de Charlotte.

    Nous y voilà !

— Vraiment ? demandai-je, agréablement surpris par sa demande.

— Oui. Je ne vois pas ce qui t'étonne, Nico ! Tu es mon meilleur ami, un frère pour moi. Je ne peux pas imaginer meilleur parrain.

    J'étais ému. Au milieu de la tourmente, il y avait toujours une petite lumière quand les amis étaient près de nous.

— Je compte sur toi pour jeter un œil sur lui, murmurai-je en lui rendant le pot vide.

    Je ne pus m'empêcher de lui demander ça.

— Non, Nico, si tu l'aimes vraiment, ne laisse pas passer ta chance. Il est jeune bon sang ! tu n'as jamais commis d'erreur, toi ? Ce qu'il y avait entre vous vaut la peine qu'on se batte pour le récupérer. Il a fait l'effort de t'attendre, lui, alors fais pas le con ! Mais si tu ne veux plus rien savoir de lui, ne le laisse pas avec ce poids sur la conscience. Je l'ai vu ce matin et il me fout les jetons.

    J'avais envie de lui hurler de me laisser tranquille quand il partit sans me laisser le temps argumenter. Il n'imaginait pas comment je me sentais depuis trois jours.

— D'accord, j'irai le voir, je ne vais pas le laisser comme ça.

Ni me rendre.

                                                                                           ***

    Jean-Pierre avait raison, je ne pouvais pas le laisser avec ses remords. Encore moins abdiquer sans tenter de recoller les morceaux que j'avais été le premier à éparpiller. J'avais mal, ma fierté en avait pris un coup, mais j'étais humain avant tout. Et amoureux, surtout. Je frappai deux petits coups, mais n'obtenant aucune réponse, j'ouvris un peu la porte. Je vérifiai dans toutes les pièces, et constatai qu'il était absent. Je me dirigeai vers l'ancien hangar des vaches de son père, puis dans l'écurie, avant de filer en direction du pré. Tempête hennit et s'approcha de lui. Je regardai de loin pour ne pas les déranger, et prendre le temps de calmer la rancœur que j'avais accumulée.

    Il était assis sur le portail fermé en pleine conversation avec le cheval qui le regardait comme s'il pouvait comprendre ce qu'il lui disait.

— Tu vois, mon beau, baragouina-t-il au cheval qui poussait sa main tendue avec son museau. Tu m'as manqué, mais les choses se sont compliquées. Enfin, c'est surtout moi qui les ai compliquées. Mais je vais tout arranger. Et toi, tu es prêt ? Ton maître va venir te voir aujourd'hui, et quand il ira mieux, il n'hésitera plus à t'approcher et ce sera un grand jour pour vous deux. Il va de mieux en mieux, paraît-il.

    Justin ne le savait pas encore, mais d'après ce que m'avait dit Julien, si Jordan remontait Tempête et que tout se passait bien, il comptait le reprendre pour le déplacer dans un haras de Lyon. Je le regardai poser la tête contre celle de l'étalon qui ne bougeait pas, comme si un fil invisible les unissait. J'étais subjugué de voir ça.

— T'inquiète mon beau, le jour où Jordan sera prêt, je serais là aussi et tout va bien se passer, murmura-t-il en passant ses doigts dans la crinière, assez fort pour que je puisse l'entendre. Depuis l'orée des arbres, je le vis prendre la selle rutilante et cirée qu'il plaça sur son dos avant de la sangler, lui passer la bride et après quelques caresses, saisir les rênes et monter sur son dos d'un coup sans s'aider des étriers.

     Je les regardai galoper quelques minutes, sans bouger pendant ce qui me sembla une éternité, jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent enfin et qu'il descende de sa monture en lui parlant à voix basse.

    Plus je me rapprochais et plus les battements de mon cœur s'accéléraient. Le cheval le poussa doucement avec la tête et hennit, demandant son attention. C'était incroyable ce qu'il était parvenu à faire avec cet animal. Il se retourna brusquement, comme s'il avait senti ma présence. Il sursauta et s'accrocha au pommeau de la selle pour garder l'équilibre. J'hésitai, me demandant si j'aurais la force de parler avec lui, mais quand ses yeux trouvèrent les miens, je contins ma respiration. Mille sensations reprirent place à l'intérieur de moi. J'étais perdu. Incapable d'en supporter plus, je sautai par-dessus la barrière pour réduire la distance qui nous séparait. Je vis de loin la voiture de Julien qui se garait déjà devant chez moi. Je préférais éviter de rester dans les parages quand Jordan etait là pour ne pas croiser son regard dédaigneux. Il nous avait surpris son père et moi, mais je semblais être le seul à qui il en voulait.

— Je t'ai apporté un mors et un licol plus adaptés, lui dis-je en lui tendant un sac. Tiens, prends-les.

    En entendant ma voix, le cheval détala et s'éloigna en trottinant.

— Merci, répondit-il simplement en jetant un coup d'œil dans l'emballage.

    Nos doigts se frôlèrent à peine, mais mon cœur s'emballa avec force dans ma poitrine.

— Je suis vraiment un imbécile, tu ne crois pas ?

    Il pencha un peu la tête, tenant le sac contre sa poitrine.

— Nico, je veux que tu saches que je suis désolé. Greg ne l'a pas fait avec une mauvaise intention, il voulait voir si tu étais jaloux, mais ce n'était pas la bonne façon de faire.

    Il m'avait fallu cette altercation pour me rendre compte d'à quel point j'étais amoureux de lui. J'avais besoin de savoir qu'il allait bien et dormir tranquille.

— Ça, tu peux le dire.

— Je m'excuse, marmonna-t-il.

— Écoute, je vais m'installer à Auch. Ce sera plus facile pour aller voir mon grand-père en rentrant du travail. Et m'éloigner un peu de ma routine m'aidera aussi, mais... bref, je me suis emporté l'autre jour, Justin, et je tiens à m'en excuser aussi. Mais quand même, pourquoi vous avez fait ça ? J'aimerais comprendre.

— On est cons, voilà, mais je ne veux pas que tu penses que je suis un salaud, ça non ! Greg et moi n'avons rien fait du tout. Je l'ai gardé à dormir chez moi, c'est vrai... mais bon... il était saoul. Et c'est mon demi-frère. Greg est mon demi-frère.

    Je tournai la tête, éberlué et un peu sceptique aussi.

— Ton demi-frère ? C'est quoi ça encore ?

— Je te le jure, Nico. Greg est mon demi-frère, c'est pour ça qu'il s'était installé ici avec sa mère quand ma grand-mère était encore en vie. C'est le fils que mon père a eu avec une femme qui ne lui a jamais dit qu'elle était enceinte.

    Son regard était presque suppliant.

— Je te crois, répondis-je en m'affalant contre la barrière.

    Je secouai la tête sans le quitter des yeux. J'étais loin de me douter de ça, même si cela n'excusait pas le mauvais moment qu'ils m'avaient fait passer.

— Je suis venu te dire que je t'aime, Justin. Je ne voulais pas partir sans te le répéter, mais surtout m'excuser d'être allé à cette fête sans te le dire. Je n'avais aucune mauvaise intention, mais ce n'était pas honnête de ma part. Alors si tu m'aimes vraiment toi aussi, je suis partant pour tout reprendre à zéro. Faire comme si nous venions de nous connaître, sans histoire de cul entre nous, sans jalousie. Tu crois que nous pourrions nous comporter comme deux amis et voir où ça nous mène. On pourrait sortir, sans arrière-pensées, enfin...

— Tu veux dire que tu nous laisses une chance ?

— Oui, on peut essayer si tu es d'accord.

— Oui ! oui ! oui ! Mille fois oui ! parce que moi je t'aime, Nico, et je veux être avec toi.

— Moi aussi, Justin, alors on va le faire, on ne va pas laisser tomber comme ça. Pas sans une bonne raison. On reprend tout depuis le départ !

— Mais je vais te voir quand si tu t'en vas ?

— Je travaille ici, Justin tu as oublié ? Et si je t'invite à dîner ce soir à Auch ?

— Tu me proposes un rendez-vous ? sourit-il d'un air heureux.

— Oui, le premier, ailleurs que chez toi ou chez moi.

— D'accord, mais Nico, tu l'as vu, je trimballe pas mal de casseroles. Je ne sais pas si tu vas avoir assez de patience pour me supporter quand ça n'ira pas.

    Il s'inclina légèrement vers moi et je m'approchai de lui pour prendre son visage entre mes mains et l'embrasser sur la tempe plus de temps que nécessaire.

—Je l'aurai Justin. Je te promets que je l'aurai.

    J'avais besoin de croire que de toute cette peine il pouvait renaître une lueur pour nous éclairer tous les deux. Je laissai nos fronts se rejoindre un moment en fermant les yeux pour éviter de le regarder avant d'opérer un demi-tour et de partir avant que Julien n'arrive avec Jordan.

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