Chapitre 33


JUSTIN

— Salut, comment tu vas cet après-midi ?

    Greg sortit de ma chambre avec les yeux défoncés. Il avait débarqué la veille avec une cuite monumentale. Je l'avais empêché de repartir et il avait dormi avec moi dans ma chambre, les deux autres étaient glaciales. Je ne sais pas si l'on pouvait qualifier d'alcoolique une personne qui ne buvait que le week-end, mais c'était son cas. Toujours est-il qu'il s'était levé deux fois, mais était reparti se coucher.

— Salut, ça va mieux. Je vais prendre un café.

    Je hochai la tête, dubitatif. Je posai une tasse de café et deux tartines devant lui quand il s'installa à table. Mieux valait un petit déjeuner que rien du tout.

— On sort ce soir ?

—Euh... non, je préfère rester ici. J'ai mal au bras.

    Je mentais bien sûr. Ce n'était pas la douleur de mon bras qui se remettait bien d'une chute que j'avais faite la veille en glissant sur l'herbe humide qui me rendait fébrile, mais celle de mon cœur. Les souvenirs revenaient en boucle toute la journée. Je ne pouvais pas faire grand-chose pour m'occuper, cela laissait tout loisir à ma tête de ressasser.

— Justin, on va sortir, Nelly et ses deux copines nous attendent au bistrot du village. Il y aura Lionel, et Sylvain qui se tape l'une des jumelles depuis le réveillon, je sais plus laquelle des deux. Allez, réagis, je sais que la douleur à ton bras n'est pas comparable à celle de ton cœur, mais t'exagères, là.

    Une semaine, une longue semaine au cours de laquelle la souffrance et la douleur de l'âme devinrent plus intenses. Mon cœur n'avait toujours pas trouvé la bonne colle pour unir les petits morceaux qui s'étaient éparpillés et les faire tenir ensemble. Je n'avais aucune nouvelle de Nico. J'avais formellement interdit à Jean-Pierre et à Greg de prononcer son prénom devant moi.

— Tu n'as jamais souffert par amour, Greg ?

— Non, pas encore, mais qui ne souffre pas par amour au moins une fois dans sa vie ?

— Ma mère, lâchai-je en grimaçant. Elle s'en fout des hommes comme de sa première paire de chaussures.

    Je souris en faisant référence à ma génitrice, plaignant en silence mon dernier beau-père avec lequel, bizarrement, elle était toujours trois ans après leur mariage. Il avait une sacrée patience, le Victor.

— Sacré Nico Barjac, lança-t-il en secouant la tête.

—Je t'ai dit de ne pas le mentionner.

    Ouais, il m'avait sucé le cerveau.

    Greg hocha la tête en riant avant d'allumer la télé et de brancher sa console de jeux.

— Tu es sûr qu'il s'est foutu de toi ? Qu'il n'y a pas une autre explication ?

— Je ne pense pas. La preuve, je ne sais plus rien de lui depuis des jours. Moi j'avais besoin de chaleur, tu vois, de me sentir important à ses yeux, pas de vivre caché et d'entendre que je n'ai aucune dignité.

    Je prononçai la phrase avec une grimace de dégoût.

— Je n'ai été qu'un caprice, un objet de peu de valeur pour lui.

    Je ne savais pas aimer normalement, c'était toujours dans l'excès, comme j'avais aimé Dylan. Je revivais ma douleur comme je ne l'avais jamais fait. Les larmes finirent par couler sans contrôle. Je n'avais jamais autant pleuré que depuis mon arrivée ici. Mon cœur s'emballa, avant de ralentir doucement comme s'il voulait s'arrêter, les éclats de mon âme perdus dans un monde froid et gris.

    Ce n'était plus moi !

— Le cœur est capable de supporter beaucoup de choses, Justin. Juste parce qu'il veut la personne qui le fait battre, même si c'est pire parfois. Tu t'es humilié et maintenant tu regrettes. Si c'est un imbécile qui ne ressent rien, alors oublie-le.

    Facile à dire. Il laissa sa console de côté et s'agenouilla entre mes cuisses pour me secouer.

— Je sais, mais c'est dur. Il est peut-être déjà passé à autre chose lui. Peut-être même qu'il est reparti avec cette fille !

    J'en avais la chair de poule.

— Tu te fais du mal pour rien. Remarque, il vaut mieux qu'il soit avec une fille, au moins tu auras la satisfaction de savoir qu'il nique sans plaisir, lança-t-il en pouffant. T'imagines ?

    Ah non, je ne voulais pas imaginer ça. Il avait perdu l'esprit, Greg ou j'étais aussi bête que lui à son âge ?

— Tu n'imagines même pas à quel point je ne veux pas l'imaginer ! grognai-je en essuyant mes yeux avec ma manche.

— Peut-être qu'aimer à nouveau quelqu'un d'autre sera compliqué. Peut-être aussi que c'est l'amour de ta vie et que tu ne l'oublieras jamais, mais ça va aller, tu vas voir !

    Non, ça n'ira pas.

    Je n'avais pas besoin d'entendre ça, mais au moins, il était là pour m'écouter. D'habitude, il avait toujours quelque chose de drôle à sortir pour me faire rire. Pas aujourd'hui.

— Oui, je vais y arriver.

    Je répondis d'un ton ironique. Je savais que j'allais être incapable de l'effacer de ma vie aussi facilement. Il serait toujours là, comme un souvenir constant, comme ce rêve rose qui était devenu gris. Je voulais seulement redevenir le même Justin qu'avant mon arrivée ici. Un Justin plein d'espoir, qui avait fait des saisons à droite et à gauche, prêt à recommencer sa vie loin de tout ce qui lui avait fait tant de mal à Paris. Je laissai mon téléphone sur la table et sortis de la maison. Le meilleur endroit pour reprendre mes esprits était encore d'aller voir mon cheval.

— Tu sais qu'il m'a demandé pour toi au moins dix fois en deux jours ? Et qu'il me regarde comme s'il voulait me bouffer en plus, me lança-t-il en levant les yeux vers sa console.

— Ah bon ? Mais pourquoi ?

    Il claqua la langue, posa la manette et cala son menton sur sa main, le coude posé sur mon genou. Aïe.

— Je suis presque certain qu'il pense que je suis gay et qu'on fricote toi et moi.

    J'éclatai de rire quand il tomba sur le cul quand je me levai pour attraper un morceau d'essuie-tout du rouleau qui traînait sur la table pour me moucher.

— Tu te fous de moi ?

— J'en suis sûr. Je pourrais le rendre jaloux pour voir comment il réagit, t'en penses quoi.

— Ça va pas non ? Je n'entre pas dans ces bêtises, j'ai passé l'âge pour ça, Greg.

— On verra, répondit-il avant de s'intéresser à nouveau à son jeu.

    Je passai la main sur mes cheveux trop longs en soupirant. Je ne voulais plus réfléchir, je devais m'occuper et faire quelque chose qui ne me ferait pas de mal. Sortir, oui, en espérant tout de même qu'il ne soit pas là.

— Il sera là lui ?

— Aucune idée et on s'en fout !


                                                                                           ***


— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, susurrai-je en l'attrapant par le bras pour l'obliger à s'arrêter devant la porte du bistrot.

    Je jetai un regard furtif à travers la vitre, avalant ma salive avec difficulté en les voyant tous assis dans une conversation animée. Mauvais karma, Nico était là, évidemment.

— Aie confiance en moi, il va monter au plafond, tu vas voir. Ça m'étonnerait pas que Spiderman lui demande des cours particuliers.

    Je tordis le bec.

— Oui ben moi je pense que c'est pas bien, Greg. Je n'ai pas envie d'inventer des trucs, c'est pas mon genre.

— Mais mon pauvre, personne n'a le droit de te traiter comme ça, siffla-t-il en posant une main sur mon épaule.

     Franchement, c'était pourri comme idée, je n'en démordais pas.

— Et c'est quoi l'idée au juste ?

— Moi, affirma-t-il en me prenant la main et en poussant la porte pour entrer.

— Excusez notre retard, s'exclama-t-il bien fort quand tous les regards convergèrent vers nous.

    Je lâchai immédiatement sa main.

— Pas grave, on vient d'arriver, nous assura Nelly en me regardant de haut en bas.

Et ça ne m'étonnait pas. Rien ne lui échappait.

— C'est de ma faute, lança Greg après avoir salué tout le monde en s'asseyant face à moi. Ça faisait quelques jours que je ne le voyais pas et il me manquait, ça m'a coûté de sortir de sa chambre tout à l'heure. Nous avions pas mal de choses à rattraper, si vous voyez ce que je veux dire.

    Je m'étranglai presque. Là, il ne mentait pas tout à fait, il avait dormi avec moi.

    Nelly s'étouffa avec son verre de Fanta et sans subtilité recracha le liquide qu'elle avait dans sa bouche en commençant à tousser comme une demeurée. Du coin de l'œil je vis Nico pâlir légèrement en serrant la mâchoire et regarder Greg fixement.

— Tu vas bien ? demanda Greg en tapotant le dos de Nelly. Ignorant le regard éberlué que je lui lançai.

    Lionel nous regardait avec les yeux ronds comme des soucoupes. Moi je baissai le regard, gêné, et tentai de lui donner un coup de pied d'avertissement sous la table qu'il esquiva avec habileté gardant son air innocent.

— Et vous vous êtes connus comment ? questionna Sylvain.

— Euh... Il est venu chercher des champignons chez moi, répondis-je avant qu'il n'invente encore un truc insensé. Et toi, le prévins-je en le pointant du doigt, n'abuse pas trop, hein !

    Au bout de la table, Nico posa sa bière sans délicatesse et fronça les sourcils. Lionel lui lança un regard d'avertissement. Il crispa un peu plus la mâchoire. S'il continuait comme ça, il allait se péter les dents.

— Bref, lança Greg, je ne vais plus le laisser m'échapper, ce serait une erreur.

— Ne crois pas ça ! cracha Nico, les lèvres serrées en une fine ligne et les yeux dangereusement noirs.

— Ce n'est pas possible, gémis-je entre mes dents en m'accoudant à la table pour soutenir mon visage entre mes mains.

    Greg souriait, satisfait. Putain de merde, je n'arrivais pas à y croire. J'étais coincé. Sans paroles. 

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