Chapitre 32
NICO
Comme l'homme orgueilleux que j'avais toujours été, je n'étais pas reparti voir Justin, attendant qu'il fasse le premier pas. Plus les jours passaient, plus ça devenait difficile. À tel point, que pour une fois, j'avais décidé d'aller passer le week-end à Toulouse. Non pas pour aller à la péniche, même si j'y avais pensé depuis le jour où il m'avait demandé de tracer ma route sans lui. Monique et Rudolf étaient rentrés en Alsace, mais ils reviendraient dès que pépé entrerait à la maison de retraite. C'était important qu'il voie que nous étions tous là pour l'accompagner.
Je n'avais pas le souvenir d'avoir marché dans les rues de cette ville avec autant de lassitude. J'avais été une personne connue et acclamée dans la région quelques années auparavant. Aujourd'hui, je me fichais pas mal de cette étape de ma vie qui avait pourtant compté plus que tout autre chose. Le rugby dans le sud-ouest avait son importance, c'était une institution, plus suivie que le football.
Quelques personnes installées sur un banc m'observèrent à la dérobée quand je passai devant eux, mais mon visage fermé les dissuada de se lever pour venir à ma rencontre. Je n'étais pas d'humeur à faire la conversation ni à signer des autographes. Je les saluai d'un mouvement de tête avant de m'éloigner.
Je marchais au milieu d'une tourmente électrique, cherchant un territoire qui me laisserait vivre en paix quelques instants. Mes pieds avançaient sans but fixe alors que je m'éloignais du centre-ville pour me retrouver dans un parc.
Si quelqu'un m'avait demandé à cet instant ce qu'il me restait à apprendre, j'aurais répondu sans hésiter : apprendre à vivre, apprendre à aimer sans blesser personne. Apprendre comment faire pour récupérer Justin. Mais surtout, apprendre à vivre pour moi, sans me soucier de ce que pouvaient penser les autres.
J'avais laissé mon coin de campagne pour le week-end. Pour être seul, surtout. Le regard des gens que je côtoyais ne me servait à rien, au contraire. Je n'en pouvais plus d'entendre pépé me reprocher encore de chercher à me débarrasser de lui quand j'allais le voir à l'hôpital, marre de voir mes champs, marre de tout. Bref, c'était le trop-plein. Avec en plus les regards de reproche de Jean-Pierre, Sylvain et Lionel qui me mettaient face à ma lâcheté.
Rien ne fonctionnait. Mon grand-père était dégoûté, cherchant le moment exact où il avait échoué dans mon éducation, pensant qu'il avait tout fait pour faire de moi un homme. C'est vrai qu'il avait épuisé toutes ses forces pour faire de moi quelqu'un de bien. Ça me faisait mal de savoir qu'il était orgueilleux de ce que j'avais accompli, mais de l'homme que j'étais.
J'étais comme un étranger qui ne trouvait pas le bon endroit dans lequel s'établir.
Je savais aussi que j'avais détruit mon cœur par ma propre volonté. Mais parfois, nous n'étions pas vraiment ce que l'on montrait de nous. Parfois, nous faisions du mal pour survivre et éviter de faire plus de mal encore.
La douleur était quelque chose d'abstrait. Aujourd'hui elle était bien là, devenant plus présente quand je fermais les yeux, quand je respirais seul. Mes larmes ne formeraient jamais une mare, parce qu'elles n'avaient jamais coulé. Pourtant, elles menaçaient en pensant à ces moments de bonheur simple avec Justin, avant de fracasser ses illusions et les miennes par la même occasion.
Moi je le méritais, pas lui.
J'avais choisi de préserver un grand-père qui, comme me l'avait fait remarquer Monique, ne sortait même pas de chez lui et qui avait réussi à me faire sentir coupable au point de faire mal à l'homme dont j'étais tombé amoureux comme un adolescent et pour lequel j'aurais fait n'importe quoi.
Sauf le choisir.
Alors, oui, j'avais honte. Honte de ne pas avoir trouvé le courage de laisser de côté l'avis des autres pour vivre ma vie, enfin.
Je ne savais pas aimer, j'étais tout juste bon à faire du mal.
À faire mal pour ne pas me faire mal.
Tout était si facile avant lui. Laisser un homme dans le lit et repartir ne m'avait jamais coûté. Les soirées dans la péniche n'étaient destinées qu'au sexe, parce que jamais je n'avais dormi chez aucun d'eux, pas même chez Julien, encore moins invité quelqu'un chez moi. J'avais toujours été prudent.
Je respirai profondément alors que quelques gouttes de pluie commençaient à tomber, mouillant mon visage et mes cheveux. Le soleil se cacha derrière les nuages chargés au-dessus de ma tête comme je ne les avais jamais vus. Cela faisait longtemps que je ne prêtais pas attention à la nature comme je le faisais aujourd'hui. Habitué à vivre en plein milieu, j'en avais oublié la beauté qui s'étalait devant mes yeux.
Un peu plus loin, des enfants jouaient dans les flaques qui se formaient au fur et à mesure que l'averse s'abattait. Un pic de douleur comprima ma poitrine, ma respiration devint plus pesante et mon cerveau imagina des moments que certainement je n'avais jamais été capable de vivre, encore moins de les apprécier. Mes pensées étaient difficiles à décrypter, même pour moi. J'étais l'homme de toutes les contradictions, mais ma vie n'était pas aussi simple qu'elle le paraissait. La dernière conversation que j'avais eue avec Justin m'avait cassé, même si je n'avais rien laissé paraître. Pour faire semblant, j'étais très fort. Vivre en couple, m'assumer m'avait toujours semblé aussi impossible que chercher une fin à l'univers. Et pourtant, d'autres l'avaient fait, alors quel était mon problème ?
— Tu es Nico Barjac, pas vrai ? Le gosse le dit tellement fort qu'il attira l'attention des trois autres. Vous pouvez signer sur mes tennis, s'il vous plait ?
Je clignai des yeux.
— Je n'ai pas trop le temps, tentai-je de lui expliquer avec un demi-sourire.
Parce que c'étaient des enfants, et que les enfants, je ne pouvais pas les envoyer paître.
— Sur mes tennis, allez, s'il te plaît !
Son visage suppliant m'émut et j'acquiesçai en sortant de la poche intérieure de mon blouson le marqueur fin et indélébile qui ne me quittait jamais quand je sortais et que mon grand-père m'avait offert avec tant de fierté au début de ma carrière.
Ils arrivèrent les quatre, un sourire édenté illuminant leurs visages, alors qu'accroupi, je signais sur leurs baskets. Je ne doutai pas que leurs parents les sermonneraient en le voyant. Je les écoutai me baragouiner sur les possibilités de l'équipe de rugby toulousain, sur le XIV de France, pour finir par se disputer entre eux au sujet du haka des Old Blacks. Comme un idiot, je souriais devant leur enthousiasme. La pluie redoubla d'intensité, mais cela ne semblait pas les déranger. Leurs visages me rappelaient le mien quand j'étais aussi un enfant. Moi et mon rêve que par chance j'avais réalisé, celui de jouer contre cette équipe fabuleuse.
— Tu as fait tomber cette photo, susurra le petit blond qui m'avait abordé le premier la ramassant. C'est une copine à toi ? Elle est belle, me dit-il en observant l'image.
—Merci beaucoup, répondis-je en lui arrachant presque des mains, lâchant un petit rire. J'aurais été triste de perdre cette photo, et tu as raison, c'est le garçon le plus beau que j'ai jamais vu, le plus gentil aussi. Je peux la reprendre ?
— Non, c'est une fille, regarde, me dit-il en tournant la photo vers moi.
Je lui pris sa photo des mains, la frottai contre mon blouson avant de la ranger dans la poche intérieure pour la mettre à l'abri de la pluie. Je pouvais toujours la réimprimer, mais je tenais à ce cliché.
— Non, c'est bien un garçon.
Je soufflai en sentant mon portable vibrer dans la poche arrière de mon jean. Je ne comptais pas répondre, j'avais pris le large pour déconnecter de tout. Voyant qu'il s'agissait de Christian, je décrochai quand même.
— Je peux savoir où tu es passé, je tente de te joindre depuis hier !
— J'avais autre chose à faire. Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Nico, tu ne peux pas continuer un peu avec nous ?
— Non, Christian, je ne peux pas, désolé.
Il soupira, résigné. Je ne pouvais plus continuer à m'occuper de la sélection. Je devais m'atteler avant la saison des asperges et m'occuper du recrutement. Quarante personnes, au moins, pour être certain d'en avoir la moitié au moment de la récolte. Quatre d'entre elles seraient au tri à l'atelier. Des femmes qui étaient beaucoup plus minutieuses pour ce travail. Je me chargerais moi-même d'aller chercher les caisses dans le champ de façon à jeter un coup d'œil sur le personnel en même temps. En général c'étaient toujours des jeunes qui postulaient, et il m'arrivait de les trouver tranquillement assis au bout des sillons à taper la clope et à discuter.
— OK. Passe boire un coup au club à l'occasion.
Je le remerciai et raccrochai. Je ne pouvais pas être tranquille pour réfléchir seul quelques heures. Heureusement, les gamins étaient partis.
Je t'aime... Personne n'avait jamais dit ces paroles à Nico Barjac. Nico Barjac, on ne l'aimait pas, parce qu'il ne ressentait rien. Est-ce que je les entendrais à nouveau de la bouche de l'homme que j'aimais tant ? L'impact serait douloureux si ce n'était pas le cas. Je continuai à marcher sans but, comme un imbécile.
Celui que j'étais depuis toujours.
Les erreurs que j'avais commises passaient dans mon esprit et je me détestais pour ça.
L'amour. Ce sentiment magnifique. Le plus confus qui soit, l'état le plus vulnérable d'une personne. Celui qui nous empêchait de réfléchir, pour lequel je m'étais juré de ne pas tout donner de moi, et que j'avais malgré tout fini par faire. Jusqu'à oublier le monde extérieur, ses menaces, prêt à tout laisser tomber pour créer un monde rien que pour nous deux. J'avais rêvé d'un amour comme celui que j'avais eu avec Justin, j'avais des rêves malgré ce que je lui avais balancé, j'avais même construit dans ma tête des plans de futur. Maintenant, tout était éparpillé au sol. Les petits morceaux d'étoiles qui un jour avaient brillé venaient de s'éteindre. Je lui avais affirmé ne pas avoir de rêves. Mais j'en avais.
Qui n'en avait pas ?
La vie devait continuer, le destin ne s'arrêtait pas là, on n'avait pas toujours ce qu'on voulait.
Le plus douloureux était d'avoir ignoré celui que j'étais réellement. Mais ça j'allais y remédier pour de bon.
Je longeai le bord de la Garonne, analysant les expressions des gens qui passaient à mes côtés, tenant compte des différences entre les habitants des villes et des ruraux.
Les campagnards ne s'agglutinaient pas le long des murs pour marcher, et ne klaxonnaient pas à tout moment. C'était la première fois que je me mettais à réfléchir à ces conneries. Toutes ces analyses idiotes s'évaporèrent quand Justin revint dans ma tête. J'aurais donné cher pour arrêter le temps, revenir en arrière, que tout soit différent. Les minutes avançaient à toute vitesse, embrouillant mon esprit en déroute et l'empêchant de réfléchir posément.
Conclusion : Nico Barjac devait mettre son ego de côté, et récupérer l'homme dont il était tombé amoureux.
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