Chapitre 31
JUSTIN
Je ne savais plus quoi dire. Pour la première fois de la journée, nos yeux se croisèrent et la lueur dans les siens n'était plus celle à laquelle il m'avait habitué. L'expression indéchiffrable de ses traits crispés me donna presque envie de pleurer. Il s'approcha d'un pas incertain et mesuré, et leva le bras pour poser sa main sur ma joue. Ses iris étaient plus froids qu'un bloc de glace. Ils ne montraient rien. Ni le moindre remords ni le moindre regret.
— D'accord ?
— Donc, ce que ton grand-père m'a dit dans le mobilhomme au sujet de cette femme est vrai.
Soupir.
Silence.
Un soupir et à nouveau, le silence.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit au juste ? S'il t'a dit que je la fréquentais, il ne t'a pas menti, lâcha-t-il avec peine. Je ne sais même pas comment il l'a appris, d'ailleurs.
J'avais ma réponse. Il me mentait depuis le début. Il se mentait lui-même, surtout. À moins qu'il n'ait omis de me préciser qu'il était bisexuel. Mais quand même, en avoir la confirmation de sa propre bouche, ça faisait mal. Mon cœur, ce maudit organe, menaça de cesser de battre. Mon sang se figea dans mes veines. Je levai brusquement la tête et le regardai dans les yeux. Mon cœur allait mener sa dernière bataille face à lui, j'étais prêt pour ça.
— Tu n'as pas honte d'avoir laissé espérer cette fille le soir du réveillon si tu n'avais pas l'intention de continuer à la voir ?
Un rire sonore retentit et un rictus cynique se forma sur ses lèvres.
— Honte de quoi ? Je te signale qu'elle m'a collé toute la soirée ! Et puis qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Tout le monde n'a pas ton courage, Justin. Je te l'avais dit que je ne pouvais pas être avec toi comme tu le souhaitais pour l'instant. Je ne t'ai jamais menti là-dessus. Tu n'as qu'à me traiter de lâche si tu veux. Oui, je me suis servi d'elle, ricana-t-il amèrement. Tu vois, Nico Barjac avait peur. Quand j'étais jeune, je croyais que mes penchants envers le sexe masculin s'atténueraient un jour. Mais non, je suis toujours le même. Je m'étais même crée une version toxique de moi, convaincu que j'étais incapable d'aimer. Alors autant faire bonne figure devant les autres avec des femmes, tu ne crois pas ?
Il ne pouvait pas sortir autant de poignards de sa bouche, si ? J'en perdis l'oxygène et la volonté. Les sentiments n'existaient plus dans cette conversation. Est-ce que j'avais envie de lui demander une dernière fois de réagir sans démolir ma dignité ?
— Eh bien moi, je ne partage pas !
Il soupira en secouant la tête. Les battements de mon cœur martelaient contre ma poitrine. Ma jalousie était de trop, mais je maintins son regard glacial.
— Mais partager quoi ? Je ne l'ai jamais touchée depuis que je suis avec toi. Je n'avais pas revu Myriam depuis belle lurette !
— Tu as trompé cette fille. Pour moi c'est du pareil au même. Tu n'as jamais eu de rêves, toi ?
— Parce que ça existe les rêves ? Je vis dans la réalité moi. Le seul que j'avais, c'était d'être un joueur de rugby en ligue un, et je l'ai réalisé. Si tu crois que tomber amoureux était l'un de mes rêves, tu te trompes. Mon grand-père et Julien l'ont tué celui-là !
Ses paroles se répercutèrent avec force dans ma tête. J'avais rompu la promesse que je m'étais toujours faite, ne jamais être avec un homme qui ne s'assumerait pas. Ne jamais rester avec quelqu'un qui ne m'aimerait pas comme j'espérais l'être. Mon cœur battait à un rythme dément, mes mains étaient moites, mes jambes tremblaient et le nœud qui me comprimait la gorge m'asséchait la bouche.
Je fermai les yeux quelques secondes, contenant les larmes de dépit qui menaçaient de déborder.
Je lui avais trouvé suffisamment d'excuses.
— Tu parles comme un désespéré. Alors que sont devenues toutes ces choses que tu m'as dites ? Ça aussi c'était faux ?
— Arrête, Justin ! bien sûr que tout ce que je t'ai dit était vrai. Je t'aime, qu'est-ce que tu crois ? Arrête de t'humilier. Je pensais que tu avais plus de dignité que ça, mais je vois que tu n'en as aucune, m'assena-t-il en me désignant de l'index.
Non, je n'avais plus d'orgueil, plus de dignité, il avait raison. Nico Barjac venait de les réduire à néant.
J'étais quoi au juste pour lui si je suivais sa logique ? Rien. Je n'étais rien du tout.
Je respirai parce que je devais survivre à ça. J'avais l'impression d'en perdre jusqu'à mon identité. Je ne me reconnaissais plus. L'amour m'avait grandi avant de me tuer, faisant de moi un véritable désastre.
Il me regardait avec ses yeux sombres dans lesquels flottait un mélange d'incompréhension et de frustration. Cette conversation semblait sévèrement l'énerver.
— Je t'aime Justin, ça, c'est certain, je n'ai peut-être pas été ce que tu attendais de moi, mais je t'aime. Je m'étais promis avant de partir à l'anniversaire de Sylvain d'en finir avec tout ça. Et je l'ai fait quand je t'ai vu dans cette salle. Mais avec les conneries de mon grand-père, je ne sais plus où j'en suis.
— Eh bien ce n'est plus ce que je veux !
— Mais putain, jura-t-il encore avant de s'approcher dans mon dos. Alors, fais-le pour moi, attends-moi encore un peu, Justin. Quelques jours, le temps de...
Il me coupa avant de terminer ma phrase.
— Non ! je ne ferais plus jamais ça. Je ne suis pas venu dans le sud-ouest pour me prendre la tête. Je vais tracer ma route, et toi la tienne. Ton grand-père est âgé, il peut vivre très longtemps et je le lui souhaite. Je te ramènerai Tempête quand j'aurai terminé son dressage, après tout, il est à toi. À moins que tu ne veuilles le reprendre tout de suite.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Que je cherche la tranquillité, tu peux comprendre ça ? Et que je viens de me rendre compte que je n'ai pas grand-chose à attendre de toi. Mais réveille-toi, Nico, avant que les années passent et que tu te retrouves vieux et seul au milieu de tes asperges et de tes plants de maïs avec la bite en fleur.
— Tu peux parler ! Regarde-toi, tu te caches de moi comme si j'allais te rejeter pour quelques marques. Pour qui tu me prends, bordel ? Ils sont passés où, l'orgueil et la dignité que tu m'as démontrés en arrivant ici ? Je sais que tu as souffert Justin, mais moi aussi. Tu sais quoi ? lança-t-il en se dirigeant vers la porte. Je m'en vais, après tout, j'en ai ma claque, si tu ne me crois pas, tant pis pour toi.
Ses paroles étaient meurtrières parce qu'elles étaient vraies. Mais ça n'allait pas me tuer, ça non !
Peu de fois dans la vie j'avais fait preuve de détermination pour arriver jusqu'au bout des choses, mais jamais je ne m'étais bouché les oreilles quand il s'agissait d'écouter mes sentiments. Être trop gentil m'avait apporté pas mal de problèmes, mais mon instinct ne m'avait jamais fait défaut, même si je donnais l'impression d'être un idiot qui n'avait rien appris de la vie et des leçons qu'elle m'avait pourtant donné.
J'en avais marre de ne rien espérer. Peut-être que j'en demandais trop, je ne sais pas et je ne voulais même pas y réfléchir.
J'apprenais à mes dépens que quand on ne comprenait pas les règles du jeu, on avait déjà tout perdu. Ça, je le savais.
L'amour faisait mal, et il arrivait un moment, où la douleur t'obligeait à refermer ton cœur te laissant face à l'évidence et aux vérités qui frappaient avec force.
Ce type était allergique aux rêves, allergique à ressentir, allergique à l'amour vrai. Je me haïssais, mais je trouvai la force de me lever et d'aller lui ouvrir la porte pour le laisser sortir et la faire claquer quand il la traversa.
Je ne sais pas par quel moyen je me retrouvai chez Nelly. Évidemment, Greg était là, aussi. Elle m'offrit une tasse de tilleul qu'elle posa devant moi. Mais malgré leurs paroles réconfortantes, je ne fermai pas l'œil cette nuit-là.
Mon cœur ne battait plus jamais comme avant, il souffrait plus que moi. Parce que c'était lui qui s'était trompé. Encore.
Mes idées étaient assez claires pour savoir que ma vie ici sans lui me coûterait à un point inimaginable. Il était vital que j'en oublie jusqu'à son nom si je voulais être heureux un jour. Être capable de retrouver l'essence que j'avais perdue en l'espace de quelques heures devant le vieux et son fusil. Et avec le petit fils ensuite.
Poursuivre l'ombre de quelqu'un était fatigant. Pour la première fois de ma vie, j'avais réagi face aux affres de la jalousie. Attendre quelqu'un sans certitude pour l'avenir m'aurait épuisé. Cette attente me dévorerait si je continuais comme ça.
Ce n'étaient pas ses supplications qui allaient me convaincre de l'attendre encore. Quel intérêt ?
Je n'avais pas essayé de le rattraper.
Y avait-il quelque chose à rattraper de toute manière... ?
Mes jambes ne répondaient plus. J'étais assis par terre devant la cheminée, les jambes coincées entre mes bras. Tempête allait bien et je n'étais pas resté avec lui plus que nécessaire. Pas envie ce soir. Mon visage était décomposé à cause des larmes que j'avais versées. La douleur avait plusieurs visages, plusieurs raisons. Toutes différentes, mais tout aussi douloureuses. Je pleurais en silence. Seule ma respiration entrecoupée s'entendait.
Mon cœur s'était effrité en mille morceaux. Mon âme saignait, comme si un objet tranchant l'avait ouverte en deux. Ma tête tentait vainement de remettre ses idées en place, mais la douleur ne me le permettait pas.
Les lèvres tremblantes, j'essuyai mes yeux qui piquaient d'avoir tant pleuré.
Les heures passèrent sans que je ne m'en rende compte. Seuls le foyer qui faiblissait et le bip de mon téléphone annonçant un message me tirèrent de ce marasme. Je serais incapable de dire combien de temps je restai assis à même le sol pour regarder danser les flammes, sans les voir réellement. Le soleil de fin d'hiver qui se couchait derrière la fenêtre m'apprit que la nuit allait tomber.
Je m'en remettrais.
Je me relèverais, encore, et j'avancerais comme je me l'étais promis.
C'était comme ça...
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