Chapitre 39 : Vanessa (1/2)

Enfermée depuis presque vingt-quatre heures dans un enclos de quelques mètres carrés, Vanessa observe l'horloge de la gendarmerie sans ciller. De toute façon, elle n'a rien pour se distraire. La gendarmerie de Deauville s'avère très calme. Le taux de criminalité doit sans doute avoisiner les zéros pourcents. Malheureusement, il augmente constamment en raison des pratiques nocturnes de Louise et de Damien.

 La jeune fille n'est ni en colère, ni triste, ni même effrayée par le contexte. Au contraire, Vanessa se révèle fataliste. Il fallait bien que cela se produise : elle a été complice d'un crime monstrueux et par conséquent justice doit être faite. Depuis hier, Vanessa subit interrogatoires sur interrogatoires, toujours interrompus par un retour derrière les barreaux, afin qu'elle réfléchisse sur sa procédure à suivre. La jeune fille fit appel à son droit du silence, ne daignant pas leur révéler la vérité.

A sa mise en garde à vue, la jeune adulte endura la fermeté d'un policier acariâtre et sans pitié. Une véritable vermine, qui prend son métier manifestement très à cœur et qui souhaite à tout prix trouver l'auteur de ces multiples effractions. Malgré la pression qu'il exerçait sur elle, Vanessa ne lâcha rien. Plutôt mourir que de dénoncer ses amis, en particulier Louise. La jeune fille sait pertinemment que Louise ne supporterait pas de se retrouver en prison. Cela dit, Vanessa fut déçue par elle.

En souhaitant la faire craquer, cet irascible policier lui exposa chacun des délits dont elle est soi-disant suspectée. Et Vanessa avait essuyé des révélations choquantes et très regrettables. Louise et Damien n'ont pour ainsi dire pas chômé, depuis plusieurs mois. Ils n'ont épargné aucun commerçant des alentours et ont toujours agi avec extrêmement de précaution. A croire que tous deux sont passés maîtres dans l'art de voler le dur labeur de travailleurs innocents. En effet, Louise et Damien ont été suffisamment prudents pour ne pas se faire prendre. Qu'est-ce qui a provoqué l'arrestation de Vanessa ? C'est simple, la jeune fille commit l'erreur de retirer sa cagoule, lors du vol à cette pharmacie qui possédait une caméra justement tournée sur son visage.

La jeune fille était donc dans le collimateur des services de police depuis déjà un bon bout de temps. D'autant que la vieille dame légèrement agressée par Louise, s'empressa de porter plainte à la suite du drame. Vanessa doit donc assumer une plainte sur son dos. Par contre, le braquage de la bijouterie réduisit littéralement l'innocence de Vanessa à néant. La jeune fille avait été vue dans la boutique le jour même du délit et la vendeuse acerbe assura avec hargne que Vanessa était coupable car elle s'était disputée avec elle, lors de sa visite.

Vanessa se jure de ne plus jamais s'attirer les foudres d'un commerçant en colère ! Par ailleurs, la jeune fille réalise que le fameux bracelet offert par Louise n'est qu'une maudite preuve à l'appui qu'elle portait lorsque les policiers ont frappé à sa porte. Se retrouver condamnée à écoper de plusieurs années de prison, voilà ce dont la jeune fille a hérité pour ses dix-huit ans ! Heureusement, l'horrible flic à qui elle a eu affaire vient de terminer son service et Vanessa est désormais sous la coupe d'une femme qui se révèle plus humaine.

Cette dernière l'a déjà questionnée à deux reprises, en se montrant étonnamment compatissante. La garde à vue de Vanessa s'achève dans une demi-heure, à moins qu'elle ne se prolonge ou que cette fichue horloge ne soit pas correctement réglée... Son père accessoirement avocat, qu'elle réclame en permanence ne daigne pas se montrer. Elle pensait enfin pouvoir compter sur lui mais visiblement il a mieux à faire que de libérer sa fille des griffes des fédéraux.

Une irruption volcanique perturbe les pensées de Vanessa. La jeune fille quitte la banquette qui s'assimile plus à une plaque de béton et s'agrippe aux barreaux. Il s'agit de la voix de sa mère qui gagne ses oreilles. Elle la reconnaitrait entre mille. Matilde Beaumont se démène corps et âmes et parvient à bout de deux gardiens pourtant bien bâtis, afin de rejoindre sa fille.

 Vanessa prend en considération la situation dans laquelle elle se trouve, lorsqu'elle lit la détresse de sa mère dans son regard. Matilde secoue frénétiquement les barreaux qui la séparent de sa fille, en pleurant à chaudes larmes.

- Ma chérie ! proclame Matilde. Ne t'en fais pas, je vais te sortir de là !

- Maman, je n'ai rien fait ! Je te le promets...

- C'est évident ! s'écrie Matilde, en tentant d'échapper à la poigne d'un gardien. Ma fille ne ferait pas de mal à une mouche. Libérez-la !

La policière qui a pris en charge le dossier de Vanessa, s'affiche alors. Elle s'interpose entre les gardiens et Matilde afin de calmer le jeu. La mère de Vanessa s'enquit alors :

- Je vous ordonne de mettre fin à cette stupide arrestation. Elle est victime d'une terrible erreur judiciaire !

- Bonjour, je suis Madame Aubin, autrement dit commissaire de police. Ne vous inquiétez pas, la garde à vue de votre fille est sur le point de se terminer.

- Je vais pouvoir rentrer chez moi ? demande Vanessa, pleine d'espoir.

La policière hoche la tête en fouillant dans son trousseau de clé. Elle dégote une énorme clé en fer et tripote le verrou, afin de délivrer Vanessa. Matilde lui saute dans les bras et la palpe de toute part, comme pour s'assurer que sa fille n'a perdu aucuns organes vitaux.

- Rendez-lui ses affaires qu'on puisse quitter ce trou ! s'exclame Matilde

- Allons discuter dans mon bureau, le temps que sa surveillance se clore, propose le commissaire, calmement.

- Hors de question ! Je sais de quoi sont capables les policiers. Mon ex-mari m'a raconté beaucoup d'anecdotes sur vous et vous avez le don de manipuler des victimes pour qu'elles craquent sous la pression. C'est dégueulasse !

- J'ai conscience que Vanessa est innocente, lâche la policière, abruptement.

Cette remarque rabat le caquet de Matilde qui capitule alors. Les trois femmes parcourent quelques mètres avant d'atteindre une pièce que Vanessa connait désormais par cœur. La jeune fille a relevé la présence d'un livre de Freud sur une étagère : quelqu'un a dû être touché par des remarques intempestives sur sa culture et souhaite sans doute rapidement y remédier...

Par ailleurs, la jeune fille a tenté désespérément de définir l'odeur qui planait à l'intérieur. A son troisième interrogatoire, elle comprit qu'en plus du tabac froid et du café à bas prix, l'air ambiant était pollué par un relent de pizza en état de décomposition. En outre, Vanessa a pris le temps de compter les gobelets empilés les uns sur les autres et posés nonchalamment sur le coin du bureau. Elle en a dénombré cinquante-six, ou bien cinquante-sept ; Vanessa n'en est pas encore certaine mais elle compte bien le vérifier lors de son ultime visite, dans ce bureau.

La jeune fille s'installe à sa place tandis que la policière déplie une chaise pour Matilde. Vanessa s'apprête à recenser les gobelets quand elle s'aperçoit qu'ils ont disparu. Elle vit cela comme un drame. C'était le seul moyen qu'elle avait trouvé pour se dérober des accusations dont on l'impute. Prête à reprendre les interrogations, le commissaire énonce :

- Madame Diakos, je...

- Beaumont ! Cela fait longtemps que je ne m'appelle plus Diakos. D'ailleurs où est son père ? Monsieur Dakios va la défendre. En plus d'être son père, il est son avocat.

- J'ai eu la chance de l'avoir au téléphone, affirme la policière. Il arrivera d'une seconde à l'autre.

- Cet homme n'est jamais là quand on a besoin de lui ! constate Matilde, avec effroi.

- Maman, s'il te plait. Ce n'est pas le moment...

Matilde souffle bruyamment, témoignant de son mécontentement. L'agent affiche un sourire de connivence et explique à Matilde :

- J'ai l'intime conviction que votre fille n'a rien à faire là.

- Enfin, une parole censée !

- Voyez-vous, on lui reproche plusieurs braquages qui ont eu lieu sur Deauville et ailleurs. Un en particulier. Celui d'une pharmacie près d'Alençon.

- Tu étais partie en vacances, à côté d'Alençon ! lâche Matilde, spontanément

Vanessa fusille sa mère du regard. N'a-t-elle pas conscience que le silence est leur meilleure arme ? La policière s'exclame alors :

- Mademoiselle Diakos, vous feriez mieux de nous dévoiler ce que vous savez de Damien Lange.

« Lange, Damien ne fait vraiment pas honneur à son nom si chaste », pense Vanessa.

- Ma puce, connais-tu ce Damien ? s'interroge Matilde

- Non...

- En êtes-vous certaine ? reprend le commissaire, avec insistance. Nous sommes quasi sûrs qu'il est le leader de ces crimes à répétitions car le mode d'opération de ces vols lui est propre. Nous sommes convaincus qu'il récidive. Un complice l'accompagne systématiquement et encore une fois, je sais que ce n'est pas vous. Vanessa, vous ne possédez pas le profil d'une criminelle.

On frappe soudain à la porte. Le commissaire se redresse sur sa chaise et demande qui la dérange. L'un de ses collègues l'informe qu'il s'agit de l'avocat attitré de Vanessa. Cette dernière lâche un soupir de soulagement, tandis que Matilde se crispe de tout son corps. A partir de maintenant, la jeune fille n'a plus rien à craindre.

Engoncé dans un costume guindé, Alexi Diakos a le regard grave. Il se penche pour serrer la main du commissaire, avant de se poster debout derrière sa fille, afin de lui témoigner tout son soutien. Son père s'excuse d'avoir mis autant de temps et justifie son retard par un déplacement sur la ville de Lyon. Puis, il pose fermement ses mains sur les épaules fatiguées de Vanessa. Désormais, elle peut relâcher la pression et se laisser protéger par l'indéniable professionnalisme de son père.

Lui et madame Aubin reprennent le dossier de Vanessa en long en large. Monsieur Diakos dégote une raison valable et plausible à chaque question qu'on lui pose. La demi-heure passe sans encombre et Alexi Diakos souligne très justement qu'il est temps de mettre fin à cette mascarade. Résignée, le commissaire les raccompagne à l'accueil.

Un policier rend les biens de Vanessa qu'on lui avait confisqués à son arrivée, excepté le fameux bracelet qui est une pièce à conviction. De toute de façon, la jeune fille ne comptait pas le reporter de nouveau. Matilde demande alors au commissaire :

- Les charges contre Vanessa sont donc abandonnées ?

- Pas tout à fait... Il suffit seulement qu'elle accepte de nous aider dans notre enquête, en cessant de protéger son ami.

- C'est terrible ! fulmine Matilde. Alexi, fais quelque chose. Je ne veux pas que cette histoire soit une contrainte à son avenir.

- Pour le moment, on rentre, articule son ex-mari, en demeurant impassible.

Tous les trois sortent de la gendarmerie en silence. Vanessa et Alexi se dirigent vers le véhicule de ce dernier. En parallèle, Matilde se place au bord de la route, les bras croisés. Alexi lance un regard interrogateur à sa fille qui lui répond alors :

- Tu ne croyais tout de même pas qu'elle entrerait dans ta voiture, sans faire un scandale.

- Bon sang, Matilde ! crie Alexi. Qu'est-ce que tu fiches ?

- Je cherche mon taxi qui était censée nous attendre Vanessa et moi. Manifestement, il est aussi lâche que toi en osant abandonner une femme sans défense.

Perchée sur des hauts talons aiguilles et arborant un brushing impeccable, Matilde a tout sauf l'air d'une femme en danger. Alexi débloque sa voiture, laissant sa fille se jeter à l'arrière. Vanessa attache sa ceinture, en observant son père se battre bec et ongle, pour obtenir gain de cause. Matilde fuit timidement son regard tout en lui criant dessus avec hardiesse.

La haine dont elle témoigne est aussi forte que l'amour qu'elle éprouve pour son ex-mari. Vanessa s'impatiente grandement. Ce n'est guère le moment pour s'offrir une scène de ménage. La jeune fille a passé une nuit effroyable, durant laquelle son futur était clairement remis en question mais ses parents trouvent encore le moyen d'accorder de l'importance à leur histoire d'amour, qui pourtant est terminée depuis belle lurette.

Prompte à quitter ce lieu désagréable, Vanessa ouvre sa portière et ordonne à ses parents de regagner la voiture illico. A croire que les rôles ont été échangés et que la jeune fille est devenue la tutrice de deux adultes dont la maturité frôle celle d'un adolescent en pleine crise existentielle. Réalisant que leur comportement s'avère ridicule, Matilde et Alexi s'exécutent et s'installent à l'avant dans un silence de plomb. Vanessa les en remercie intimement : elle n'a aucune envie d'assister à un déballage d'insultes en tout genre.

Le trajet est court et se déroule sans problèmes. Alexi rentre sa voiture dans le garage de son ancienne demeure, car il n'y a aucune place libre dans la rue. Vanessa tente de quitter le véhicule mais en vain car son père a activé le système de sécurité des portières. Il ajuste son rétroviseur intérieur afin de jeter son regard directement sur le reflet de sa fille.

- Tes deux parents sont aujourd'hui réunis, clame-t-il, avec sérieux. Profite-en pour nous dire la vérité. Comment se fait-il qu'on te soupçonne d'être l'un des braqueurs de Deauville ?

- Je me suis entourée des mauvaises personnes, réplique Vanessa, dans le vague.

- Est-ce un piège que l'on t'a tendu ? demande Matilde. Est-ce que quelqu'un t'en veut pour une raison spécifique ?

- Pas du tout ! Enfin, je ne crois pas... En réalité, je connais ce Damien Lange. Il est responsable de tous ces délits. Louise est aussi dans le coup.

Matilde fait volte-face, au risque de se provoquer un torticolis et s'écrie :

- Louise Legrand ? La sœur de Baptiste ?

- Elle en personne, répond Vanessa. Mais je suis convaincue que c'est quelqu'un de bien. Elle est juste paumée et a la fâcheuse tendance de toujours prendre les mauvaises décisions.

- Et Damien ? relève Alexi, afin d'en savoir plus sur le garçon qui a envoyé sa fille en prison.

- Je pense qu'il préfère continuer d'agir mal plutôt que de tenter de s'en sortir... Papa, qu'est-ce qu'il va se passer ?

- Il est nécessaire que tes amis se rendent à la police, afin que tu sois complètement innocentée.

Vanessa soupire. Cette hypothèse est loin de se produire : Louise n'est pas suffisamment courageuse pour assumer ses actes et Damien... reste Damien !




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