Chapitre 29 : Louise

- Encore gagné ! s'écrie Caroline. J'avais oublié que j'étais aussi forte à ce jeu.

- Chérie, tu m'impressionnes, répond Charles, feignant l'admiration.

Le couple s'embrasse tendrement. Louise soupire. Jouer à la belote est loin d'être son passe-temps favori. Ses parents n'ont cessé de l'occuper en s'adonnant à tous les jeux de société imaginables. Une partie de Monopoly par-ci, deux ou trois manches de Trivial Poursuit par-là, sans épargner le fameux jeu de l'oie... La jeune fille est condamnée à jouer sagement, pour le plus grand plaisir de ses parents.

Ravis d'avoir enfin un œil sur leur fille, Charles et Caroline sont persuadés d'égayer son quotidien, en lui faisant oublier Léo et sa maladie. Louise s'amusait bien, jusqu'à ce que Jeanne soit appelée par Elias et qu'elle la laisse entre les mains de ses parents. Depuis le début de l'après-midi, tous deux n'ont pas bougé d'un pouce et semblent partis pour passer encore plusieurs heures, autour de la table du salon.

La veille, Louise était rentrée de sa virée nocturne, sans commettre d'impairs. Ni Jeanne ni ses parents n'avaient remarqué sa petite escapade. Louis est une bonne comédienne : elle a le don de cacher les choses et ce, dans son propre intérêt. Ce n'est pas pour rien qu'elle a réussi à dissimuler son anorexie, pendant plusieurs mois.

Aujourd'hui, c'est différent. Sa rencontre avec Damien a su apporter un peu d'action, dans sa vie. Elle ne le connaît pas et a pourtant l'impression du contraire. La jeune fille relève la tête et observe l'horloge, tandis que son père redistribue les cartes. Le cadran affiche quinze heures cinquante-cinq. D'ici quelque minute, elle se débarrassera de ce calvaire qu'est devenu ce moment familial. Charles annonce l'atout : la dame de cœur. Ça tombe bien : elle n'a que du trèfle !

Apercevant la mine réjouie de sa mère, Louise sait d'avance qu'elle dominera cette partie, comme les précédentes. Quinze heures cinquante-huit. Caroline enchaîne les petites victoires, au grand désespoir de son mari qui tente vainement de bluffer. Louise rit intérieurement : c'est difficile de bluffer, à la belote. Tout n'est qu'une histoire de hasard ! Quinze heures cinquante-neuf.

- Capot pour tous les deux ! s'écrie sa mère, en remuant ses points en l'air.

En effet, Caroline a remporté tous les plis et ses adversaires sont désormais dépourvus de cartes. Fière d'elle, cette dernière s'applique à compter ses points. Désabusé, Charles lance alors :

- Caro', tu as les trente-deux cartes ! Nul besoin de comptabiliser : cela fait deux cent-cinquante points.

- Ah oui ! Tu as raison.

- Seize heures ! s'écrie soudainement Louise, en faisant un bond, hors de sa chaise.

Ses parents l'observent, comme si elle venait de lâcher une grossièreté. Pédagogue dans l'âme, sa mère s'exclame, avec tendresse :

- C'est vrai, ma puce. C'est l'heure du goûter. Je vais préparer une salade de fruits et ensuite, on s'y remet.

- Par pitié, non... murmure Louise, en se dirigeant vers la commode.

- Tu as quelque chose de mieux à faire ? s'interroge son père.

Louise fouille dans le meuble et attrape l'appareil photo qu'ils utilisent tous, lors de leurs vacances. Puis, elle enfile le cordon de l'objet, autour de son cou.

- Oui, je comptais photographier les mouettes, sur la plage, invente la jeune fille.

- Comme quand tu étais petite ! s'exprime sa mère. C'est si mignon mais il n'y a aucune raison que tu y ailles seule...

- Oui, on va t'accompagner, ajoute Charles, en se levant.

Louise sourit de toutes ses dents, cherchant un moyen d'échapper à ses parents certes bienveillants mais surtout très étouffants. Auparavant, la jeune fille se plaignait de leur absence et jugeait qu'ils avaient bien trop de déplacements à accomplir.

Aujourd'hui, elle mesure sa chance de ne pas avoir ces deux adultes, toujours sur son dos. Tout à coup, elle découvre une parade qui risque de faire son effet.

- Souvenez-vous des conseils de mon ancienne psy, commence Louise. Elle vous recommandait de me donner un peu d'espace.

- Et donc... j'imagine qu'il s'agit du moment que tu as choisi pour avoir de l'espace, comprend son père.

- Juste une heure ! Soixante minutes. Trois mille six-cent secondes...

- Très bien, accepte Caroline. On capitule mais ne tarde pas trop.

Louise les gratifie d'un baiser sur la joue, avant de décamper. Au bout de la rue, l'attend Damien. Il porte cette indéniable veste en cuir. A croire qu'on la lui a greffé sur la peau. Son style débraillé n'enlève cependant, rien à son charme.

- Tu es en retard, signale Damien.

- Comme le sais-tu ? Tu n'as pas de montre.

- L'église du quartier est ma montre ! Les gens sont cons : ils s'achètent des Rolex valant la peau du cul alors qu'ils ont l'heure, à portée de main.

Louise est toujours interpellée par la pertinence de ses propos. Ils demeurent peu châtiés mais paraissent lourds de sens.

- Bon, cette fois-ci, c'est toi le guide, dit-il. Quelle est notre destination ?

- Le camping des « Flots bleus », répond Louise, en menant la marche.

Damien la suit, sans poser de questions. En bon ermite qu'il est, ce jeune homme fait confiance en sa destinée et pense que tout est écrit, dans la vie. Voilà pourquoi, il ne se sent jamais responsable de ses actes. A la moitié du chemin, Damien lâche alors :

- La première fois que l'on s'est vu, tu sortais du centre médical, n'est-ce pas ?

- Exact.

- Par simple curiosité, j'y ais fait un tour. Trois médecins exercent dans ce cabinet : un urologue, un gériatre et un nutritionniste.

Louise s'oblige à garder la cadence, ne trahissant pas ce stress qui la gagne alors. Damien poursuit donc :

- A moins que tu sois atteinte du syndrome de Benjamin Button ou que tu possèdes un pénis, je ne vois plus qu'une seule option.

- Je t'écoute... souffle-t-elle, en apercevant la pancarte du camping.

- J'en ai déduis que tu souffrais de problèmes de poids.

La jeune fille s'arrête net et s'exclame :

- Je constate qu'en dehors d'établir des stratégies de cambriolages, ton cerveau formule énormément d'hypothèses.

- Je sais, j'ai un potentiel intellectuel monstrueux ! Alors ? Quel est le verdict ?

Il ne semble pas la juger. Jusque là, une personne en dehors de son entourage, s'était comportée comme lui et il s'agissait de Vanessa. Depuis, cette dernière n'a jamais trahi son secret. Pourquoi Damien ferait-il le contraire ? D'autant que Louise ne partage pas son cercle d'amis, si tant est qu'il en est un ! A qui pourrait-il révéler sa maladie ?

Damien porte les apparences d'un loup solitaire qui ne s'entoure que de très peu de gens. Louise en vient à la conclusion que son nouvel ami est digne de confiance. Elle lui dévoile donc son anorexie, sans rentrer dans les détails.

- C'est triste, affirme-t-il. La vie est une sombre merde.

- Je ne te le fais pas dire... Et toi ? Je ne sais rien sur toi. Mise à part que tu erres dans les rues de Deauville et que tu donnes des leçons à chacun des commerçants qui t'envoient balader.

- C'est un bon résumé mais si tu veux me connaître davantage, je t'autorise à me poser autant de questions que tu souhaites.

Louise s'en donne à cœur joie. Elle apprend alors que Damien a vingt-cinq ans, que son parcours scolaire fut chaotique et qu'il a ruiné sa vie, à cause d'une grave erreur qu'il a effectuée. Par conséquent, il ne parle plus à ses parents, depuis des années. La raison ? Damien n'a pas voulu la céder. Louise n'insiste pas car ils atteignent enfin les « Flots bleus ». Un sourire se dessine sur son visage.

- Un camping ? s'interroge Damien.

- Comme toi, je prends ma revanche.

- Ça m'intéresse. Je vois que j'ai mis peu de temps, pour te rallier à ma cause qui consiste à faire chier le monde entier.

- Cela faisait longtemps que cela me trottait dans la tête. Mon frère comptait s'en charger mais il a battu en retraite.

- On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, conclut Damien.

Louise acquiesce. Ils entrent dans le camping, derrière une voiture. Louise se rappelle de la réservation qu'avait prise ses parents, samedi matin. Les Gomez s'y étaient rendus, le soir même. L'allée H, le mobil-home vingt-six. Coup de chance, Louise trouve rapidement sa cible. Elle surprend les Gomez, installés sur des chaises en plastique.

Aussitôt, Louise incite Damien à se terrer, derrière un buisson. Quelque seconde passent, durant lesquels la jeune fille doute de ce qu'elle s'apprête à faire. Les frères de Lisa jouent au ballon, sous le regard désespéré de leurs parents. Ces derniers paraissent abattus. Louise ressent une pointe de compassion qu'elle oublie sitôt qu'elle aperçoit Lisa. Sortant de son tout nouveau palace, Lisa trimballe un seau, rempli de linges. Le visage de Damien devient blême.

- Cette fille est l'une des plus grandes garces de ce monde, explique Louise.

- Je sais...

- Quoi ? Tu la connais ?

Damien soupire, en hochant la tête. Stoïque, il observe Lisa, avec émotion.

- C'est en partie, à cause d'elle que j'ai détruit ma vie ! crache-t-il, avec hargne. Je la déteste.

- Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?

- Peu importe... murmure-t-il, en essuyant des larmes éclorent dans ses yeux. En quoi consiste ta vengeance ?

- Elle s'est retrouvée à la rue, mais bien sûr, personne n'en sait rien. Moi, je compte rectifier le tir...

Lisa étend son linge, sur un fil, accroché à deux arbres. Ce spectacle est si dégradant pour une jeune fille qui n'a vécu que dans le luxe. Louise prend une dizaine de clichés, immortalisant cette scène pitoyable. Puis, elle apporte quelques précisions à Damien. Son plan : imprimer ces jolies images qu'elle collera sur une grande feuille et qui comportera un titre très évocateur.

Ne souhaitant pas éveiller les soupçons sur elle, Louise demande alors à Damien d'afficher son œuvre, sur le mur de son lycée. Le jeune homme accepte, sans broncher. Il se réjouit d'ailleurs de blesser cette poufiasse. Demain, au petit matin, la réputation de Lisa sera partie aux oubliettes...

Le lendemain matin, Louise est réveillée par son père. Lorsqu'elle descend, au rée-de-chaussée, elle constate que Baptiste est de retour. Il est rentré tard, dans la nuit. Quand elle le questionne sur son séjour à Paris, il lui répond qu'il fut tout sauf reposant. Louise ne relève pas sa remarque, persuadée qu'Alyson ne l'a pas laissé respirer. Par ailleurs, la jeune fille réalise que sa mère a quitté le domicile, très tôt. Elle lui a d'ailleurs laissé un gentil mot, sur sa table de nuit, lui conseillant de l'appeler, à la moindre contrariété.

Charles s'en va aussi, dans la journée. Les enfants Legrand vont donc rester seuls, pour plusieurs semaines, tout en étant surveiller par Vanda. Louise est heureuse de retrouver sa liberté. Cela devenait lassant de mentir à ses parents. Désormais, elle pourra sortir avec Damien, quand ça lui chante. Durant le petit-déjeuner, Charles pousse des invectives, en lisant son journal. Consterné, il lit la Une, à ses enfants.

- Plusieurs commerçants de Deauville ont été victime d'effraction. La démarche est subtile, adroite et prouve que l'auteur de ces crimes est un fin connaisseur des braquages.

- Quels commerces a été touché ? demande Jeanne, en croquant dans une barre de céréales.

- L'épicerie de monsieur Jourdain, entre autres, répond leur père. Dans quel monde vivons-nous ?

« Dans un monde égoïste, hypocrite et dans lequel c'est chacun pour soi », se dit Louise. Sa famille critique activement le système judiciaire qui met beaucoup trop de temps, pour enfermer ces bandits, derrière les barreaux. Si ses proches savaient qu'elle a participé à l'un de ces délits... Louise demeure silencieuse, impatiente à l'idée que sa vengeance soit mise à exécution. A cette heure-ci, Damien doit déjà placarder son affiche...

Leur petit-déjeuner avalé, les enfants Legrand saluent leur père qu'ils ne verront pas avant longtemps. Ils sortent ensuite et attendent que Vanessa arrive pour regagner le lycée. Louise est très excitée mais ne montre rien. Baptiste ne sait pas qu'elle connait la situation de Lisa. Grâce à Damien, jamais il ne pourra la suspecter. Le moment est enfin venu. Une troupe s'est déjà crée devant « le mur de la honte ». Louise jubile. Au loin, elle distingue Damien qui observe le spectacle, en tirant sur sa cigarette. Il lui fait un clin d'œil, Louise lui répond par un hochement de tête.

Alarmé par cet attroupement inhabituel, Baptiste bouscule tout le monde, se créant un passage. Jeanne, Vanessa et Louise le suivent. Devant l'affiche, Lisa est là. Elle pleure à chaudes larmes et subit les premières moqueries qui l'assaillent, de toute part. Olympe et Garance la scrutent comme une bête de foire. Auraient-elles oublié que Lisa est leur meilleure amie ?

Louise fait mine de ne pas comprendre, tout en se félicitant d'avoir accompli l'exploit de rabattre le caquet de Lisa. La jeune fille est particulièrement fière de la phrase qu'elle a inscrite sur sa pancarte : « De Paris Hilton à Cendrillon des temps modernes, Lisa Gomez fait désormais parti des gens du petit peuple ». Tout à coup, Baptiste arrache la feuille, d'un simple mouvement de bras. Puis, il se retourne sur Vanessa et s'écrie :

- Comment as-tu pu faire ça ?

- De quoi tu parles ? s'étonne Vanessa.

- Tu étais la seule à qui j'avais parlé de la situation de Lisa ! Je ne pensais pas que ta jalousie pouvait te conduire à de tels extrêmes ! Tu me dégoutes.

Vanessa reste pantoise. Lisa prend soin de la fusiller du regard, avant de disparaitre, à l'intérieur du lycée. Hors de lui, Baptiste bouscule sa petite-amie, pour aller consoler sa petite protégée. La colère de Baptiste a calmé les esprits, conduisant chaque élève à rentrer sagement dans l'enceinte du lycée.

Louise se mordille nerveusement les lèvres. Cela ne s'est pas exactement déroulé, comme elle l'avait souhaitée. Honteuse d'avoir fichue la pagaille dans le couple de son frère, Louise suit les autres mais Vanessa la rattrape. Elle l'oblige à faire volte-face et s'exclame :

- Je sais que c'est toi.

- Mais... je...

- Je ne suis pas née de la dernière pluie, dit son amie. J'ai bien vu que tu te réjouissais de cette mascarade.

- Comme tout le monde ! se défend Louise.

- Pas tout à fait ! Les autres sont contents d'avoir dégoté une nouvelle personne à railler. Quant à toi, tu es restée en retrait comme pour admirer le fruit de ton travail.

Louise fronce les sourcils. Vanessa aurait-elle des dons de voyance ?

- Je comprends ton geste mais c'est injuste qu'il me retombe dessus !

- Baptiste finira par te pardonner, assure Louise, en l'observant réconforter Lisa. Je veux dire par là, que c'est préférable que Baptiste pense que tu sois la source de cette vengeance.

- Pourquoi ?

- Il ne te connait pas assez... Il ne sait pas de quoi tu es capable, explique Louise. Depuis toujours, il m'idéalise. Ça lui ferait trop de peine de constater que je sois capable de faire preuve d'autant de méchanceté...

La cloche sonne. Vanessa rend les armes et regagne leur classe, sous le regard dur de Baptiste. Louise souffle et fait demi-tour. Damien est encore là. Elle décide de le rejoindre. Avec lui, tout paraît si facile. Au diable le lycée ! Louise choisit la liberté...

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Chapitre 29 posté.

Louise prend sa vie en main et décide de se rebeller. Qu'Est-ce que cela va bien donner ? Malgré leur week-end romantique, Vanessa et Baptiste subissent un terrible malentendu. Vanessa va-t-elle décider de dénoncer Louise ou de garder le silence ? Dans tous les cas, sa décision risque d'avoir de grandes conséquences...

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Bisous !!!!

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