CHAPITRE 8
Las Vegas - De nos jours.
Improductivité maximale.
Capacité d'écoute frôlant le zéro.
Humeur de poisson rouge rêvant d'océan.
Voilà les qualificatifs définissant mon humeur depuis ces quatre dernières semaines. Depuis la dernière fois que j'avais vu Isaac. Depuis qu'il m'avait avoué repartir pour le Brésil - avec Irina - et qu'il avait voulu récupérer les soit disants codes. Chose qui s'était soldée par un échec car, de panique et de colère, je m'étais mise à hurler. Ameutant par la même occasion la moitié du personnel médical dans ma chambre. Face à ma réaction, Isaac m'avait adressé un regard que j'avais été incapable d'interpréter en pestant dans sa langue maternelle, puis avait disparu.
Je ne savais plus quoi penser.
De lui.
De nous.
Bientôt un mois et je n'avais eu aucune explications. Encore moins de nouvelles de lui excepté un téléphone portable qu'il m'avait fait parvenir via une des infirmières.
«Pour rester en contact avec vous lors de son voyage, m'avait-elle dit.»
J'avais ri jaune à cette phrase.
Mon premier réflexe avait été de pianoter un texto bien salé à son intention. Mais happée d'un élan soudain de raison et d'une lucidité fourvoyée, j'avais bâillonner à triple tour le petit diablotin sur mon épaule qui m'ordonnait d'arracher les bijoux de famille d'un certain chef de gang pour lui faire passer l'envie de me prendre pour la reine des imbéciles.
J'avais donc pris sur moi et tout effacer avant de commettre l'irréparable. Silence radio, mise en veilleuse.
Pourquoi repartir là-bas ?
Pour son business ?
Pourquoi j'avais fini à l'hôpital ?
Étais-je vraiment la cible ou bien un simple dommage collatéral ?
Mais aussi, m'avait-il remplacée durant tout ce temps ?
Un étau comprima ma poitrine et une boule remonta le long de ma trachée. Je connaissais suffisamment bien Isaac pour connaître la réponse à cette dernière question.
Idiote que je suis.
—Je te déteste, maugréai-je à voix basse sur le tapis de course.
—C'est pour votre bien, Sara. Gardez ça à l'esprit et restez concentrée.
La voix du kiné me ramena un peu trop brusquement sur Terre. Essoufflée et le visage rougit par l'effort, je reportai mon attention sur lui.
—Ça ne vous était pas destiné. Désolée.
Un mince mais néanmoins franc sourire étira ses lèvres pendant qu'il lissait sa moustache avec ses doigts, devant moi.
—Je sais qu'à l'heure actuelle vous devez me haïr, dit-il en prenant des notes. Mais croyez-moi, vous me remercierez quand vous aurez retrouvé toutes vos facultés motrices.
Persuadé que ma mauvaise humeur lui était destinée, il m'incita à poursuivre les exercices d'un geste négligé de la main.
Je roulai des yeux mais m'abstins de tout commentaire. Après tout, cet homme ne faisait que son travail. En silence, je repris donc de plus belle mes foulées sur l'appareil de rééducation. Mes muscles commençaient à se faire douloureux et ma respiration laborieuse. Cependant, je ne lâchais rien. Plus tôt remise d'aplomb et plus rapide allait être ma sortie. Elle était prévue dans cinq jours et je ne comptais pas la louper.
(...)
Mon état s'améliorant de jour en jour, j'avais enfin quitté les soins intensifs pour le service de réadaptation et de convalescence. Même si désormais je n'étais plus en chambre individuelle, le fait de savoir que j'allais bientôt partir d'ici m'avait regonflée à bloc.
Pour autant, mon besoin de vérité était toujours intacte.
—Que tu le veuilles ou non, j'aurai mes réponses, Barrosa, murmurai-je.
Voilà donc où j'en étais en ce vendredi après-midi, dans mon lit devant mon plateaux-repas, en tête-à-tête avec ma colère et les nombreux hurlements de ma conscience.
Pas vraiment certaine que c'était la meilleure des options pour ma santé mentale que d'intérioriser. En revanche j'étais assez fière de moi. Pour une fois, je ne m'étais pas laissée guider par un comportement hâtif et irréfléchi même si, on n'allait pas se mentir, le moins pire des scénarios qui encombrait mon cerveau me faisait déjà prendre perpét' avec pour chef d'accusation, double meurtre avec préméditation.
Je soupirai.
Mue par un trop-plein d'inertie sédentaire intellectuel.
Bref regard à l'horloge digitale accrochée au mur en face de moi, disposée juste au-dessus de la tête d'un autre patient qui partageait ma chambre et dont je ne me souvenais jamais du prénom - on l'appellera Bernard - concentré à dévorer son assiette et qui semblait avoir égaré ses cheveux dans une prise électrique de bon matin.
Midi vingt-deux.
Bonne nouvelle, il ne me restait plus qu'une petite heure avant de partir pour la rééducation.
Mauvaise nouvelle, même en si peu de temps, mes neurones aliénés étaient capables d'élaborer avec une facilité déconcertante un script à faire pâlir de jalousie le meilleur thriller du moment.
Il fallait vraiment que je me calme. Je n'avais aucune envie de finir en prison.
Je ricanai amer à ma réflexion.
Ça risquait de faire tâche, de compromettre fortement ma réembauche dans le cabinet d'avocats pour lequel j'avais travaillé durant un an avant mon accident. Une assistante juridique derrière les barreaux, ça pouvait faire désordre.
Situation un peu ironique quand on savait qui je fréquentais.
J'éclatai d'un rire franc, cette fois-ci. Ce qui me valut un drôle de regard de la part de Nanard par-dessus ses lunettes.
Pas de soucis.
Les situations grotesques, j'avais l'habitude. C'était même inné chez moi. Et puis le ridicule n'avait jamais tué personne. J'étais quand même vachement bien placée pour le savoir.
—Sois brave et va courir sur l'autoroute, maronnai-je tandis que je piochais une frite dans mon assiette.
—Je vous demande pardon ?! s'insurgea-t-il.
J'avais dû parler plus fort que prévu. Gênée, je faisais comme si je ne l'avais pas entendu.
Je reportai alors mon intérêt sur le repas. Basique, simple, et qui patientait sagement sous mon nez, lorsque la sonnerie du portable m'avertissant de l'arrivée d'un nouveau message me coupa dans mon élan.
Surprise, j'observai celui-ci du coin de l'œil tandis que je devinai mon cher compagnon de chambre me fusiller du regard. Posé sur la tablette à mes côtés, l'écran s'alluma à plusieurs reprises. Curieuse mais aussi méfiante, j'abandonnai ma fourchette et sans grande délicatesse, le rapprochai furtivement de mon champ de vision à l'aide de mon index.
Oh et puis merde...
Au diable la discrétion.
Je m'en saisis à pleine main et déverrouillai l'écran dans la foulée sous l'air ahuri de super Nanard car le silence, pour lui, c'était sacré. Pas de bol, le calme et la tranquillité me fuyaient comme la peste.
[Prépare tes affaires je viens te chercher.
Jacobs.]
Quoi ?!
Sûr, je devais halluciner.
Ma bouche s'entrouvrit et se referma plusieurs fois en même temps que je relisais le message.
Pourquoi Bex viendrait me chercher ?
Est-ce Isaac qui lui a demandé ?
La désagréable impression qu'on se servait une nouvelle fois de moi refit surface. Je décidai donc de le laisser mariner un peu. Délaissai le téléphone et retournai à mon assiette.
Nouvel sms quelques secondes plus tard.
[Répondre n'est pas une option]
Hein ?!
Il est gonflé, lui !
Rageuse, je pianotai brièvement une réponse.
[Je mange, là...]
[Nan tu m'écris]
[Mais avant je mangeais !]
[J'arrive]
Quoi ?!
Je clignai plusieurs fois des yeux devant son texto, quand une odeur familière de nicotine vint rapidement chatouiller mes narines. Mon visage se tourna aussitôt en direction de la porte laissée entrebâillée par les infirmières et je découvris sans tarder le basané, une épaule appuyée sur l'encadrure, un portable entre les mains et cigarette coincée entre les lèvres.
J'hallucine !
—Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?!
—J'te l'ai dit, je viens te chercher. Ordre du patron.
Je plissai le regard.
—Bah tu diras à ton patron que je ne suis pas sous ses ordres, moi !
L'air indéchiffrable, il sembla peser mes paroles quelques secondes. Puis il baissa la tête et se mit à ricaner avant de faire un pas vers moi.
Je me raidis.
Attrapai le couteau au bout arrondi posé sur mon plateaux-repas et le pointai dans sa direction.
—N'approche pas, hein !
Il ricana encore tout en finissant de combler le vide qui nous séparait.
Arrivé à ma hauteur et visage baissé sur moi, il jeta sa clope dans mon verre d'eau avant de glisser jusqu'à mon oreille.
Je me figeai un peu plus.
—Tu lui diras toi-même, idiote, gronda-t-il à voix basse en poussant mon plateau.
Il agrippa mon poignet, passa un bras sous mes genoux et l'instant d'après, me souleva comme si je ne pesais rien.
—Lâche-moi !
Ses mains se refermèrent autour de mes jambes et dans mon dos. Les poings cognant sur ses épaules et mes pieds battant dans le vide, je tentais par tous les moyens de me soustraire à sa prise. Mon palpitant était au bord de la tachycardie.
Peine perdue.
Il se dirigea comme si de rien n'était vers la porte.
Je jetai un dernier regard désespéré à Nanard qui, tout comme moi, paraissait dépassé par les événements. Ahuri, il nous fixait tandis que ses joues avaient pris la couleur d'un steak en début de cuisson. Je crois qu'on l'avait officiellement perdu.
—Bex, merde ! Pose-moi !
—Désolé mais on doit te mettre à l'abri.
Je reculai mon visage et arquai un sourcil, affolée.
—À l'abri de quoi ?!
Un toussotement derrière nous me fit comprendre que super Nanard avait ressuscité d'entre les morts. Mais là, honnêtement, je m'en tamponnai le coquillard. Y avait plus urgent à traiter.
—De Guerreiro, avoua-t-il d'un timbre presque inaudible. Il te veut. Morte ou vivante.
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