CHAPITRE 6

[PDV Sara]

Le ballet incessant des médecins avait enfin cessé dans ma chambre. Le calme était revenu. Seule Madeline, une jeune infirmière, était présente.

Concentrée dans sa tâche, elle s'attelait avec plus ou moins de réussite à trouver une veine sous la peau fine et fragile du dos de ma main.

Mon regard ne quittait pas ses gestes.

—Ragh mince, je l'ai encore ratée, s'agaça-t-elle une nouvelle fois.

La mâchoire serrée, j'inspirai à plein poumon.

J'avais un profond respect pour tout le personnel soignant. Leurs conditions de travail s'avéraient difficiles et le manque de sommeil faisait souvent partie de leurs quotidiens. Ils allaient au feu. Des sauveurs de vies qui apaisaient les douleurs, aussi bien physiques qu'invisibles.

Mais comme partout, il y avait des exceptions. Et là il était évident que cette Madeline avait raté sa vocation.

—AÏE ! hurlai-je plus fort que je ne l'avais voulu.

L'air contrit par sa maladresse, son visage alarmé aux yeux paniqués se leva aussitôt sur le mien.

—Oh pardon je vous ai fait mal !

—Ça va ça va, mentis-je avec une grimace.

Non. Évidemment que ça n'allait pas.

Ma main tirait de plus en plus sur des nuances jaunes orangées à cause de toutes ces perfusions ratées et la douleur était à la limite du supportable. Dans un long soupire, je fermai les paupières en laissant ma tête basculer sur l'oreiller remonté derrière moi.

—C'est bon je l'ai eue !

Alléluia.

Une nouvelle grimace étira mes traits lorsqu'elle coinça l'aiguille avec un pansement.

Pitié doucement.

Ça pouvait paraître égoïste car c'était grâce au corps médical que j'étais encore de ce monde, mais je ne supportais plus le moindre toucher sur ma personne. Les innombrables heures passées à être auscultée et piquée de toutes parts depuis mon réveil m'avaient définitivement vaccinée.

J'en avais assez.

Je voulais sortir.

Marre de cette odeur iodée de bétadine qui s'imprégnait jusqu'à dans mes cheveux. Marre de ces bips répétitifs qu'émettaient toutes les machines branchées autour de mon lit. De ces murs pâles, froids et insipides.

Je ne dormais presque pas. Ou très mal.

Chaque nuit je refaisais le même cauchemar. Celui de ce fameux jour où tout avait basculé.

Plus les jours passaient et plus les souvenirs devenaient distincts, oppressants et tellement réels. Comme s'ils avaient eu lieu la veille.

Après s'être rétracté sur ses plans concernant Guerreiro, Isaac avait - à la surprise générale - décidé de rentrer sur Vegas. Ce qui l'avait poussé à faire ça m'était inconnu. Encore à l'heure actuelle je ne comprenais toujours pas sa réaction mais qu'importe, j'avais été heureuse d'avoir repris un semblant de vie normale.

Jusqu'à l'accident.

La veille de son anniversaire, le chef de gang avait fait privatiser l'un de ses casinos, à la sortie de la ville. Comme à son habitude il avait fait les choses en grand. Aucune demi-mesure. Ses amis proches, une bonne partie de ses hommes ainsi que quelques personnalités triées sur le volet étaient présents.

Peu de temps avant le début des festivités, nous étions dehors, face à l'imposant établissement. Tandis qu'il s'affairait à accueillir ses invités, je patientais un peu retrait. Présente pour lui mais dans l'ombre. Je n'avais jamais été une grande adepte de ce genre de mondanités. Mes derniers souvenirs avaient été des crissements de pneus accompagnés de phares aveuglants. Plusieurs coups de feu, la colère d'Isaac ainsi que les cris de Bex.

Et puis plus rien.

Je soufflai tout en me massant les tempes, me maudissant d'avoir été aussi naïve de penser qu'il était intouchable. Bien sûr qu'il était.

Par ma faute.

Un goût de bile inonda ma gorge tandis que je me redressai sur le matelas.

Bientôt une semaine qu'ils m'avaient sortie du coma et en dépit de la rééducation, j'avais l'impression de faire du sur place. Je n'arrivais toujours pas à marcher. Mes muscles étaient atrophiés, ma bouche aussi sèche que du papier et mon crâne me faisait souffrir en permanence.

J'étais un vrai légume.

—Madeline...

—Oui mademoiselle ?

—Je pourrais avoir un peu d'eau, s'il vous plaît ?

—Bien sûr. Attendez ne bougez pas. Enfin je veux dire, se reprit-elle rapidement, gênée, restez assise.

Comme si elle venait de se rendre compte de l'énormité de sa bêtise, elle secoua la tête et marmonna dans sa barbe pendant qu'elle remplissait le gobelet.

J'haussai les deux sourcils.

Sa faculté à être à côté de la plaque me fascinait presque.

—Tenez, dit-elle en me tendant le verre d'eau. Je vous ai mis une paille, ça sera plus facile pour vous.

Son visage s'illumina d'un sourire sincère que je tentai de lui renvoyer. Mais alors que mes lèvres s'entrouvrirent pour la remercier, on toqua à la porte. La seconde d'après, Isaac apparut dans l'encadrure de celle-ci.

Un poids libéra mon estomac et malgré les circonstances, le voir me faisait l'effet d'une bouffée d'oxygène. Néanmoins je ne laissai rien paraître. J'étais consciente que ce qui m'était arrivé avait certainement un lien avec lui. Cependant, ça n'était pas ce point qui me dérangeait. Mais plutôt celui où il gardait sous silence les raisons d'un tel acte et aussi, ses actions à venir. Je le connaissais bien maintenant. Je savais qu'il n'allait pas rester les bras croisés.

Isaac n'avait aucune limite.

Il était capable des pires atrocités, quitte à se mettre lui-même en danger pour se faire entendre et appuyer son autorité. C'était un chasseur insatiable pour ses victimes.

—Bonjour, trésor.

—Bonjour, Isaac.

Après avoir refermé la porte derrière lui, insondable et mains dans les poches, il s'avança à pas prudents dans la chambre. À mesure qu'il comblait la distance entre nous, mon cœur redoublait en intensité. À mon grand regret, cet homme avait un pouvoir inégalé sur moi. Je fonçais tête baissée à ses côtés, sans savoir où j'allais.

C'était plus fort que moi.

Sans me lâcher des yeux, il continua de s'approcher.

Vêtu d'un simple jean et d'une chemise noire aux manche retroussée, il imposait sa prestance par sa simple présence.

—Madeleine, souffla-t-il à l'intention de l'infirmière pour la saluer.

Son intonation était douce mais grave. Presque mélodieuse. Il venait d'endosser un de ses rôles favoris : celui de charmer son auditoire.

—Je... moi c'est Madeline.

J'osai un rapide regard vers elle.

Ses pommettes viraient à l'écarlate

Je levai les yeux au ciel.

—Une entrée digne du grand Barrosa, le piquai-je d'une voix chargée de morgue.

J'étais mauvaise car je voulais mes réponses.

Jusque là impassible, il se mit à ricaner alors que son célèbre rictus apparut à la commissure de ses lèvres.

—Je vois que tu as récupéré une bonne partie de tes facultés, mi querida.

Vexée, je pris une gorgée sans pour autant cesser de l'observer.

—Sache que tu es une bonne source d'inspiration, ripostai-je avec dérision.

À mes côtés, l'infirmière éclata de rire.

Merci Madeline.

Au moins, elle, était très réceptive à mon sarcasme.

—D'humeur joueuse ? renchérit Isaac.

—Tu crois que ça m'amuse d'être coincée dans ce lit ?!

Mon ton incisif avait au moins eu pour mérite de chasser ce rictus arrogant qui m'insupportait. Ses traits s'aiguisèrent et il se rembrunit aussitôt, c'était à prévoir. Je voulais taper où ça faisait mal pour le pousser hors de sa zone de confort afin d'avoir les réponses à mes questions.

—Sara, maugréa-t-il entre les dents en baissant la tête, ne t'aventure pas sur ce terrain-là.

Toujours les mains au fond de ses poches, une mèche capricieuse vint barrer son front.

—C'est pourtant la vérité.

Le regard noir, les traits durs et cassants, il replanta ses yeux dans les mien.

—Laissez-nous, somma-t-il d'une voix sèche pour l'infirmière.

Cette dernière obéit sans demander son reste et se dirigea vers la sortie.

L'atmosphère se chargea de mauvaises ondes.

Je ravalai avec difficulté ma salive.

—Si vous avez besoin de quoique ce...

—Au revoir, Madeleine, la coupa-t-il en revenant sur ses pas.

—Madeline. Mon prénom c'est Made...

Isaac ferma la porte au nez de la pauvre infirmière.

—Comment tu connais son prénom ? tentai-je pour faire redescendre un peu la pression.

De nouveau il s'avança vers moi. Mais son attitude n'avait plus rien à voir avec celle de tout à l'heure. En comité plus restreint désormais, il se permit de mettre quelques-unes de ses émotions à jour.

L'inquiétude, sûrement.

Le soulagement, peut-être.

Et la culpabilité, sans aucun doute.

Isaac...

—Crois-le ou non mais depuis ton réveil, je suis venu chaque putain de jour.

Méfiante quand il s'agissait de lui, mon regard se plissa.

J'avais du mal à croire en ses paroles. En lui. À leur donner du crédit. Je ne l'avais vu qu'une seule et unique fois depuis ma sortie du coma.

— À d'autres, Barrosa.

Un ricanement mêlé d'un soupire lui échappa tandis qu'il se campa face à moi, près du lit, à quelques centimètres.

Regard levé sur lui, je ne cillai pas même si c'était difficile.

—Si, appuya-t-il en replaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Tous les jours depuis une semaine je suis là, derrière cette porte. À discuter avec les médecins et cette Madeleine.

—Madeline, le repris-je.

Ses lèvres s'ourlèrent d'un fin sourire.

—Et comme elle est un peu bavarde, j'en ai profité pour avoir des nouvelles sur ton état.

—Bavarde ou intéressée ?

Un voile espiègle traversa ses prunelles.

—Jalouse ?

—Non.

Si.

—Tu m'emmerdes, ricana-t-il.

—Dis-moi la vérité, pour une fois. Qui est à l'origine de ça ? Et pourquoi ?

Il se releva sur-le-champ, agacé par ma question que je voulus pertinente. Une main malmenant ses cheveux, il se mit à arpenter la chambre en jurant dans sa langue maternelle.

—Isaac ?

Mais il ne m'écouta pas.

—Isaac !

Cette fois-ci il se stoppa.

Intransigeant, sombre et mauvais.

—Tu veux de la transparence. C'est ça ?! cracha-t-il à voix basse en posant ses deux bras sur le haut du lit, derrière moi.

Cette proximité soudaine mit à mal ma raison déjà bien amochée.

Son visage baissé sur le mien était un vrai supplice pour mes sens plus en alerte que jamais. Son parfum aux notes poivrées me parvint et je me surpris à fermer les yeux l'espace d'une courte seconde.

Déstabilisée, je me mordis presqu'à sang l'intérieur de la joue pour garder un semblant d'aplomb.

—Je veux la vérité !

—Je repars ce soir pour le Brésil et Irina m'accompagne. Mais avant ça, il me faut les codes, Sara.

J'arquai un sourcil plus que douteux.

Rien n'allait dans cette phrase.

—Pardon ?!

—Les codes. Je vais récupérer les codes, mi querida.

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