CHAPITRE 5
L'orage grondait au loin.
Quelques éclairs fourvoyaient l'obscurité de ce début de nuit tandis que la pluie frappait sur les carreaux de la fenêtre, derrière moi.
La tempête arrivait.
Une cheville en appuie sur un genou, un coude sur l'accotoir de mon fauteuil et un doigt tapotant ma bouche, j'observai tour à tour mes hommes les plus chevronnés. Neutre et sans ciller.
Fixant un point invisible, Ali était assis face à moi. Je devinai son pied battre la mesure sur le parquet en chêne, laissant sous-entendre une nervosité palpable. Johnn, lui, se tenait debout à ses côtés. Les bras croisés et le regard rivé droit devant lui, il arborait une attitude déterminée. Ce type était un véritable atout pour nos troupes. Sous ses airs juvéniles au teint d'albâtre, se cachait un jeune homme doté d'une intelligence hors normes. Capable d'analyser une situation en moitié moins de temps que nous tous ici réunis. Ses compétences en matière de combats n'étaient également plus à prouver.
Contraint à voler pour subvenir aux besoins de ses frères et sœurs, il s'était rapidement fait un nom grâce à son adresse ainsi que son acuité. Rapide, agile et ingénieux, sa faculté à pencher vers le vide lors de ses prises de risques sans jamais tomber, lui avaient valut le surnom du Funambule dans le milieu. Je l'avais repéré, cinq ans plus tôt, alors qu'il tentait de subtiliser ma caisse dans un des quartiers pauvres de Vegas. En échange de sa loyauté envers la Santa Muerte, je lui avais laissé la vie sauve et m'était engagé à ce que sa famille ne soit plus jamais dans le besoin.
J'avais une confiance totale en lui.
Mon regard dévia sur Jacobs.
Appuyé d'une épaule, sur le mur en peu plus au fond, une cigarette coincée entre ses lèvres et l'air absent, il était à lui seul une carte maîtresse du cartel. Malin , offensif et tête brûlée de première catégorie, sa dangerosité résidait dans le fait que personne ne pouvait le raisonner.
Ne manquait plus que...
—Où est Sebastian ? demandai-je.
Ma question trancha le silence.
—Il arrive, répondit aussitôt Johnn. Il avait un truc urgent à faire. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit quand je l'ai croisé pour venir ici.
J'arquai un sourcil douteux.
Son retard ne me disait rien qui vaille.
—Ah ça, je l'avais prévenu, souligna Ali désabusé, les deux mains levées. Ces foutus de tacos étaient bien trop épicés. Perso ça m'a filé la courante. Radical pour se déboucher les tuyaux !
Mon attention se reporta sur lui tandis que j'entendis Jacobs ricaner dans son coin.
Mauvais, je mitraillai l'imprudent du regard, alourdissant davantage l'atmosphère d'une tension brutale. Je ne clignai même pas des paupières.
—Je connais une autre méthode pour décaper les intestins, Ali, sifflai-je d'une voix calme mais tout aussi sinistre. À toi de voir si tu veux l'essayer.
Ce dernier perdit de ses couleurs et se ratatina sur son siège.
Bien.
Dans un profond soupire, je laissai ma tête choir sur le dossier en cuir. Il y avait des jours où je regrettais vraiment de l'avoir engagé.
La porte s'ouvrit dans un vacarme fracassant à cet instant.
—Désolé pour l'retard, Jefe, lâcha Sebastian avant de s'installer sur le dernier fauteuil de libre. Tiens, faut que tu vois ça.
Il joignit le geste à la parole en me tendant un document.
Sceptique et méfiant, j'apposai mes yeux sur ledit document sans effectuer le moindre mouvement.
Sebastian était un hacker hors pair, inégalé et envié par ses nombreux semblables dans son domaine. Capable d'infiltrer n'importe quel fichier informatique, pirater le plus inviolable des logiciels et ce, en un temps record.
Après une dizaine d'années au service du FBI, sa moralité avait basculé à partir du jour où sa hiérarchie l'avait laissé sans protection, lui et sa fiancée, suite aux menaces persistantes d'un ancien politicien haut placé qu'il avait fait tomber quelques mois auparavant. Ça avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Amer, il était rentré en contact avec moi. Me promettant toute transparence au sujet des fédéraux à mon encontre et surtout, vantant son envie d'intégrer les rangs à mes côtés.
Suite à plusieurs mois de mises à l'épreuve, il avait passé le test avec brio. Depuis ce jour il était un fidèle allié sur lequel je pouvais compter les yeux fermés.
Raison pour laquelle l'air alarmé qu'il essayait de dissimuler, là, maintenant, me mit la puce à l'oreille.
Des emmerdes.
Des emmerdes qui arrivaient à grand pas.
Devant mon mutisme, il reprit la parole.
—J'ai fait plusieurs recherches sur les Invisibles, patron. Ou plutôt, j'ai creusé les infos qu'on avait déjà. Et je n'ai qu'une chose à dire...
Sérieux au possible, son regard devint plus dur. Il laissa passer quelques secondes et précisa :
—Quand on y regarde de plus près, leurs stratégies d'exécutions sont similaires à une mafia qu'on connaît bien et qu'on a déjà affrontée. Les cordelettes entourant la gorge des victimes d'une façon bien distincte, la disposition des corps en position fœtale, ça ne te dit rien ?
Mes sourcils se froncèrent.
Je n'aimais pas du tout la tournure que prenait cette conversation. Avec une irritation non retenue, je lui arrachai le papier des mains et avisai sans tarder les premiers lignes.
Nom de Dieu mais comment j'ai pu être aussi con !
Mon sang ne fit qu'un tour. Malmenant mes tempes et démangeant mes poings. Les envies de meurtres étaient omniprésentes, plus que jamais. Tout en continuant de lire, je passai une main agacée sur ma nuque.
—Guerreiro, murmurai-je entre les dents, les yeux toujours rivés sur le document.
C'était tout bonnement ce connard qui était à la tête des Invisibles.
Tout s'imbriqua dans ma tête.
Les actions de ces derniers n'étaient qu'une distraction pour détourner l'attention sur leurs véritables occupations. Voilà pourquoi les Invisibles étaient si difficilement identifiables. La drogue n'était qu'un leurre pour laisser champ libre à leur activité principale : le trafic d'êtres humains.
Quel abruti je fais, bordel !
—Attends, patron, reprit Sebastian d'une voix qui n'augurait rien de bon pour la suite, c'est pas ça, le pire. Martinez...
—Quoi Martinez ?! claquai-je en relevant subitement mon visage sur lui. Qu'est-ce que ce fils de pute vient faire dans l'équation ?
Mon ton avait été plus sec que je ne l'avais voulu.
La grimace qui déforma ses traits suite à ma question finit de confirmer mes soupçons.
Ali le dévisageait, pas bien sûr de comprendre. Johnn l'épiait du coin de l'œil, tentant de garder son calme mais conscient de la merde monumentale qui pointait pour nous à l'horizon. Quant à Jacobs, lui, il s'était rapproché. Se tenant désormais sur ma droite et concentré sur le papier tout en marmonnant un charabia incompréhensible.
Vu l'intonation, je penchai pour des insultes.
L'air grave, j'incitai le hacker à développer d'un geste du menton.
—Tu te souviens de la transaction d'accord de territoires que t'as effectuée avec lui ?
—Évidemment que je m'en souviens.
—Et bien figure-toi que tu n'étais pas le seul sur le coup. Ces terres étaient le point stratégique des Invisibles. Guerreiro les convoitait depuis un certain temps afin de noyer le poisson sur son vrai business.
—Hijo de puta, maronnai-je en passant les deux mains sur mon visage.
—D'après certains témoignages, continua-t-il, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il se les approprie. De gré ou de force. Martinez savait que ses jours étaient comptés, voilà pourquoi il te les a vendues... Pour sauver sa peau.
Sa dernière phrase sortit dans un murmure.
Ce connard m'a baisé sur toute la ligne.
—Bien content d'avoir crevé cette ordure, gronda Jacobs.
Je partageai son avis. Cependant, un détail me rongeait l'estomac.
—Quel rapport avec Sara ?
Sebastian haussa les épaules.
—J'imagine que la clé des comptes qu'elle a en sa possession est une opportunité pour étendre son pouvoir et...
—... et pour m'atteindre directement, enchéris-je. La Santa Muerte est sa nouvelle cible.
Les lèvres pincées, celui-ci acquiesça.
—J'en ai bien peur, ouais, approuva mon homme de confiance.
—Putain de chiotte de bordel de merde, pesta Bex dans mon dos.
Désorienté par ces nouvelles informations, je jetai le document sur mon bureau avant de me laisser tomber contre le dossier. Les deux mains jointes sur la nuque, je fermai les yeux. Les émotions menaçaient de me submerger. Son cartel était bien plus puissant, bien plus riche de part son nombre de têtes enrôlées.
—Cabrón, grognai-je.
Pour autant, je ne me résignai pas à mettre un genou à terre.
D'un bond je me levai tandis que dans un mouvement rageux, le plat de mes mains frappèrent le bureau, provoquant un sursaut à Ali.
—Il ne nous reste plus qu'à éliminer ce salopard.
—Et comment tu comptes t'y prendre ? questionna Johnn.
—J'avoue, releva Jacobs pendant qu'il rejoignait les autres devant moi. Crois-le j'admire ton ambition, patron. Mais pour être honnête, là je sèche.
Un sourire glacial incurva mes lèvres.
—Fini de jouer. On va récupérer ces putains de codes.
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