CHAPITRE 3
—Tu ne devrais pas t'y rendre seul, patron. Ces connards attendent que ça.
Agacé, je m'immobilisai puis basculai la tête en arrière en fermant les yeux. Ma patience avait déjà atteint ses limites depuis longtemps. Je n'avais pas besoin de ses remarques pour me rappeler à quel point les circonstances étaient catastrophiques.
Dos à lui, un soupire bruyant et lourd de sous-entendus m'échappa. Les bras le long du corps, mes mains s'ouvrirent et se fermèrent à plusieurs reprises. Mes poings me démangeaient sévère.
Pas maintenant, Jacobs. Pas maintenant.
Dans une lenteur voulue, je me retournai.
Lui, m'observait.
Ce type était un très bon élément, c'était certain. Déterminé et doté d'une capacité à s'adapter à toutes les situations, son intelligence n'était plus à prouver. En revanche, je commençais à y voir clair dans son jeu et il était grand temps que je lui rappelle où se trouvait sa place.
—Qui te dit que je serai seul ? je dis en plongeant les mains dans mes poches. Trois de mes gars se relaient sur place depuis l'accident.
Ses yeux se plissèrent de manière très brève mais suffisante pour que je le remarque. Sans cesser de me fixer, il sortit une nouvelle blonde de son paquet puis la porta à ses lèvres. La seconde d'après, il l'alluma et une fumée opaque ne tarda pas à se faufiler du coin de sa bouche.
Je savais qu'il m'avait compris. Qu'il avait compris mon message.
—J'aurais pu m'en occuper, riposta-t-il avant de reprendre une bouffée de nicotine. C'est pas comme si on était débordé, ici. Le business est au point mort.
Mais bien sûr...
Appelle-moi con aussi.
Je ricanai.
—Détrompe-toi, Jacobs. Je vais avoir besoin de toi dans un futur relativement proche.
Il arqua un sourcil douteux à mon intention.
—Développe.
Nouvelle taffe de son poison pour lui et nouvelle effort pour éviter d'exploser pour moi.
—On repart pour São Paulo la semaine prochaine, claquai-je d'un ton sec et sans appel.
À l'entente de ma phrase sa fumée passa de travers. Plié en deux, il se mit à tousser comme un pestiféré pendant plusieurs secondes.
Cependant, même s'il avait la fâcheuse tendance à me faire péter un câble dès qu'il ouvrait la bouche, j'avais encore besoin de lui. Je décidai donc de l'aider un minima en allant chercher une petite bouteille d'eau dans le frigo de la cuisine qui se trouvait juste à côté.
Une fois revenu sur mes pas, je lui tendis.
Malgré qu'il était toujours en train de cracher ses poumons, il repoussa brutalement mon bras avec sa main.
—J'préfère crever comme un con à cause d'une clope que d'être sauver par toi, Barrosa !
—Arrête d'en faire des caisses, tu veux, grognai-je. Prends.
—Va te faire foutre, merde !
Je levai les yeux au ciel.
Qu'il se démerde, après tout c'était pas mon problème.
—Comme tu voudras, répliquai-je en haussant les épaules. Mais une fois que t'auras finit de clamser t'iras prévenir les autres. Réunion générale ce soir, à vingt-deux heures.
Je jetai la bouteille de flotte sur l'un des canapés puis sortis de la baraque.
(...)
C'était rare ici, à Vegas, mais il pleuvait.
La pluie s'imprégnant petit à petit dans mes vêtements, j'examinai le bâtiment, devant moi.
Je détestais les hôpitaux.
L'odeur y était épouvantable, l'atmosphère insupportable. Ça puait la souffrance et la mort. Quand on avait un pied dedans on avait une chance sur trois d'en ressortir avec les deux devant.
Je grimaçai.
Balayai d'un rapide coup d'œil l'espace blanc et froid une fois rentré.
Le regard rivé droit devant eux, des toubibs aux traits fatigués pour la plupart s'affairaient dans les couloirs. Ils ne se parlaient pas. Ou rarement. Concentrés, murés dans leurs tâches devenues mécaniques au fil du temps. Il y avait aussi les infirmières aux visages plus accessibles que leurs supérieurs. Des infirmières qui arboraient des sourires usés en sortant de chaque chambre visitée.
Et puis les autres.
Comme ce type à moitié endormi sur un lit d'appoint à la vue de tous.
Un poids commençait à se faire sentir sur mon estomac. Je tentai de faire abstraction de mes ressentis en avançant vers les ascenseurs.
—Monsieur ! me coupa une voix féminine avec un accent. Les visites sont terminées. Elles reprendront à seize heures.
Mon visage se tourna en direction de l'accueil où une dame d'une trentaine d'années se trouvait.
Un stylo calé sur son oreille, des cheveux roux attachés en queue de cheval et des lunettes bon marché vissées sur son nez, elle arborait un air strict pour ne pas dire hautain.
Je ricanai pour moi-même.
Un rire qui n'en était pas vraiment un mais plutôt une menace silencieuse.
—Vous ne pouvez pas entrer, réitéra-t-elle d'un ton autoritaire en croisant les bras.
Desgraciada ... (Sale garce....)
Je m'avançai vers elle, rictus satisfait greffé aux lèvres.
À mesure que j'approchais, sa bouche s'entrouvrit peu à peu et sa respiration devint plus rapide. Je m'en rendis compte à la poche avant de sa blouse, sur sa poitrine, qui montait et descendait au rythme de mes pas. Arrivé à sa hauteur et regard planté dans le sien, j'appuyai mes avant-bras sur le comptoir. Elle suivit avec minutie chacun de mes mouvements.
Un parfum trop sucré et écœurant piqua sans tarder mes narines. Je retins de justesse une nouvelle grimace.
—Toutes mes excuses...
Ma phrase resta en suspens le temps que mes yeux n'accrochent le badge épinglé sur sa poitrine.
—Carla, lâchai-je au bout de quelques secondes en harponnant de nouveau son regard. Je suis quelqu'un de très occupé vous savez, et je n'ai malheureusement pas la possibilité de revenir plus tard. Serait-il possible de faire exception cette fois-ci et me laisser aller voir mademoiselle Eleyra ? Sara Eleyra. Chambre trente-six au troisième étage.
—Je ne p...
—Oh ! la coupai-je en approchant une main de son visage. Vous avez un très joli grain de beauté. Près des lèvres, c'est très sensuel.
Je ponctuai ma phrase par un clin d'œil et ses pommettes virèrent au parme sans tarder.
Mon sourire s'étira davantage.
Passe la seconde. J'ai pas que ça à foutre putain !
—Je... bafouilla-t-elle. Merci. C'est... c'est très gentil.
—Mais je suis un homme bourré de gentillesse vous savez.
—Je n'en doute pas. Mais... mais j'ai des ordres et...
—On vous a déjà dit que vous ressembliez à Emma Stone ?
—Euh... non.
—Et bien moi je vous l'dis. Je vais même vous faire une confidence.
J'avisai rapidement les alentours puis pris appuie sur mes coudes de façon à être encore plus près.
Avec deux doigts, je lui fis signe d'approcher un peu plus.
Elle parut hésiter mais finit par s'exécuter en se baissant afin de mettre son visage au niveau du mien. Désormais je pouvais clairement ressentir son souffle désordonné ainsi que distinguer ses joues rosies.
Sauf qu'elle ne me regardait plus. Ses yeux fixaient maintenant ma bouche avec une gourmandise non dissimulée.
—J'admire les personnes comme vous, murmurai-je. Compétentes, fiables et aux épaules solides. Des personnes sur qui on peut vraiment compter. C'est rares de nos jours. Vous faites un travail admirable.
Mon dernier mot sortit dans un souffle pour venir mourir contre sa peau. Des frissons naquirent sur la base de son cou.
Tellement facile.
—Puis-je aller voir mon amie, Carla ? insistai-je avec aplomb.
Ses lèvres s'ouvrirent et se fermèrent plusieurs fois avant qu'elle ne cède enfin.
—Pas plus de cinq minutes alors, chuchota-t-elle en avançant davantage son visage pour que je l'embrasse.
Je me redressai aussitôt.
—Merci.
Concentré mais aussi anxieux, je l'ignorai et partis à l'étage.
Les quelques minutes qui m'avaient suffit à rejoindre sa chambre avait été une véritable torture. Je n'avais pas l'habitude de laisser mes émotions prendre le dessus mais là, le choix ne m'avait pas été proposé.
Une envie terrible de la serrer dans mes bras rivalisait avec un besoin douloureux de m'en éloigner.
—Tu m'fais chier, Sara, maugréai-je entre les dents avant de rentrer dans sa chambre sans frapper. Vraiment.
Encore dans les vapes, elle sursauta malgré tout à mon entrée sans grande délicatesse.
C'était ça où je faisais demi tour.
La main dans mon dos referma la porte avant que je ne laisse ma tête s'appuyer contre celle-ci.
Silencieuse, ses cheveux brun encadrant son visage sur l'oreiller, ses paupières papillonnèrent. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser ma présence. Puis ses yeux bleus que je voyais chaque nuit dès que le soleil se couchait se mirent à me sonder.
Comme un coup de poignard en plein cœur.
Comme une décharge violente et qui laissait des séquelles irréversibles.
Mais elle était là.
Entourée de machines reliées à elle mais en vie.
Mi querida, je m'en veux si tu savais.
Du soulagement pouvait s'y lire mais aussi, une profonde tristesse.
—Isaac, finit-elle par articuler d'une voix cassée. Tu es là.
Elle joignit le geste à la parole en essayant de se redresser dans son lit, les deux mains à plat de chaque côté de son corps, mais des grimaces de douleur déformèrent aussitôt son visage épuisé.
—Attends ! paniquai-je en me précipitant auprès d'elle. Laisse, je vais t'aider.
—Je suis toujours fâchée après toi, Barrosa, dit-elle sans pour autant refuser mon aide.
J'en fis abstraction.
Dans des gestes robotisés et familiers, je la soutins d'un bras sur ses reins puis de l'autre, rehaussai son oreiller de manière à ce qu'elle soit plus confortable.
—Là, tu seras mieux.
Un mince sourire au lèvres, elle soupira.
—Merci.
Trésor...
—T'as pas à me remercier.
La connaissant bien, je savais que son impulsivité ne rêvait que d'une chose : franchir la barrière de ses lèvres. Mais son état était un rempart non négligeable et c'était tant mieux.
La culpabilité en première ligne, je m'assis à ses côtés et délicatement, replaçai une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
—Si.
Mon regard se durcit et je stoppai aussi mon geste.
—Nan.
—Si je vis encore c'est grâce à toi.
—Je rectifie, Sara. Si t'en es là, c'est à cause de moi.
Ses yeux brillèrent, elle parut peinée par mes propos et tourna son visage en direction de la fenêtre.
—J'ai soif, se contenta-t-elle de répondre.
—J'te ramène ça.
Sans attendre je m'emparai de la carafe sur sa table de nuit et remplis un verre.
—Tiens, je dis en lui donnant.
Mais elle m'ignora.
Sa posture avait changé.
En si peu de temps, elle avait réussi à se tourner. Toujours assise et les yeux perdus droits devant elle, elle semblait admirer la pluie qui ne s'était pas calmée au travers de la fenêtre ouverte.
Un choc monstrueux fractura ma raison.
Plus perturbé que je ne voulais le montrer, sans un mot je la rejoignis et m'installai auprès d'elle, mon regard suivant le sien.
La vie pouvait bien attendre un peu.
Moi aussi, je voulais regarder la pluie tomber.
Avec elle.
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