CHAPITRE 12

La nuit allait bientôt tomber, l'air s'était rafraîchi.

Des heures que nous roulions où seul le vent allégeait la tension oppressante qui régnait dans l'habitacle. J'avais faim, j'étais épuisée. Les dernières heures n'arrêtaient pas de tourner comme un mauvais scénario dans ma tête qui malgré le silence, était prête à exploser d'un moment à l'autre.

Tandis que je gesticulai sur mon siège afin de trouver une position plus adéquate pour mes courbatures, je jetai un coup d'œil au basané, sur ma gauche.

Une cigarette calée entre ses lèvres, plongé dans son mutisme et le regard rivé sur la route, Bex était resté dans une immobilité presque parfaite depuis que nous avions quitté la station essence.

—Sérieux mais comment tu fais ? demandai-je avec une grimace d'inconfort collée au visage.

—Comment je fais quoi ?

—Bah ça, je dis en le désignant de haut en bas d'un geste de la main. T'es là, assis pendant des heures. Sans bouger et sans parler malgré tout ce qui vient de se passer. Franchement je sais pas comment t'arrives à faire ça. Je peux pas, moi.

—J'avais remarqué, murmura-t-il en recrachant sa fumée.

—Quoi ?

—Nan rien. Laisse tomber.

Je le mitraillai du regard quelques secondes puis décidai de suivre son conseil - qui n'en était pas vraiment un en fait -  en reportant mon attention sur le paysage qui défilait.

Les dernières émotions et la fatigue aidant, mes paupières se fermèrent pour m'emmener sans tarder dans un demi sommeil, loin de tous ces problèmes et autres basané mal luné.

(...)

Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé.

Dix minutes. Peut-être vingt.

Mais l'absence de bruit du moteur me fit tilter. J'ouvris les yeux et d'un bond me redressai sur mon siège avant de balayer du regard les alentours dans une obscurité quasi-totale.

Le jour avait maintenant décliné.

Garés sur ce qui semblait être un parking, un bâtiment un peu plus au fond nous éclairait d'une faible luminosité avec ses néons. Sauf que j'étais seule dans la voiture.

Je fronçai les sourcils.

—Bex ? l'appelai-je une première fois en regardant tout autour de moi.

Rien. Le néant.

—Bex ?!

Toujours rien.

L'inquiétude commença à me gagner petit à petit. Je décidai donc de sortir du véhicule sans toutefois trop m'éloigner.

—Merde, Bex ! T'es où ?! T'es pas drôle, hein !

—Tain... grogna une voix familière dans mon dos, tu veux pas arrêter de brailler deux minutes !

Je me retournai aussitôt et distinguai avec difficulté une silhouette sortir de derrière les buissons qui bordaient la route.

Méfiante et tout aussi prudente, je plissai le regard. Pas plus de quelques secondes avant que je ne reconnaisse cette démarche massive et imposante. Avec un mélange de soulagement et d'irritation, je m'avançai vers lui à grandes enjambées.

—Nan mais ça va pas bien de me laisser en plan au milieu de nulle part ! Tu pouvais pas me réveiller au lieu de disparaître comme ça ! T'étais où, putain ?!

Un pas suffit à Bex pour arriver à ma hauteur.

Visage baissé sur moi et fermé au possible, il me toisa un instant, insondable. La pénombre le rendait encore plus menaçant que d'ordinaire, ce qui me fit instinctivement reculer d'un petit pas. Ce sentiment d'inquiétude n'était semble-t-il pas pour lui déplaire car un léger rictus vint incurver le coin de ses lèvres.

—Parti pisser, finit-il par lâcher tout en remontant sa braguette.

Mon regard bascula machinalement entre son geste et son visage.

—Oh... d'accord.

Son sourire s'élargit.

—T'aurais quand même pu m'avertir, tentai-je pour masquer mon malaise.

Il ricana.

—C'est une invitation à te chevaucher ?

—Je... quoi ?! Mais non ! Bien sûr que non !

Tout en plongeant les mains au fond de ses poches, il laissa échapper un rire franc puis me contourna en me bousculant d'une épaule.

Incrédule, je le regardai s'éloigner en direction du bâtiment.

Abruti !

—Allez bouge, on va allez acheter de quoi grailler un peu.

J'arquai un sourcil et ni une ni deux je le rejoignis. Il venait de prononcer le mot magique.

—Attends-moi !

Les grelots de la porte retentirent à notre entrée.

Derrière la caisse, un monsieur moustachu aux tempes grisonnantes nous salua brièvement d'un mouvement de la tête. Ce bâtiment était une de ces cafétérias ou épiceries ouvertes jour et nuit. On en trouvait beaucoup par ici.

Et dans certains cas il fallait bien avouer que c'était pratique.

—On perd pas de temps, lança-t-il en me jetant un regard par-dessus son épaule. On mange et on se casse. Faut qu'on atteigne la frontière avant le levé du jour.

Hein ?!

Mon visage se figea et mes deux pieds s'immobilisèrent dans la foulée.

—La frontière ? Quelle frontière ?!

Fidèle à son habitude Bex m'ignora.

Il continua de piocher dans les rayons divers sandwichs et sodas, régla la note au moustachu puis alla s'installer sur l'une des trois tables que comportaient ce magasin.

—Bex tu m'expliques ! J'ai aucun papier sur moi alors comment veux-tu que je passe la moindre frontière, hein ?!

Toujours à quelques mètres de lui, je le fixai, déterminée et poings serrés dans l'attente d'une réponse.

Mais il n'en avait strictement rien à foutre. Déjà assis, il était bien plus occupé à remplir son estomac qu'à me fournir des réponses.

J'arquai un sourcil.

La colère, elle, commença dangereusement à picoter tous mes sens.

—Et puis je te signale que...

Mais mon élan fut couper par son téléphone. Une sonnerie et le basané décrocha avant de le porter à son oreille.

—Jacobs, lâcha-t-il tout en s'empiffrant.

Je levai les yeux et les bras au ciel.

Cependant, ses traits redevinrent plus sérieux au fur et à mesure des secondes qui passaient et de la discussion.

—Hors de question, grogna-t-il à son interlocuteur.

Le visage grave maintenant, il soupira puis finit par poser ce qui restait de son sandwich et une fois avoir essuyé négligemment du pouce la commissure de ses lèvres, me fit signe d'approcher avec sa main.

Curieuse, j'obtempérai et m'installai en face de lui en l'interrogeant du regard. Bex mit l'appel en haut-parleur et posa le portable sur la table, entre nous deux, non sans s'être assuré auparavant qu'aucune oreille curieuse ne traînait autour.

—C'est bon, elle t'entend.

Une voix féminine au fort accent russe émana du téléphone. Je réalisai alors un peu trop brutalement qu'il s'agissait d'Irina à l'autre bout du fil.

Même pas en rêve.

Avec un dégoût certain collé sur mon visage, je secouai la tête et me levai de mon siège afin de mettre le plus de distance possible entre cette greluche et moi.

Sauf que Bex ne l'entendis pas de cette oreille.

D'une prise un peu trop ferme sur mon épaule, il me somma de me réinstaller sans tarder sur ma chaise.

—Aïe !

—Reste là et écoute ce qu'elle a à te dire.

Après lui avoir lancé un regard noir, je pris sur moi et avec une nonchalance évidente repris la conversation.

—Bonjour, Irina, maugréai-je.

—Sara il nous faut les codes.

Une ride creusa mon front.

Pour l'entrée en matière on pouvait repasser. Pour la subtilité aussi.

Bras croisés sur la table, j'avançai mon buste en direction du portable et avec toute la haine qui m'était donnée d'avoir envers elle, lui crachai à voix basse :

—Si ton cher «patron» veut tellement ces codes, Irina, et bah qu'il vienne les chercher lui-même !

—Crois-moi s'il pouvait il le ferait.

—Bah voyons...

—On a eu un contretemps au Brésil à cause d'une taupe qui aurait balancé certaines infos.

—Rien à foutre.

Probablement agacée, je l'entendis marmonner en russe. Puis elle reprit.

—Écoute-moi, Suka*, je vais te faire la version courte pour éviter à ton cerveau de gamine attardée de trop surchauffer : mon infiltration dans le cartel de Guerreiro a mal tourné. Isaac a voulu m'aider alors que je m'étais retrouvée au cœur de leur business, à deux doigts d'être vendue en pièce détachées pour leur trafic d'organes à des...

—Pour une fois qu'un mec voulait ton cœur et pas ton cul, la coupai-je en ricanant, t'aurais dû être flattée.

La bouchée de Bex passa de travers tandis que ce je supposais être des insultes russes fusèrent à une vitesse folle à l'autre bout du combiné.

Rancunière au possible, je me redressai et croisai les bras sous ma poitrine.

—T'as toujours pas compris en fait ? me questionna-t-elle d'un ton rempli de dédain.

—Ça dépend. Compris quoi ?

—Mais ce que t'es conne... Ils le tiennent, Sara ! Les codes contre Barrosa. Alors file-les à Jacobs et on se charge du reste, compris ?!

Choquée, mon regard passa à plusieurs reprises du portable au basané qui s'empressa de couper le haut-parleur et porter le téléphone à son oreille.

—On se rappelle, se contenta-t-il de dire avant de raccrocher.

Toujours sous le coup de ce que je venais d'entendre, je me levai et commençai à reculer en dévisageant Bex avec une peur bien réelle.

—Sara... dit-il en se levant lui aussi.

Sa voix, basse et profonde, me surprit.

—M'approche pas !

Il ignora ma demande et posa ses deux mains sur mes épaules. Mon corps tout entier se raidit.

—J'ai un plan, idiote. Mais tu vas pas aimer.

__________

Suka* : connasse

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top