Prologue

La guerre faisait rage.

Les hommes des deux camps tombaient, les uns après les autres. Les armes s'entrechoquaient, projetant des étincelles sur le champ de bataille. Le sol était jonché de cadavres, de têtes tranchées, de corps décapités. Et puis tout ce sang. Il y en avait partout. Sur les troncs d'arbres, sur les murs des bâtisses, partout. D'ailleurs, les bâtisses elles-mêmes ne seraient bientôt plus que de simples tas de cendres.

Comment se faisait-il que les gardes-archers n'aient pas donné l'alerte ? Sûrement parce qu' "ils" les avaient éliminés. Ces bêtes féroces n'avaient décidément aucune pitié. Les Loups Garous. Ils étaient arrivés ici en pleine nuit, profitant du sommeil des habitants de la ville. Personne ne s'attendait à cela, pas même les Anciens. Les horribles créatures avaient bien préparé leur coup : le jour même, leur chef était venu à Lacynéa déclarer que les Elfes ne seraient jamais plus inquiétés par les Loups Garous et voilà que les évènements démontraient le contraire. Forcément, elle y avait cru. La franchise présente dans la voix du Loup l'avait immédiatement convaincue que son peuple pourrait enfin vivre en paix. Quelle idiote ! Pourtant, elle savait très bien que les cruelles créatures étaient douées pour le mensonge et la tromperie, alors comment avait-elle pu croire qu'ils avaient changé ?

La légende disait qu'un jour gris, un jour où le soleil serait caché derrière le coton du ciel et que des rideaux de pluie transparents et froids rendraient le paysage fort triste, les Elfes et les Loups Garous se battraient côte à côte dans une ultime bataille. Mais ce n'était que foutaises, un simple texte de fiction, de vaines prédictions qui ne seraient jamais rien d'autre que légende.

Restait vrai que ces traîtres étaient entrés dans la ville, la mettant à feu et à sang en brûlant tout autour d'eux et massacrant hommes, femmes et enfants. Un carnage sans nom s'offrait aux yeux de qui laissait son regard aller ici, ne serait-ce qu'une seconde. Elle avait eu de la chance. Elle-même serait gisante là, la tête tranchée, au milieu des corps, si un sixième sens ne l'avait poussée à se réfugier dans cette pièce sombre et humide, dans le plus profond sous-sol du palais. Oh certes, il ne s'agissait pas ici du confort auquel était habituée cette créature, mais mieux valait être vivante dans une cave que morte dans un palais.
Mais, pourquoi pensait-elle au confort ? Avait-elle si bien vécu que cela ? Elle voyait bien un sofa de couleur émeraude aux pieds de bois naturellement sculpté mais s'agissait-il du sien ? Et ce tapis aux fils d'or clair semblant flotter au-dessus de ce sol de marbre blanc, lui appartenait-il ou voyait-elle simplement ses rêves se concrétiser dans son esprit ? Après tout, la créature se souvenait avoir conversé avec le meneur des Loups Garous, cela signifiait donc qu'elle devait être la reine des Elfes. Ou quelque chose de similaire. Peut-être.

Du bruit la sortie de ses pensées lointaines. Des cris. De joie folle et meurtrière pour les bêtes sauvages et d'horreur et de douleur du côté des Elfes. Elle fut tentée de boucher ses longues oreilles mais resta comme paralysée. Son corps ne lui répondait plus.
Puis, tout à coup, un cri de terreur non dissimulée, plus fort que les autres. Un hurlement de petite fille qui lui sembla familier. Une image floue s'imposa à son esprit : une petite fille aux cheveux bleus assise sur les genoux d'une magnifique femme à la chevelure blonde. Cette femme portait un diadème doré étincelant et une longue robe de différentes teintes vertes. Il lui semblait connaître cette personne mais qui était-ce ? Était-ce sa mère ? Sa sœur ? Non c'était... elle ! Mais oui bien sûr ! La femme n'était autre qu'elle-même, Lounia, Reine adorée des Elfes, souveraine incontestée de Lacynéa ; elle se souvenait à présent ! Et la petite fille sur ses genoux ne pouvait être que... Mila, sa fille, sa poupée ! Comment avait-elle pu l'oublier ? Quelque chose ou quelqu'un avait effacé l'esprit de l'Elfe, elle en était persuadée. Mais quoi ? Ou qui ?

Lounia revint à elle. Sa fille était quelque part au milieu de ce carnage et elle hurlait. Il fallait la retrouver avant qu'il ne soit trop tard ! Enfin s'il n'était pas déjà trop tard... .

La Reine sortit de sa cachette et s'élança. Elle était à découvert mais s'en moquait. Sa robe la gênait, elle ne s'en préoccupa pas. Les forces qui l'avaient abandonnée revenaient, ainsi que ses souvenirs.

Tandis que cet être de la nature enjambait les corps, des pensées affluèrent à son esprit : les Elfes, bien que pris par surprise, avaient réagis et s'étaient emparés de leurs armes. Ils se battaient comme ils pouvaient alors que seul un tiers du peuple savait se battre. Il était bien heureux que son défunt mari ait tant insisté pour que ces créatures pacifiques gardent ne serait-ce qu'une seule arme chez eux.

Tiens, voilà qu'elle repensait à celui qu'elle avait aimé, et aimait toujours, mais qu'elle avait également oublié. Tant mieux, les souvenirs revenaient plus vite qu'elle ne l'espérait.

Quoiqu'il en soit, et contrairement à leur Reine, les Lacynéens défendaient leur ville. Lounia ne pouvait qu'être admirable de leur courage face aux monstres. Miley serait si fier de son peuple...

L'Elfe trébucha et s'écroula sur le sol. Une bête imposante la vit alors et se précipita sur elle, les crocs sortis et le regard réclamant du sang. Ce monstre était immense. Il la dominait du haut de son apparence secondaire, c'est-à-dire un Loup debout sur ses pattes arrières. Les bras écartés de chaque coté de son corps, il sortait les griffes de façon agressive. Il allait la tuer !

Non, pas maintenant ! Sa fille avait besoin d'elle, elle ne pouvait périr ici, à cet instant ! Et elle n'était pas même munie de son arc doré, elle n'avait absolument rien pour se défendre ! Un instant, elle plongea son regard vert dans celui, rouge vif, de son adversaire. Une lueur meurtrière brillait dans ces yeux d'animal. En effet il ne l'épargnerait pas, qu'elle fut Reine ou non. Ce Loup Garou semblait n'avoir vécu que pour tuer. Ne vivre que pour ôter sauvagement des vies. Ses yeux n'étaient pas le seul élément révélateur de son désir ardent de faire souffrir et de tuer. Tout son corps de bête semblait vibrer de cette excitation, celle de voir tomber la Reine de ce pays, et de ses propres griffes. Allait-il la torturer, ou l'envoyer de l'autre côté d'un seul coup, précis et rapide ? Lui-même semblait se poser cette terrible question.

Un Elfe s'interposa subitement, profitant de l'instant d'absence de l'être ignoble. Ouf, sauvée.

« Majesté, tout va bien ? »

Elle acquiesça et reprit sa course. Soudain, des cheveux bleus. Enfin, elle la voyait ! Lounia voulut appeler sa chère fille. Aucun son ne sortit de sa bouche.
A côté de Mila se tenait une autre enfant, plus âgée, plus grande, plus musclée, plus forte. Cette seconde Elfe affrontait vaillamment les monstres et ses cheveux bruns avec des reflets bordeaux dansaient sauvagement à chacun de ses mouvements. Elle protégeait Mila au péril de sa propre vie d'enfant. Cette très jeune personne non plus n'était d'ailleurs pas inconnue à la Reine et après réflexion Lounia se rappela qu'elle n'était autre que sa fille ainée, Valia. L'Elfe couronnée l'avait également oubliée. Mais que s'était-il passé ? Comment avait-elle pu oublier ses propres enfants ? L'Elfe blonde s'était cachée sans penser un seul instant à ses filles. Comme si elle avait été totalement déconnectée de tout sentiment maternel. Oui c'était cela. Comme elle y avait songé plus tôt, Lounia avait sans doute été envoûtée par un charme d'amnésie. C'était la seule explication plausible. Et aujourd'hui, ses filles se trouvaient sur un champ de bataille, entre les griffes de ces cruels Loups Garous qui n'hésiteraient certainement pas à leur ôter la vie.

Certes Valia, malgré ses douze années, savait manier l'épée aussi aisément qu'un soldat expérimenté, mais cela ne suffirait pas. Elle finirait par s'épuiser et l'ennemi les massacreraient sa sœur et elle. Car à les voir, "tuer" était leur mot d'ordre. Pas de pitié, pas de prisonniers, que du sang et du désespoir. Que la mort. La destruction. L'extermination.

En effet, la princesse guerrière faiblit. Les premiers signes se firent tout d'abord ressentir. La jeune créature refusait de faillir, elle ne voulait rien lâcher. Mais la fatigue d'un long combat fini par avoir raison d'elle et les Loups Garous saisirent l'occasion. Ils furent sur elles en un instant.
« Non ! » Lounia tomba à genoux. S'en était fini de ses filles et tout cela par sa faute. Quelle mère indigne ! Le peuple elfique perdait lui aussi de son efficacité et la Reine sentait ses semblables proches d'une mort certaine, ce qui l'accabla davantage encore. Elle n'avait, cette fois-ci, ni remplit son rôle de reine, ni celui de mère. Lounia allait perdre tous ceux qui lui étaient chers, ses enfants, ses semblables, toutes les personnes qui lui faisaient confiance. Elle les avait trahis. Elle avait cru en la parole de l'un de ces monstres provoquant ainsi la perte de tout son peuple. Le seul fait qui lui semblait juste dans cette histoire était qu'elle-même périrait également.

Tout à coup, une tempête se leva. Le vent était déjà violent mais cela empira considérablement. La Nature exprimait sa colère. Sa puissance était telle que certains arbres, déjà bien meurtris, se déracinèrent et tournoyèrent dans les airs, jusqu'à atterrir quelques mètres plus loin, dans un grand fracas. La surprise se lisait sur tous les visages. Tout le monde leva la tête et la terreur s'empara du champ de bataille. Même les Loups Garous, ces créatures sanguinaires et cruelles prirent peur. Ce que les uns avaient pris pour une tempête et les autres pour la colère naturelle, s'avérait être, en réalité, le vent que produisaient les battements d'ailes de deux gigantesques dragons.

L'un, le plus imposant était d'un rouge sanglant. Toujours ce rouge vif, violent. Ses écailles semblaient aussi lisses et tranchantes que des lames effilées, des milliards de petits poignards, et ses crocs immenses paraissaient de la taille de l'avant-bras d'un homme bien portant approchant les 30 années. Terrible. Le second semblait moins puissant, plus fin, sans doute était-ce une femelle, et laissait voir des écailles aussi bleues qu'un ciel dégagé, tout aussi tranchantes que celles du premier, bien que plus petites. Magnifique. Cependant, des dragons n'avaient plus été vus depuis une centaine d'années, et personne n'avait jamais imaginé que leur espèce ne s'était pas éteinte comme tout le laissait croire. Leur milieu de vie, tout en haut des Grands Monts avait été détruit par une violente explosion provenant d'on ne savait où, et plus personne n'avait jamais vu, ni entendu ne serait-ce qu'une créature à écailles survivante de cet effroyable incident. Et voilà que deux dragons se tenaient au-dessus d'eux, énormes, surprenant, superbes.

Ils étaient tellement fascinants que personne ne se rendit compte que ces fantastiques créatures les avaient tous immobilisé. De toute façon, même s'ils ne l'avaient pas fait, aucun être présent dans la prairie sanglante n'aurait bougé tant la stupeur était telle. Et donc personne ne vit non plus que les dragons fixaient de leurs pupilles fendues et déplaçaient par force mentale les corps inertes des deux princesses. Personne, sauf Lounia. Mais malgré la peur que pouvaient inspirer ces créatures, la Reine savait qu'elles étaient là pour ses filles et qu'elles ne leur voulaient aucun mal, bien au contraire.

Les dragons s'élevèrent alors dans les airs et s'éloignèrent d'un vol empli de majesté, emmenant avec eux Mila et Valia.

Les Elfes et les Loups Garous sortirent alors de leur torpeur et constatant que leurs meilleures proies s'étaient envolées, les bêtes poussèrent à l'unisson un long hurlement rageur.

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