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Un mal de tête effroyable m'extirpe d'un sommeil sans rêve. En ouvrant les yeux sur le salon, les images de ma nuit d'excès me reviennent en mémoire et je ne peux m'empêcher de grimacer de dégoût. Dans la pénombre, les chiffres orange du décodeur de la télévision m'apprennent qu'il est six heures du matin.
L'inconnu d'hier dort près de moi. Son visage est paisible et serein, ses côtes se soulèvent lentement au rythme de sa respiration apaisée. Ne tenant pas à le voir se réveiller, je me lève en douceur, m'habille à la hâte puis attrape mes escarpins. Après avoir refermé délicatement la porte dans mon dos, j'enfile mes chaussures et quitte la cour en vitesse. En passant devant la boîte aux lettres, un sursaut de conscience me traverse. Je m'arrête pour lire l'inscription sur la plaque. Léo Perrec. Maintenant, je connais son nom.
Extirpant mon téléphone de mon sac, je vais sur l'application plan afin de voir où j'ai atterri. À Brélès apparemment. Je cherche rapidement si une ligne de car pourrait me ramener à Brest et découvre qu'un bus passe juste avant sept heures.
D'un pas vif, je marche jusqu'à l'arrêt le plus proche, puis patiente en frissonnant dans mes vêtements légers. Environ une demi heures après mon arrivée, deux lycéens me rejoignent. Ils s'échangent brièvement quelques coups d'œil étonnés avant de replonger dans leur conversation, préférant m'ignorer. De toute évidence, ils ne sont pas habitués à voir d'autres personne prendre leur bus.
Quand enfin le ronronnement lointain d'un moteur se fait entendre, je laisse échapper un soupir de soulagement à la perspective d'être enfin au chaud.
À peine le car se gare-t-il devant moi que je me précipite à l'intérieur, achète un ticket et m'assois à une place libre, contre une fenêtre.
Dès que le véhicule se met en route, le remords vient me prendre d'assaut. Qu'est-ce que j'ai fait ? L'idée d'avoir enfin pu franchir un premier cap pour essayer de tourner la page n'atténue en rien la culpabilité d'être allée me réfugier dans d'autres bras. Parce que même si tu m'as laissée tomber, j'ai toujours l'impression de te trahir.
Ma tête appuyée contre la vitre tremblante, je profite de ce moment de solitude pour analyser mes perspectives d'avenir plutôt que de m'angoisser à ton propos. Il est trop tôt pour avoir mal au cœur.
Malheureusement, en faisant le bilan de ma situation, mon état d'esprit ne s'améliore pas. Désormais, mon existence me semble vide de sens. Avant notre rupture, j'éprouvais le besoin de trouver ma voie, de m'épanouir. À présent, je cherche seulement à obtenir un salaire, c'est pourquoi je vais choisir la facilité et postuler dans la restauration ou l'entretien. Cet été, j'ai travaillé en tant que femme de chambre dans un hôtel, ça m'a permis de me former aux critères d'hygiène et de toucher un peu au service lorsque j'étais chargée des petits déjeuners. Mon CDD s'est achevé deux semaines après que tu m'as quittée, j'aurais donc pu retrouver un boulot entre temps... Si je ne m'étais pas complètement laissé aller... Mais ça a assez duré désormais, il me faut me ressaisir.
L'arrivée du bus dans Brest me coupe dans mes réflexions. Comme j'ai envie de marcher, je décide de descendre au premier arrêt. Dehors, je suis accueillie par les bruits de la ville en éveil, le rugissement des voitures, les klaxons, les portières qui claquent, les talons qui s'abîment sur le bitume. Les bâtiments sont aussi ternes que le ciel. Le mois de novembre est tellement triste.
Les pans de ma cape serrés autour de moi, je me protège du froid tout en marchant aussi vite que me le permettent mes pieds blessés par les escarpins. Mon estomac commence à s'agiter, il ne m'a pas pardonnée mes abus d'alcool et il n'est pas le seul : mon mal de tête persiste.
Arrivée sur le seuil de l'appartement, j'inspire une grosse bouffée d'air pour me préparer à entrer. Que vais-je bien pouvoir dire à Julien ? Avec délicatesse, j'ouvre la porte, me glisse à l'intérieur et referme sans faire le moindre bruit avant de me diriger à pas feutrés vers ma chambre. Mon ami doit être sorti, je n'entends pas un son. Ou peut-être dort-il encore ? M'enfermant dans la salle de bains, je laisse tomber mes habits dans le panier à linge sale et prends une douche.
Lavée de mes déboires, mais pas débarrassée du poids de ma conscience, je gagne mon lit, le cœur lourd, puis m'efforce de sombrer dans le néant pour oublier ma nuit.
*
Une douce odeur de café envahit délicieusement mes narines. Tirée des bras de Morphée, j'ouvre les yeux sur Julien, assis au bord de mon lit, une tasse fumante à la main. Comment parvient-il à se montrer si adorable ? Je m'étire paresseusement, mes lèvres aussi, en un sourire de reconnaissance. Il me tend la boisson sans un mot et je me redresse aussitôt pour m'en saisir.
–– Merci Ju, c'est vraiment gentil.
Mon ami me regarde fixement avec des yeux gris rougis par la fatigue. Gris comme un amoncellement de nuages chargés de pluie.
— C'est juste un café... lâche-t-il avec un sourire sans joie.
— Il n'y a pas que ça et tu le sais.
Julien n'aime pas les compliments, ni qu'on le remercie. Il secoue la tête en signe de dénégation en grondant gentiment :
— Tu n'en as pas marre de dire des conneries ?
Après quoi, il sort de ma chambre, un air amusé sur le visage. S'abat alors un pensant silence. Je bois rapidement ma boisson, enfile un T-shirt et une culotte puis me précipite dans sa chambre, fuyant la solitude.
Julien est allongé sur son lit, une cigarette fume entre ses doigts tandis que Bob Marley chante Redemption song. Mon ami tourne la tête vers moi. En me voyant frissonner à cause du froid qui entre par la fenêtre ouverte, il soulève la couverture, m'invitant à le rejoindre. Je ne me fais pas prier. Ma tête vient se poser contre son épaule et quand il a terminé de s'intoxiquer, sa main vient caresser distraitement mes cheveux.
La présence de mon ami vaut tous les réconforts du monde et dans ses bras, je me rendors apaisée.
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