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— Dans quel hôtel tu veux aller ?
— Peu importe, je te laisse choisir.
L'homme se dirige vers la file des voitures garées le long du trottoir et me conduit jusqu'à une élégante Mercedes noire. Par galanterie, il m'ouvre la portière puis m'invite à me glisser sur le siège de la berline. Dans l'habitacle raffiné règne une douce odeur de cuir que je prends plaisir à inspirer. Quelques secondes plus tard, il prend place derrière le volant et démarre le moteur qui ronronne agréablement.
Tandis que nous nous engageons dans le centre-ville, mon esprit se met à divaguer et inévitablement, les mêmes regrets, la même douleur, la même colère reviennent me hanter.
Cette fureur, Alex, de savoir que tu m'as quittée.
La chaleur d'une une main se posant sur ma cuisse, me ramène aussitôt à la réalité. L'homme me lance un bref regard avant de reporter les yeux sur la route.
–– Qu'est-ce qu'il y a ? lui demandé-je.
–– Je te trouve soucieuse ? Quelque chose ne va pas ? Tu préfères que je te ramène chez toi ? s'enquiert-il en fronçant les sourcils.
— Non, tout va bien, merci. Où tu m'emmènes ?
— Chez moi.
— Chez toi ? répété-je, étonnée.
— Oui, sauf si ça te pose un problème ?
— Non...
Il se pourrait bien qu'il ne m'ait pas menti sur sa séparation. Logiquement, on ne conduit pas un coup d'un soir à la maison à moins d'aimer vivre dans le risque. J'en déduis que comme moi, il est encore amoureux de quelqu'un qui l'a laissé tomber. Ce qui explique la marque de l'alliance à son annulaire. Il la retire sans doute uniquement quand il sort.
Je laisse mon regard errer à travers la vitre de la voiture. Les rues défilent les unes après les autres comme la pellicule d'un film. J'aime la nuit, j'ai l'impression que le monde est plus beau dans l'obscurité, que toutes les imperfections sont masquées.
La berline quitte la ville pour s'engouffrer sur les routes de la périphérie. Je me laisse entraîner, où que ce soit, ça m'est égal. Peut-être suis-je tombée sur un fou qui va me torturer et me séquestrer, et puis ? Plus rien n'a d'importance.
Exaspérée par mes réflexions, je soupire. J'ignore depuis combien de minutes nous roulons, prise d'assaut par mes idées noires, j'ai perdu la notion du temps. Mon regard se pose sur l'homme. Lui aussi semble préoccupé. Ses sourcils sont froncés, un trait soucieux barre son front et son poing est crispé sur le pommeau de la boîte à vitesse.
Le véhicule finit par ralentir pour se garer dans la cour d'une grande maison en pierre. L'inconnu descend puis m'ouvre à nouveau la portière en me tendant la main pour que j'y dépose ma paume. Je n'ai pas forcément besoin de toute cette distinction, mais l'intention est honorable, donc je m'y prête sans sourciller.
— C'est grand...
–– Assez, oui.
— J'avoue qu'au départ, je ne m'attendais pas à ce que tu m'emmènes chez toi...
Il ne me répond pas et le silence s'abat entre nous aussi brutalement qu'un couperet sur une gorge. L'homme m'invite à le suivre, je monte donc les escaliers derrière lui pour le rejoindre sur le perron.
Une fois à l'intérieur de la demeure, un petit cri strident retentit. Mes yeux se posent alors sur un magnifique chat gris, « silver tabby » qui se tient devant nous, la queue bien droite. Le félin fait le dos rond, balance son flanc contre la jambe de son propriétaire et se met à ronronner.
–– Oh il est trop mignon ! je m'exclame comme une gamine.
–– Elle s'appelle Maya.
Quelque part, je suis rassurée. Aussi stupide que soit ma déduction, je me dis qu'un homme qui aime les chats ne peut pas être mauvais. La main tendue, j'essaie de convaincre l'animal de venir vers moi, mais il reste méfiant. Je finis donc par abandonner.
— Tu veux boire quelque chose ? Peut-être sans alcool, cette fois, disons un soda ? me propose mon hôte avec un sourire.
— Avec plaisir, merci.
— Fais comme chez toi, tu peux déposer tes affaires ici – il me montre un fauteuil – la salle de bains, est au premier et les toilettes sont à côté. Deuxième porte à gauche.
J'abandonne mes effets sur l'assise, le remercie puis monte les escaliers alors qu'il gagne la cuisine. À l'étage, je m'aperçois que la décoration des lieux, si elle est très moderne, est tout à fait impersonnelle. Il n'y a ni photos ni tableaux, rien. Une vraie maison-témoin.
La salle de bains est une grande pièce qui doit être lumineuse au vu de la très large fenêtre. Une baignoire trône en son milieu, alors qu'une douche à l'italienne est installée contre le mur. En face, se dressent deux lavabos surmontés par de grands miroirs. Une seule brosse à dents, aucune trace féminine dans cette pièce.
Mon hôte semble avoir été honnête.
Face à mon reflet, un élan de dégoût me submerge. Mes joues sont un peu rouges, mes cheveux décoiffés. Sans réfléchir, je me rafraîchis rapidement puis discipline mes boucles en les humidifiant. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Il ne fait aucun doute que, demain matin, mon réveil aura un amer goût de regrets.
Muselant mes craintes, je quitte la pièce. Du haut de l'escalier, je contemple un instant le propriétaire de la demeure. Il est assis sur le canapé, fixant les deux verres posés devant lui. Sa posture me laisse à penser qu'il est terriblement anxieux. Quelque part, cela me rassure. Il n'a pas l'air habitué à ramener une inconnue chez lui non plus. Ce doit être une première pour nous deux. Je le rejoins d'un pas souple et m'empare de ma boisson. Ses yeux balaient mes jambes, détaillent les courbes de mon corps pour finir par se braquer sur les miens.
— Je ne suis pas comme ça... me souffle-t-il.
— Tu n'es pas comment ?
— D'habitude je n'invite personne chez moi. Je ne saute pas non plus sur une inconnue et pourtant... je l'ai fait avec toi.
— Si ça peut te rassurer, je suis exactement dans le même cas de figure, ce soir. Moi aussi je n'ai jamais laissé un inconnu m'embarquer chez lui et pourtant, je suis bien là.
Il croise les bras sur son torse puis s'appuie contre le dossier du canapé, intrigué.
— Qu'est-ce que tu cherches à fuir ? demande-t-il.
— Mes pensées. Et toi ?
— Mes échecs.
Il se lève pour s'approcher de moi. Je suis obligée de lever un peu la tête si je veux continuer de fixer ses yeux.
— Tu as quel âge ?
— Vingt ans. Ceci dit, tu aurais peut-être dû me poser la question avant de m'emmener chez toi. Si j'avais été mineure, qu'est-ce que tu aurais fait ?
Il me retire mon verre des mains, le pose sur la table basse, puis caresse ma joue du bout des doigts. Son visage se rapproche du mien, jusqu'à ce que ses lèvres m'effleurent.
Mon souffle s'accélère subtilement sous l'effet de l'appréhension.
— Eh bien déjà, je n'aurais pas fait cela...
Il pose un léger baiser sur ma bouche.
— Ni ça...
Sa main s'active à descendre la fermeture de ma robe.
— Et encore moins ça.
Il écarte les bretelles de mes épaules, le vêtement tombe au sol, dévoilant mon corps. Ses yeux détaillent mes courbes avant de revenir sur mon visage.
— Et que ne te serais-tu pas permis d'autre ? m'enquiers-je dans un murmure, la gorge nouée par un mélange d'émotions contradictoires.
Culpabilité, détermination et crainte.
L'inconnu me sourit puis attire mon corps contre le sien. Je ne le rejette pas. Ses doigts dégrafent mon soutien-gorge avant de faire glisser le bas de mon ensemble sur mes cuisses.
Mes yeux ne quittent pas les siens, dans l'attente de son prochain geste. Il retire son pull ainsi que son t-shirt, puis le reste de ses habits.
— Je ne ferais absolument pas ce genre de choses non plus, souffle-t-il.
Mes paumes se posent sur ses pectoraux, puis descendent la pente de son ventre, le long de ses abdominaux.
— Montre-moi.
Le désir l'emporte alors totalement, il fourre sa main dans mes cheveux et écrase sa bouche sur la mienne tout en me faisant reculer vers le canapé. Son souffle lourd, sa peau brûlante contre la mienne joints à sa langue qui me caresse ont quelque chose d'effrayant. Je réponds à ses assauts tandis qu'il m'incite à m'allonger, mon esprit comme détaché de mon corps tout en ayant parfaitement conscience de la situation.
Il s'interrompt juste le temps de sortir un préservatif de son portefeuille, abandonné dans la poche arrière de son jean et de l'enfiler. Cela me laisse malgré tout le loisir de contempler sa nudité ; cette simple image me ramène un peu dans le présent. Avec une certaine douleur, je constate qu'après cette nuit, il n'y aura pas de retour en arrière possible. Tu ne seras plus le dernier. Plus jamais.
Reportant son attention sur moi, l'homme vient me recouvrir et me demande si ça va. J'acquiesce. Est-ce que je suis sûre ? Oui. Parce qu'on peut tout arrêter... Non.
Quand il pose sa main entre mes jambes, cherchant à me donner du plaisir, je l'y autorise quelques instants avant de l'inviter à venir en moi. Il n'y aura pas d'extase ce soir. Pas pour moi. Un gémissement étranglé m'échappe lorsque son sexe me pénètre. Aussitôt, des flashs de nous deux traversent mon esprit.
À chacun de ses mouvements, je te ressens dans la moindre fibre de mon être. Son souffle effleure ma gorge et j'imagine que c'est le tien. Ses mains sur ma peau, son membre au creux de mon ventre. C'est toi, Alex, comme un fantôme qui me hante. Tu es partout où je vais, à chaque instant. Je te vois dans les yeux des gens, sur leur visage ; je t'entends dans leur voix, dans leurs pas.
Parviendrai-je à faire le deuil de notre histoire un jour ?
Et toi, cesseras-tu de me pourchasser ?
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