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Lorsque je descends de l'avion, le souffle tiède de l'Afrique du Nord vient m'accueillir comme une amie. D'après la pilote, la température est de dix-neuf degrés.

Me retournant vers Léo, je lui souris, le cœur battant à tout rompre. Il n'a pas idée du bonheur qu'il vient de m'offrir.

Nous regagnons l'aéroport en embarquant dans une petite navette avec les autres passagers. Après avoir récupéré nos valises, qui ont mis un certain temps avant d'arriver sur les tapis roulants, nous nous dirigeons vers la sortie pour grimper dans un taxi.

La voiture nous emmène jusqu'à un riad en plein cœur de la médina, non loin de la très célèbre place Jemaa El Fna.

Le brouhaha des conversations, la flûte des charmeurs de serpents, les tamtams, les klaxons, les moteurs des voitures et des mobylettes, tous ces bruits m'envahissent quand j'ouvre la portière. Je dévore mon environnement des yeux et mon regard s'arrête sur la mosquée de Koutoubia, que l'on repère grâce à son minaret carré de couleur ocre qui s'élève à l'entrée du souk. Presque tous les bâtiments arborent cette même teinte chaude qui vaut à Marrakech son célèbre surnom de La ville rouge.

Après avoir retiré nos bagages du coffre, Léo règle le chauffeur, puis le taxi jaune s'en va. Je suis mon ami dans le riad où nous sommes chaleureusement accueillis par les propriétaires des lieux. L'endroit est majestueux, le vaste patio ouvert à l'intérieur duquel nous nous tenons, abrite en son cœur, un riche jardin intérieur. Figuiers de barbarie, euphorbes cactoïdes, palmiers à chanvre, citronniers, orangers, phoenix des canaris et oliviers se partagent l'espace. Le long d'un mur jusqu'à l'étage supérieur, un imposant bougainvillier s'épand, sans aucune fleur pour le moment. Au milieu de toute cette végétation, un bassin rectangulaire en zelliges bleu Majorelle offre une couleur saisissante à son eau, invitant à la baignade. De grandes lanternes en fer ciselé ont été placées à chaque angle de la petite piscine et je ne peux m'empêcher d'imaginer le même décor de nuit, éclairé par les flammes des bougies projetant leurs arabesques à travers le métal ajouré. Ce doit être féérique.

Abritée sous une niche arquée, une banquette recouverte de tissus et de coussins berbères aux teintes vives m'apparaît comme un endroit idéal pour dévorer un livre. Des poufs en cuir sont disposés tout autour, permettant à plusieurs personnes de venir s'isoler dans cette alcôve où une petite table basse en bois exotique finement ouvragé a dû voir défiler un certain nombre de thés.

Et justement, c'est à cet endroit précis que nos hôtes nous invitent à déguster un breuvage fumant à la menthe en guise de bienvenue accompagné de cornes de gazelles et de chebakias. Nous discutons tous les quatre pendant un moment – durant lequel je me gave littéralement de ces délicieuses pâtisseries – puis sommes conduits à notre chambre.

Lorsque les doubles portes en bois bleues sont repoussées, nous pénétrons dans une immense suite.

Il m'est impossible de retenir une exclamation admirative devant la décoration des lieux, propice aux rêves et au voyage.

Les murs entièrement blancs rejoignent un haut plafond de gebs dentelés, agrandissant l'espace de la pièce. Sur le sol en zelliges blancs et bleu de Majorelle, d'épais tapis berbères en laine ont été disposés.

À demi abrité sous une arche, un imposant lit aux draps immaculés, recouvert de coussins du même bleu saisissant que le sol semble me tendre les bras. Plusieurs lanternes de toute taille, en fer ajouré, pendent depuis le plafond ou trouvent également leur place par terre.

Sur la droite, je découvre une imposante armoire encastrée en bois ainsi qu'une banquette pleine de volumineux coussins devant laquelle se tient une petite table. Une double porte ouverte invite à pénétrer dans la salle de bains. Ce que je ne manque pas de faire.

La pièce est elle aussi à couper le souffle. Sol presque noir, murs anthracite, large miroir qui surplombe une grande tablette où reposent deux lavabos, tout est aussi sobre que raffiné. Les toilettes sont isolées par un épais panneau, de même que la douche à l'italienne.

Je regagne l'espace principal où nous sommes à présent plus que tous les deux.

— Je dormirai sur la banquette, m'annonce Léo.

— Hors de question, s'il y a une personne qui doit la prendre, c'est moi. Tu m'as offert le billet d'avion, le séjour...

— C'était déjà payé et ça aurait été perdu, m'interrompt-il.

— Peut-être, mais j'aurais pu te rembourser, ce que tu as refusé. Donc ce n'est pas une raison valable.

— Il est tout simplement impensable qu'une femme enceinte dorme sur une banquette.

— Très bien. Dans ce cas, j'ai une idée à te proposer.

— Vas-y.

— Ce lit est assez grand pour accueillir trois personnes. On peut très bien y dormir à deux sans même se frôler une fois dans la nuit.

Léo hoche la tête, un sourire amusé sur les lèvres, avant de conclure :

— C'est vrai. Je vais quand même placer des oreillers entre nous. J'ai trop peur que tu cherches à me sauter dessus dans mon sommeil.

*

Après nous être reposés un peu, car nous n'avons quasiment pas dormi depuis hier, nous nous préparons pour sortir. La prière a résonné dans les haut-parleurs aux alentours des dix-neuf heures et nous avons décidé de nous lever. Nous avons dégusté un délicieux tajine dans le riad et j'ai à nouveau abusé des pâtisseries.

Il est vingt-et-une heures quand nous nous retrouvons sur la place Jemaa El Fna, en train de déambuler parmi les stands du marché nocturne qui s'installe chaque soir à la tombée de la nuit. Autour de nous flotte une odeur de viande grillée et de fumée.

Nous visitons un peu le souk, près de la place. Les commerçants ne cessent de nous interpeler au fur et à mesure que nous passons devant les étales, nous proposant divers articles, mais nous ne nous arrêtons pas, ayant simplement envie de flâner et de laisser nos sens voyager.

Malgré l'atmosphère enivrante des lieux, la réalité s'insinue dans le rêve et je ne peux m'empêcher de grimacer à la vue des charmeurs de serpents ou des petits singes tenus en laisse, lesquels sont parfois déguisés. Les premiers finissent par mourir d'épuisement au bout de quelques semaines « d'activité », quant aux autres, ils subissent des mauvais traitements tout au long de leur existence et sont entassés jour et nuit dans des cages d'où ils ne sortent que pour distraire les touristes et rapporter de l'argent à leur propriétaire. Si les voyageurs ne participaient pas en échangeant quelques dirhams contre des photos, en autres, peut-être que ces pratiques finiraient enfin par cesser.

Préférant quitter la place, nous nous enfonçons un peu plus dans le souk, du côté de l'Artisanat. Je regarde avec admiration poteries, poufs, coussins, tapis berbères, les diverses pièces de ferronnerie et m'émerveille de tout ce savoir-faire.

De retour à la chambre vers les vingt-trois heures, nous prenons une douche rapide pour nous débarrasser de l'odeur des grillades qui s'est incrustée dans notre peau et nos cheveux, avant de retrouver le lit.

Allongée sur le flanc, je pose ma paume à plat sur mon ventre comme pour vérifier que les mouvements sont toujours présents. Une part de moi est soulagée de les percevoir, l'autre, aussi cruel que cela puisse être, ressent une forme de déception.

— Bonne nuit, Cendrillon, murmure la voix ensommeillée de Léo.

— Merci, bonne nuit à toi aussi.

*

Notre petit séjour au Maroc touche à sa fin, demain nous retrouverons la France. Ce soir, j'ai décidé d'inviter Léo au restaurant pour le remercier. Nous sommes à table, l'un en face de l'autre sur la terrasse du Café des épices. S'il ne faisait pas nuit, nous pourrions voir l'Atlas, comme vendredi midi quand nous avons déjeuné ici. Nous possédons en revanche une vue parfaite sur la place, toujours animée. Aux pieds de l'établissement, les paniers tressés et les bonnets de laine colorés côtoient les stands d'épices.

Ce voyage m'a donné à réfléchir et m'a laissé avec le cœur divisé. Peut-être est-ce cliché, mais la misère que j'ai entrevue derrière les festivités du souk notamment m'a fait éprouver un grand sentiment de désolation tout en me rappelant à quel point le lieu de naissance était déterminant pour l'avenir d'une personne. Durant nos escapades, il n'était pas rare de croiser des gens amputés ou malades. Beaucoup d'enfants arpentent le marché également, espérant récolter quelques dirhams auprès des touristes. Et bien sûr, il y a les animaux et leurs rudes conditions de vie...

Une part de moi a donc évolué ici, en quelque sorte et de différentes manières. Si Marrakech m'a rappelée combien j'étais née privilégiée, elle a aussi eu le pouvoir de me faire voyager. La culture et les habitants de la cité m'ont enrichie de leurs différences ; l'architecture, les senteurs, les couleurs, le rythme de la ville, l'atmosphère elle-même, ont transporté mes sens. Il règne une certaine magie en ce lieu.

Si Léo et moi avons pris du temps afin de nous ressourcer, nous avons aussi beaucoup visité.

Ainsi, nous avons découvert le célèbre jardin Majorelle où se trouve la villa de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, majestueuse dans son superbe bleu Marjorelle ; bleu que l'on retrouve partout là-bas. Le lieu a été racheté par les deux amants en 1980, le sauvant ainsi d'un projet de complexe hôtelier qui aurait signé sa disparition.

L'endroit est d'une incroyable richesse ; la végétation y est diverse et variée, allant des palmiers aux cactus en passant par les bananiers, les jasmins ou encore les bambous où les gens y gravent leurs initiales en signe de leur amour – bien que ce ne soit pas autorisé – et de nombreuses espèces d'oiseaux évoluent dans ce cadre idyllique. J'ai contemplé le bassin aux nénuphars, la fontaine carrée, vu le musée berbère...

Nous nous sommes aussi rendus dans la vallée de l'Ourika à trente kilomètres de Marrakech où nous avons eu le loisir de découvrir un peu le mode de vie marocain montagnard, les sites tels que Setti-Fatma, petit village abritant sept cascades, la safranière, le jardin bio-aromatique et encore l'écomusée berbère.

Enfin, cet après-midi, nous nous sommes promenés à pieds dans La Palmeraie car il était hors de question de monter sur un dromadaire et de participer à l'exploitation de ces animaux par le tourisme. La vision des ânes surchargés et des chevaux exténués tirant les calèches m'est également très pénible, à l'instar de celle des serpents et singes sur la place Jemaa El Fna.

Ces quelques jours passés ensemble ont renforcé mon amitié avec Léo. Je l'ai découvert encore plus attentionné, généreux et drôle que je ne le connaissais déjà.

— À quoi tu penses, Cendrillon ? me murmure-t-il.

— Ce surnom t'aura marqué !

— J'aime beaucoup !

Je souris en levant les yeux vers lui.

— J'étais en train de me dire que nous avons passé un super séjour et que je t'en suis extrêmement reconnaissante.

— Tu n'as pas à l'être.

— Bien sûr que si. 

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