38
Durant la demi-heure qui suit mon bref échange avec Lorenzo, j'évolue dans une sorte d'entre-deux où je tente autant que je le peux de participer à la conversation, mais suis sans cesse rattrapée par mes pensées. Le traditionnel moment de la bonne année parvient à m'ancrer pour quelques instants dans le présent. Je me prête alors au jeu des vœux, des bises, remercie, danse avec Laëti et Julien. Puis, vient le premier creux de soirée, celui où l'alcool a déjà bien entamé les esprits. Et être entourée de personnes sévèrement enivrées quand on est sobre peut vite amener à l'ennui.
Mais ma soirée prend un autre tournant lorsque Léo m'apprend, au bout de quelques textos échangés pour se souhaiter la bonne année,qu'il se trouve dans une des boîtes de la ville puis qu'il me propose de venir le rejoindre. Sur un coup de tête, je décide d'accepter.
C'est à peine si on me prête attention quand j'annonce mon départ ; seule Laëtitia, éméchée, insiste pour que je reste. Je la pousse gentiment dans les bras de Romain, où elle ne met pas deux secondes à oublier que je m'en vais.
Après avoir attendu une bonne vingtaine de minutes dans la file, je pénètre à l'intérieur d'une boîte bondée. J'essaie de joindre Léo afin de lui prévenir de mon arrivée, mais avec l'intensité du son et les pulsations des basses, il est impossible qu'il parvienne à entendre son portable sonner et à sentir le vibreur.
Je décide de l'attendre près du bar et lui indique ma position.
À peine deux minutes se sont écoulées quand le premier type bourré décide de venir me tenir compagnie.
— Qu'est-ce que tu fais toute seule ici, Cendrillon ? Tu n'es pas avec une copine ? commence-t-il en criant par dessus la musique.
À ses joues rouges et ses yeux brillants, j'en déduis qu'il est bien imbibé.
— Non, j'attends mon carrosse. Il était censé me récupérer à minuit.
Il rit puis me dit quelque chose qui est aussitôt étouffé par le bruit de la musique.
— J'entends rien ! grommelé-je, espérant le décourager.
Déjà, pourquoi je lui réponds ?
— Elle est où ta copine ?
— Quelque part par là ! dis-je d'une voix forte en embrassant toute la salle d'un geste de la main.
Il scrute la foule du regard, comme s'il espérait la trouver alors qu'il ne l'a jamais vue de sa vie.
— Tu devrais aller la chercher !
Il fronce les sourcils, puis conclut :
— Elle va sûrement revenir. Je vais l'attendre avec toi !
De toute évidence, il vaut mieux que je dissipe ce petit malentendu si j'espère le voir partir.
— Je suis venue seule, désolée ! crié-je.
— Ah, OK...répond-il, visiblement déçu.
Cette scène a un petit côté burlesque. Mais après tout, nous sommes en pleine festivité du Nouvel An.
— Moi je tiens les chandelles ! clame-t-il en désignant du doigt un groupe d'amis assis autour d'une table.
Ils semblent effectivement tous en couple.
— Je vois.
— Je te paie un verre ? crie-t-il.
Je suis sur le point de refuser, mais en voyant son air de chien battu, je prends pitié et décide d'accepter.
— Bon, un coca alors.
— Quoi ? hurle-t-il.
— Un coca ! m'écrié-je.
— C'est le premier de l'An, Cendri ! Ne fais pas ta rabat-joie !
— Cendri est enceinte !
— Aaaah ! s'exclame-t-il comme si la lumière se faisait dans son esprit. Et où est le prince charmant ?
En avisant mon expression fermée, il s'empresse de rectifier :
— OK, on va parler d'autre chose !
— Merci.
Il nous commande à boire avant de s'élancer dans un long monologue sans queue ni tête. Je ne saisis par la moitié des informations, celles-ci se perdant dans le bruit.
Quand un autre mec vient nous rejoindre, une dizaine de minutes plus tard, mon camarade s'empresse de nous présenter :
— Lui, c'est Hugo ! s'époumone-t-il. Hugo, voici Cendrillon !
— Bonsoir, Cendrillon !
— Bonsoir, Hugo...
Les deux garçons commencent alors à me raconter un tas d'anecdotes les concernant avec plus ou moins de cohérences et je les écoute sans parvenir à tout entendre. Malgré cela, je finis par sourire de la situation.
— Sinon, Cendrillon, tu es célibataire ? s'enquiert Hugo après avoir posé un bras mou et lourd sur mes épaules.
— Arrête, H, Noémie te regarde !
— C'est bon, je fais rien de mal ! s'exclame l'intéressé avant de tourner le visage vers moi pour m'adresser un grand sourire niais.
— Si tu pouvais enlever ton bras ! dis-je en me dégageant fermement.
— Lâche-la, t'es lourd ! s'énerve mon camarade du soir.
Ce qui suffit à convaincre son ami de nous abandonner. Je le regarde retourner d'une démarche maladroite vers la table où l'attend sa petite-amie. À peine s'est-il réinstallé qu'ils se disputent.
— Il est re-lou quand il est bourré !
C'est alors, qu'enfin, Léo apparaît à quelques pas de moi.
— Je suis désolé, Jade, je viens de voir ton message ! s'excuse-t-il en m'embrassant la joue.
— Pas de souci. Léo, je te présente...
Mais en fait, je ne sais même pas comment s'appelle mon éphémère compagnon de soirée.
— Kevin, répond ce dernier en tendant une main à Léo.
Ils se saluent.
— Bon, eh bien j'ai été ravie de faire ta connaissance Kevin ! Merci de m'avoir tenue compagnie et merci pour le verre ! m'écrié-je.
— C'était avec plaisir, Cendrillon ! hurle-t-il aussi.
Je hoche la tête puis m'éloigne avec Léo.
— Cendrillon ? s'enquiert ce dernier d'une voix forte.
— Je ne peux pas te l'expliquer, il m'a appelée comme ça depuis le début.
— Ça te dit de sortir d'ici ? me propose Léo.
— Carrément.
Une dizaine de minutes plus tard, nous marchons tous les deux dans la rue. J'apprécie l'air frais sur mon visage après la chaleur étouffante qui régnait au sein de la boîte, tout comme le silence de la nuit.
— Tu as abandonné tes amis pour être avec moi, dis-je au bout d'un moment.
— Oui. Ça me fait plaisir de passer du temps avec toi.
— Merci...
Nous discutons en marchant et ça me fait beaucoup de bien. Il semble voir que je ne suis pas au mieux de ma forme puisqu'il s'inquiète à ce sujet. Je lui avoue donc combien je me sens perdue de porter un enfant sans en avoir eu conscience et de mes craintes de l'élever seule.
— Je me demandais... Tu as un passeport ? m'interroge-t-il après un silence.
— Oui, pourquoi ?
— En fait, j'ai deux billets d'avion pour le Maroc qui ont été réservés depuis un moment... Je devais y aller avec Noémie, mais entre temps...
Il inspire profondément avant de continuer :
— Bref, du coup j'ai une place pour toi, si tu as envie de voir un peu de pays.
Changer d'air me ferait en effet le plus grand bien. Sans compter que son invitation tombe à pique, pile quand Marissa ferme la boutique. Mais accepter pourrait lui redonner de l'espoir.
— C'est une proposition amicale, précise Léo avec une expression des plus sincère. L'avion décolle aujourd'hui à treize heures quinze à Orly et il arrive à quinze heures trente à Marrakech. Le retour est prévu pour dimanche prochain. À toi de décider.
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